La seconde vie d'Abram Potz de Foulek Ringelheim
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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"Salauds de jeunes!"
Bien remplie, la seconde vie d’Abram Potz.
Bien remplie mais courte. Forcément. A quatre-vingt six ans, on ne peut pas dire qu'on l’a devant soi, sa vie. Alors, pour ce qu’il en reste, pourquoi ne pas s'amuser un peu ? Pourquoi ne pas reprendre pour soi le programme de Thomas de Quincey : « De l'assassinat considéré comme un des beaux-arts » ? Devenir le doyen mondial des tueurs en série ? Passer à la postérité en bravant à la chaîne l’interdit capital ? Aussi tôt dit aussitôt fait : « J'ai tué un homme qui ne m’avait rien fait ». L'incipit est là, sobre et brutal. Le roman sera le récit de ce premier meurtre et de ceux qui le suivront.
« Je suis un psychanalyste juif ashkénaze en voie de décomposition, à la mémoire déclinante, à l’intelligence essoufflée, au sexe grabataire. » Tout Potz tient dans cet autoportrait. Tout Potz que nous découvrirons tour à tour psychanalyste (il lui reste quelques clients), juif (qu’est-ce qu’un juif ? Le juif, c'est l'autre.), déclinant des neurones (le combat permanent contre Alzheimer), paralysé du sexe (malgré le dévouement patient de certaines dames). Tout cela et bien plus : vieux. Vieux portant comme un fardeau l’horreur de la déchéance et décidé à se venger des jeunes : « Ô jeunesse ennemie ! Je hais les jeunes autant que je leur fais horreur. Eux et moi nous sommes faits pour nous haïr : ils sont ce que je fus, je suis ce qu’ils seront. » A travers ces échos de Corneille perce un nihilisme à la Cioran qui trouvera bientôt un autre exutoire que les mots. « La solitude du vieillard est un avant-goût du néant. » Après Cioran, c’est Sartre que revisite Abram Potz : « l'enfer, c’est les jeunes. » Enfin vient le tour d’Autant-Lara, avec cette exclamation qui rappelle le Gabin de La traversée de Paris : « Salauds de jeunes ! »
C’est qu'elle est lourde à porter, la vie d’un vieillard. C’est qu'il est souvent cruel, le regard des jeunes, ou seulement des moins vieux. C'est que ce n’est peut-être pas la mort qui est notre ennemie, mais ce lent pourrissement sur pied : la vieillesse. Potz décrit ce compagnonnage avec un mélange d'ironie et de lucidité : «Chaque soir, quand je me couche, je pense que j’ai des chances sérieuses de ne pas me réveiller. Alors, à toutes fins utiles, je me dis adieu.» «C'est peu dire que la mort rôde : elle est collée à mon dos comme une ventouse. Qu’est-ce qu’elle attend ? Assis dans mon fauteuil, je tue le temps. Faux : on ne tue pas le temps, c'est lui qui nous tue.» «La peine de mort, je la demande comme une grâce : la peine de vie est pour moi la peine capitale.»
Alors, pour tuer le temps, Potz tue. Un peu au petit bonheur, la première fois. Puis avec méthode, avec application. Avec talent. Sous le regard, ou presque, du juge Goth (God ?), le héros du premier roman de Foulek Ringelheim qui joue un peu le rôle du personnage reparaissant donnant une cohérence à cette œuvre naissante. Sous le regard, aussi, de l’analyste qui est en lui : après le premier meurtre, Potz se sent fatigué, il a beaucoup marché, ses chevilles sont enflées d'œdème. œdipe, oui. Tuer, c’est toujours un peu tuer le père. Ou le Père.
Et la geste de Potz ira jusqu'à son terme. Potz partagé entre le désir de mourir à son tour, de voir ses actes enfin reconnus, de connaître l'apothéose d'un beau procès ou, simplement, d’un belle fin, d’un dénouement de tragédie. Un dénouement bien juif, somme toute, qui évoque aussi celui du "Rhinocéros" d’Ionesco. Un dénouement faute de mieux, peut-être. Faute de pouvoir mettre en œuvre ce suprême fantasme d'Abram Potz, cet ultime sacrilège de vieux clown : «Dommage que l’on ne puisse mourir à volonté, d'une bonne poussée, comme on vide ses intestins, comme on évacue un calcul aux reins. On pousserait, on pousserait, et on expulserait son âme comme un excrément. On mourrait dans son froc. Comme ce serait simple».
Les éditions
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La seconde vie d'Abram Potz de Foulek Ringelheim
de Ringelheim, Foulek
Editions Luc Pire / Embarcadère
ISBN : 9782871453475 ; 01/01/2003 ; 200 p.
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Les critiques éclairs (5)
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Du plaisir à l'état pur !
Critique de Fabi-lec (, Inscrite le 25 février 2006, 53 ans) - 25 février 2006
Alors, simplement un commentaire supplémentaire pour les lecteurs qui n'auraient pas eu la chance de tomber sur ce merveilleux livre et qui douteraient encore.
Certains livres me plaisent mais "la seconde vie d'abram Potz", c'est mon "moi" marqué à vie de cette lecture, de cet intense bonheur provoqué par des mots justes et incisifs.
Je suis restée très touchée par ce livre.
En outre, j'ai eu la chance de recevoir une réponse de l'auteur, à la bafouille que je lui avais envoyée.
A lire absolument.
Fab-lec
Un homme plein de coeur et d'humour
Critique de Mam (, Inscrite le 15 mai 2005, 70 ans) - 15 mai 2005
Politiquement incorrect
Critique de Tophiv (Reignier (Fr), Inscrit le 13 juillet 2001, 49 ans) - 25 août 2004
Il le fait d'ailleurs bien plus subtilement que n'importe quelle Amélie Nothomb. Ici, ça sent le "vrai", pas l'exercice de style.
Potz est immonde mais il est pathétique, presque sympathique lorsqu’il nous parle de cette détresse profonde de la vieillesse, de cette déchéance du corps qui vous refuse les plaisirs qu’il vous offrait, de cet ultimatum arrivant à échéance dans quelques jours, secondes … quand ? Que reste t’il quand on n’a plus d’avenir ? Quels regards la société porte elle sur ses vieux ?
« Ô jeunesse ennemie ! Je hais les jeunes autant que je leur fais horreur. Eux et moi nous sommes faits pour nous haïr : ils sont ce que je fus, je suis ce qu’ils seront. »
« Comme si mourir ne suffisait pas, l’homme doit d’abord pourrir sur pied .»
« La solitude du vieillard est un avant goût du néant. »
La fin de ce livre m’a remémoré « Le journal d’un fou » de Nicolas Gogol. Potz perd peu à peu pied et devient paranoïaque. Et d’ailleurs, à quel moment du livre commence la « folie » de Potz ?
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Merci aux critiqueurs précédents sans qui je n’aurais pas découvert ce livre.
Tuer, comme ça...
Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans) - 26 juin 2004
A lire avec plaisir si l’on cherche une lecture surprenante avec un vieux monsieur rêvant de devenir le doyen universel des tueurs en série. Pas commun comme ambition ! Surtout à 86 ans bien faits et une vie plutôt derrière que devant soi. Qu’à cela ne tienne, Abram Potz, enquiquineur patenté, décide qu’il doit s’amuser et égayer ses dernières années de vie. Il appartient au club des Voyages d’Hippocrate, un club élitiste insupportable de médecins qui passent leur temps à voyager en compagnie de leurs femmes, légitimes ou non. Il s’ennuie et décide de mettre ses théories en application lors d’une des escapades du groupe : il veut tuer et il tuera. Un premier meurtre, début d’une série décapante dans laquelle Abram Potz fait preuve d’une mauvaise foi à gifler et d’une suffisance qui laisse pantois. Des remords ou des scrupules ? Allons donc ! Pourquoi faire ?
Malgré ses côtés sombres et égoïstes, je dois bien reconnaître que je me suis rapidement attachée au personnage en vain diabolisé par Ringelheim. Potz est vieux, malade, impuissant, alzheimerisé, seul, psychanalyste abandonné par ses patients et juif en quête d’identité. Un homme qui supporte difficilement le poids de la vieillesse et le regard des plus jeunes, tantôt dur tantôt compatissant. La pitié, il n’en veut pas, tous des ordures ces jeunots !
Abram Potz a peur que le temps le tue en le faisant pourrir, alors pour éviter cela, il décide de tuer, non pas le temps, mais des gens, histoire d’occuper le temps. Et il se débrouille plutôt bien, y mettant beaucoup de passion et aussi de préparation, de minutie, de réflexion…
Dans l’ombre, on retrouve le regard du juge Goth, le héros du premier roman de Ringelheim. Qui assiste, impassible (mais pas trop) aux débuts de meurtrier de Potz. Celui-ci sera forcément pris au piège un jour, il le sait, mais l’ivresse de la mort et une reconnaissance, tardive mais réelle, de sa personne sont plus fortes que tout.
Avec entre les lignes, une grande tristesse et une mélancolie de plus en plus présente au fil des pages : dommage qu’on ne puisse pas mourir à volonté. Tuer les autres semble si simple. Mais mourir soi-même, cela devient tout de suite beaucoup plus compliqué.
Un récit surprenant, un brin dérangeant (on se surprend à aimer un tueur infect et râleur), qui pose quelques interrogations importantes sur la mort et le prix de la vie.
86 ANS ET TOUTES SES DENTS
Critique de Miller (STREPY, Inscrit le 15 mars 2001, 68 ans) - 16 novembre 2003
certes. Mais, gaffe, ça va bouger. Une réflexion hilare, jamais pompeuse, élégamment lubrique, à travers un personnage qui donne des claques aux têtes à claques du jeunisme matérialiste, nourri à la star cathodique. " Malgré le gouffre des 35 ans qui nous sépare, Claudine me tutoie avec une aisance qui m’enchante. Quand on est à tu et à toi avec la mort, le tutoiement d'une jeune dame est inestimable ". On voyage dans divers endroits du globe, à la suite de conférenciers-touristes tirés du monde médical.
Il y a les Carnets du bourlingueur, voilà ceux d’un vieux voyeur ( jamais glauque) avec stimulateur cardiaque, au regard hyper stimulé et stimulant. Grand voyeur.
On notera un pont avec Goth, le juge, le personnage de son premier roman. " dont le strabisme lui donne un air profondément couillon. ". Au final, tout ça nous donne à voir de l’astuce, un savoir faire littéraire. Foulek, dans la peau d'une sorte Buster Keaton octogénaire sous bêtabloquant,
qui joue avec la mort comme de la dynamite, on file, rue Turbigo, Paris, l'atelier de confection, on file, on file, la Pologne de la famille Potz, Abram Potz, le personnage, est encore aux billets de 500 francs, donné à une femme de chambre polonaise ,
pour une ultime doudouce sous un elecro-sexogramme plat où s'effeuille la question juive selon Abram Potz.
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