La clôture et autres poèmes de Georges Perec

La clôture et autres poèmes de Georges Perec

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Lucien, le 16 novembre 2003 (Inscrit le 13 mars 2001, 69 ans)
La note : 10 étoiles
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Aux confins de la contrainte.

Publié pour la première fois en 1980 par Pol Otchakovsky-Laurens, ce livre regroupe quelques textes, introuvables à l'époque, où Georges Perec pousse à ses limites la contrainte formelle appliquée à la poésie.
On sait que le mot «poésie» vient d’un verbe grec qui signifie «faire, créer». Poète démiurge, rival de Dieu, inventeur d’une langue nouvelle… Il faut admettre que jusqu’à la fin du XIXe, on avait peu usé de ce pouvoir absolu. Enfin, Mallarmé vint qui, dans les «Poésies» et surtout dans «Un coup de dé jamais n’abolira le hasard», enfanta & dans la douleur & un univers original dont le pouvoir d’attraction fascine encore, tel un trou noir aux portes d'un enfer blanc, ceux qui osent s’aventurer hors des bêlements du troupeau romantique.
Perec est de ceux-là. Horrible explorateur du verbe, il réunit dans ce livre les tentatives les plus folles. J'en retiendrai quatre :
1. «Trompe l’Ïil» comporte six poèmes constitués de mots figurant dans le corpus de Harry Mathews, l’ami américain de Perec : tous ces mots possèdent un sens en français aussi bien qu'en anglais… Des poèmes bilingues ! La double lecture est autorisée par le recours aux majuscules d’imprimerie, l’absence de tout signe de ponctuation, l’absence d’accentuation et, parfois, la découpe originale des mots. Exemple :
ÓTHESE ALTERABLE DON D UNE ONCE D UN LOIN MAS TON ILLUSION D UN POUR TOUR GRAVE GRIME L AIR ON ATTEND SPIRE REGAIN EMU RAYON ROSE„
2. «La clôture» compte dix-sept poèmes hétérogrammatiques dont chacun comporte 12 vers de 12 lettres (ESARTULINOC & soit les onze lettres les plus courantes du français – plus une autre lettre à chaque vers, sorte de joker). Le mot «clôture» évoque les barricades mises en place autour de la rue Vilin, où Perec vécut ses premières années, après sa démolition. Il renvoie aussi à l’expression «séance de clôture». Une nouvelle fois, G.P. règle ses comptes avec son enfance. Les textes sont présentés dans une typographie «normale» pour la commodité de la lecture. Mais Mallarmé n’est jamais loin :
îCar plus en toi s’unit l'archéologue criant son écart, plus il saigne court.
La porte s'incurve : ni sa clôture, ni blocus à ton désir tu.
L'accalmie (ton sûr port au silence conquis) : l’art ?„
3. «Palindrome» est souvent titré «Le grand palindrome». Il est en effet le «record mondial du palindrome» (un texte que l'on peut lire indifféremment de gauche à droite ou de droite à gauche). Celui-ci compte 5566 lettres hors titre et signature pour 6372 caractères au total, titre, signature et ponctuation compris. Le texte est divisé en deux parties égales séparées par trois points de suspension qui figurent un centre de gravité, un axe autour duquel valsent les mots, un sommet qui, une fois franchi, entraîne le lecteur dans l’annulation progressive, l’abolition, le retour, de la trace à l’écart, de l’écart à la trace. Voici le début et la fin de ce voyage autour de la langue :
îTrace l’inégal palindrome. Neige. Bagatelle, dira Hercule. Le brut repentir, cet écrit né Perec. L'arc lu pèse trop, lis à vice-versa. Perte. Cerise d'une vérité banale, le Malstrom, Alep, mort édulcoré, crêpe porté de ce désir brisé d’un iota. Livre si aboli, tes sacres ont éreinté, cor cruel, nos albatros. ætre las, autel bâti, miette vice-versa du jeu que fit, nacré, médical, le sélénite relaps, ellipsoïdal. Ivre il bat, la turbine bat, l’isolé me ravale : le verre si obéi du Pernod - eh, port su ! - obsédante sonate teintée d’ivresse.ã
(.)
ÓCesser, vidé et nié. Tetanos. Etna dès boustrophédon répudié. Boiser. Révèle l’avare mélo, s’il t'a béni, brutal tablier vil. Adios. Pilles, pale rétine, le sel, l'acide mercanti. Feu que Judas rêve, civette imitable, tu as alerté, sort à blason, leur croc. Et nier et n’oser. Casse-t-il, ô, baiser vil ? A toi, nu désir brisé, décédé, trope percé, roc lu. Détrompe la. Morts : l'Ame, l’élan abêti, revenu. Désire ce trépas rêvé : Ci va ! S’il porte, sépulcral, ce repentir, cet écrit ne perturbe le lucre : Haridelle, ta gabegie ne mord ni la plage ni l’écart.ã
4. «Ulcérations», enfin, exploite de manière approfondie la série «ESARTULINOC» : les 400 vers sont tous des anagrammes d'«Ulcérations», le seul mot français composé avec les onze lettres les plus fréquentes de notre langue. Voici la fin du texte et sa «traduction» (qui figure seule dans le recueil «La clôture») :
ÓTALIONCREUS ETLAOINCURS IONTUASLECR ITURELACONS
CRITENULOSA TRACESLOIUN SILOUNECARTã
ÓTalion : creuset. Là & O, incursion! & Tu as l’écriture, la conscrite.
Nu, l’os à traces. Loi : un silo




un écart.„
Après ce voyage aux confins de l'«écriture conscrite», le recueil nous offre une rareté : l’un des deux poèmes sans contrainte de Perec. Comme une respiration après le désert, ces vers qui closent «La clôture» :
îMes doigts ne sont plus ce bracelet trop court Mais je garde l'empreinte ronde de ton poignet Au creux de mes mains ambidextres Sur le drap noir de ma table.„

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Les éditions

  • La clôture et autres poèmes de Georges Perec
    de Perec, Georges
    Hachette / Textes du 20e Siècle
    ISBN : 9782010196454 ; 14,70 € ; 01/03/1992 ; 96 p. ; Broché
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