Faute d'éternité, écrire de Marcel Migozzi

Faute d'éternité, écrire de Marcel Migozzi

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Eric Eliès, le 28 septembre 2014 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 10 étoiles
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Ecrit pour être lu / reçu / aimé au-delà des mots

Dissipons tout d’abord un éventuel malentendu sur le titre qu’une lecture inversée pourrait interpréter à tort : il ne s’agit pas ici d’écrire pour gagner l’immortalité factice d’une gloire posthume qui permettrait à l’auteur de survivre dans les manuels d’histoire littéraire mais d’écrire parce que, faute d’éternité, les instants vécus ne reviendront plus et sont perdus si l’écriture le les sauve pas. Seul l’écrit peut conserver une trace de la chaleur du présent qui s’évanouit et devient progressivement souvenir enfoui dans la mémoire. Tout s’effacera quand la mort viendra mais tout aura déjà depuis longtemps fané dans la fuite du temps, sauf ce que l’écriture aura pu préserver. La poésie véritable ne se conçoit que dans la perspective de cette fin inéluctable et de la perte qu’elle engendre. « Tout est dans perdre » était d’ailleurs le titre d’un précédent recueil de Marcel Migozzi.

Les poèmes de « Faute d’éternité, écrire » évoquent, sous le signe omniprésent de la mort et avec une grande sincérité (Marcel Migozzi est né en 1936), les instants vécus :

J’en suis à ressusciter
Cet enfant qui jouait dans mes incertitudes
Mais il reste si peu de temps pour lui écrire
Espère

****************

Si le poème ah pouvait être
Ce grand bidon fer-blanc de lait
A la barrière de l’enfance

*******

Sur le chemin vers le dedans
Troué
Qu’avons-nous à offrir
Même en douceur ? La fin
D’une vieille rencontre ?

**************

N’aura jamais la bonne odeur de tes tomates
L’au-delà

Ils interrogent en permanence l’écriture elle-même, avec une lucidité qui est le sceau des grands poètes, sur l’incapacité des mots à ressusciter la densité de présence de la vie et des êtres chers disparus (" Comptons sur le silence / Pour que le mort soit dans le cœur / De quelques-uns") :

Quel lien entre blessure et fin
De phrase ?
La main saigne et à fuir
Dans les mots, se
Condamne à ses os

************

Et qui lirait ces mots d’un vivant
D’hier
Entendrait des silences sous vide.
Comment écrire en ce désordre
De pages cachetées par de vieux souvenirs ?

*****************

Qu’est-ce qui est écrit, donné
Pour être aimé,
Sachant l’écrit sans avenir ?
Ecrire donne
Et reprend donc
Du même coup ?
Ah réponds même en cendres
Froides

********************

Si on demande une réponse
Le poème répondra
Quoi ?
Pas un seul mot de vérité
A pouvoir absolu

Néanmoins, de la chaleur passe dans ces poèmes écrits « sur le livre des vivants », qui ne sont pas les fossiles desséchés d’une mémoire qui se ressasserait en déposant sur la page, comme le font les vagues sur la plage, des laisses de mer et des bois flottés… L’auteur transparaît à chaque ligne, assumant le « je » et le « nous » avec des vers écrits au passé, au présent et au futur qui fondent la plénitude d’une vie. Et au-delà de la perfection formelle des poèmes, profonds et poignants mais dénués de toute emphase, trois textes manuscrits attestent, dans les tensions et les imperfections de l’écriture manuscrite (dont Christian Dotremont disait qu’elle est la seule façon d’écrire un poème car l’écriture typographique arase et banalise tout), qu’un homme, mortel et le sachant, est l’auteur de ces poèmes.

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