Lettre à ma mère de Georges Simenon

Lettre à ma mère de Georges Simenon

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Lucien, le 14 novembre 2003 (Inscrit le 13 mars 2001, 69 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (40 479ème position).
Visites : 6 154  (depuis Novembre 2007)

« Tous les deux, nous avons fait semblant. »


Dans son « Livre de ma mère », Albert Cohen célèbre la grandeur de l’amour qu'un fils peut porter dans son cœur à celle qui l'a porté dans son ventre. De la « Lettre à ma mère » de Simenon, l'amour est absent : « Nous ne nous sommes jamais aimés de ton vivant, tu le sais bien. Tous les deux, nous avons fait semblant. » Règlement de comptes ? Non, ce serait trop bas. Fidèle à sa devise (héritée de son père), Simenon tente de comprendre sa mère sans la juger. Cette lettre, rédigée trois ans après sa mort, en 1974, Henriette Brüll ne la lira jamais.
Toute cette femme tient peut-être dans ses origines. Treizième d’une famille de treize enfants, mi-allemande, mi-flamande, née dans le Limbourg où son père était « dijkmaster ». Simenon tirera de ce terreau l’un de ses romans les plus durs : « La maison du canal ». A sa naissance, son père est déjà ruiné. Il s'installe à Liège et meurt alcoolique quand la petite n’a que cinq ans. Elle restera petite, nerveuse, pâlichonne. Un oiseau pour le chat. Toute sa vie, elle devra se battre. Et elle enterrera tout le monde. Elle imposera sa volonté à Désiré, un homme d’un mètre quatre-vingt-cinq, l’aîné d'une famille de treize enfants issue du cœur populaire de Liège. Soucieuse d'assurer ses vieux jours, elle louera des chambres à des étudiants étrangers, imposant à son placide époux le compagnonnage de Polonais, de Russes chez qui le petit Georges puisera, plus tard, des personnages puissants (c’est le cas de manière exemplaire dans « Crime impuni »). La cadette des Brüll n’entrera jamais vraiment dans le clan Simenon. Elle n'arrivera jamais à comprendre comment son fils peut gagner beaucoup d’argent en écrivant : « je n’ai jamais pu te convaincre que je travaillais ». Elle refusera tout ce qui vient de son fils, lui rendant dans une enveloppe, à la fin de sa vie « tout l’argent que je t’avais envoyé dans une enveloppe, mois après mois, pendant près de cinquante ans. » On comprend où Simenon a puisé quand il a décrit les relations de Joris Terlinck (« Le bourgmestre de Furnes ») et de sa vieille mère. Quand il raconte le remariage d’Henriette avec un employé du chemin de fer qui pourra lui donner une pension, quand il décrit le soupçon puis la haine s'installant dans le couple au point qu'ils se préparent chacun leur cuisine et ne communiquent plus que par billets, on découvre la source de ce terrible roman : « Le chat ». A-t-elle dit vraiment, longtemps après la mort du fils cadet, Christian, celui qu'elle aimait : « Comme c'est dommage, Georges, que ce soit Christian qui soit mort » ?
Ce qui est certain, c’est que les marques d’affection étaient bannies entre la mère et le fils, comme les marques de bonheur semblaient bannies chez la mère : « Je ne t'ai jamais appelée maman. » « Tu subissais la vie. Tu ne la vivais pas. »
Simenon et sa mère sont-ils un cas unique ? Il ne le pense pas. De cette expérience personnelle, il tire le sentiment général que nous ne connaissons jamais nos semblables, nos proches : « Je suis stupéfait de découvrir le vide qui peut exister entre deux générations alors que chacun de nous tient, par ses gènes, sinon par son éducation, une ressemblance avec ses parents. » A la fin de sa lettre, le romancier croit avoir découvert la vérité de sa mère, le fil conducteur de toute une vie : « ta volonté féroce d'être bonne pour les autres, mais peut-être, surtout, pour toi. »

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Les éditions

  • Lettre à ma mère [Texte imprimé] Georges Simenon
    de Simenon, Georges
    Omnibus / Carnets Omnibus.
    ISBN : 9782258052659 ; 8,78 € ; 19/08/1999 ; 112 p. ; Poche
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" Tu les as eus tous ! "

8 étoiles

Critique de Catinus (Liège, Inscrit le 28 février 2003, 73 ans) - 19 janvier 2010

On ne peut pas dire que c’était le grand amour entre Georges Simenon et sa mère. Cela, non, on ne peut vraiment pas le dire :
Lui : « Nous ne nous sommes jamais aimés de notre vivant, tu le sais bien. Tous les deux nous avons fait semblant. «
Elle ( se référant à son plus jeune fils très tôt décédé ) : « Comme c’est dommage, Georges, que c’est Christian qui soit mort ( le premier ) … Il était si tendre , si affectueux … «
Madame Simenon mère est obsédée par le fait d’assurer ses vieux jours, car elle ne peut pas compter sur son mari qui ne touchera qu’une maigre retraite. Elle va donc trimer toute sa vie, refusant toute aide, se réfugiant dans cette pauvreté qu’elle a toujours connue. Elle est acariâtre, égocentrique et obstinée. Elle a son plan pour réussir dans son entreprise : louer des chambres d’étudiants, se remarier avec un célibataire qui a « une bonne place « aux chemins de fer belges. Simenon a cette phase terrible en parlant d’elle : « Tu les as eus tous ! « .

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