Terminus radieux de Antoine Volodine
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Peu importe
Il n’est pas surprenant, lorsque l’on lit un roman de Volodine, que les personnages meurent bien avant la fin de leur histoire. Ici, dans Terminus radieux, dès la toute première page, « la mourante gémit », et quoique ses compagnons lui recommandent de ne pas s’en faire, on comprend bien que ça sent le roussi. D’ailleurs, deux pages plus loin, c’est tout le petit groupe qui s’inquiète : « Ils continuaient à avancer, mais, quand ils s’allongeaient par terre pour la nuit, ils se demandaient s’ils n’étaient pas déjà morts. Ils se demandaient cela sans plaisanter. Ils n’avaient pas les éléments pour répondre. » Nous non plus, du reste. Mais ce genre de phénomène n’a jamais beaucoup d’importance dans l’univers post-exotique ; au final cela ne change pas grand-chose. Qu’il soit mort ou vivant, Elli Kronauer n’en finira pas moins par aller chercher de l’eau et, après être tombé nez à nez sur Samiya Schmidt dans la taïga, par arriver au kolkhoze Terminus radieux ; qu’il soit mort ou vivant, Iliouchenko, le deuxième compagnon de la mourante, n’en arpentera pas moins la steppe à bord d’un train rempli d’autres morts et/ou vivants à la recherche d’un camp où vivre un idéal collectiviste et concentrationnaire. La mort, chez Volodine, a si peu d’importance qu’un des habitants du kolkhoze est « fréquemment victime de ce que la sagesse populaire appelle le décès » sans que ça ne l’empêche pour autant de vivre sa vie de liquidateur.
On retrouve donc, dans ce dernier ouvrage post-exotique, certains éléments familiers. Quand s’ouvre le roman, l’Orbise vient de tomber, et avec elle, les derniers bastions de résistance de la deuxième Union Soviétique. Depuis que le monde est retombé sous le joug des barbares capitalistes, Kronauer, Iliouchenko et Vassilissa Marachvili, ayant échappé aux massacres, errent dans les plaines sibériennes irradiées qu’une série d’accidents nucléaires a rendues totalement inhabitables. Ils s’inscrivent tous les trois dans la lignées des personnages post-exotiques : ils sont vaincus et au bout du rouleau, des Untermenschen, et dans l’attente d’être morts — à moins, donc, qu’ils ne le soient déjà ; ce qui finalement ne change pas grand-chose —, ils errent dans un monde lui aussi tout à fait typique du post-exotisme.
Un mot à son propos. Ce qui m’avait d’abord séduit, lorsque dans Avec les moines soldats de Lutz Bassmann, je découvrais sur le tard l’univers post-exotique, ç’avait été ce décor de côte sur laquelle s’était rassemblé ce qui restait de l’humanité. Or, j’entendais tout récemment Volodine déclarer qu’il avait pour volonté, dans son processus créatif, de produire des images. Il y réussit à nouveau grâce à cette steppe immense et dévastée où l’homme n’a plus sa place, à cette taïga dans laquelle il se perd pour l’éternité et à ces trains forcément blindés qui « vers le milieu de la matinée, [stoppent] en pleine terre de nulle part ». Volodine ne nie pas l’influence du cinéma russe et dans son Terminus radieux, il nous transporte dans une sorte de « Zone » à la Stalker où l’homme ne doit pas pénétrer, mais où s’il y pénètre, les rêves deviennent possibles.
Or, de rêves, il en sera question, dans Terminus radieux, car dès qu’on entre dans la taïga, et plus encore au kolkhoze Terminus radieux, « on est avant tout rêvé par Solovieï ». Solovieï, c’est le président du kolkhoze où il réside en compagnie de ses trois filles qui le haïssent, de sa femme la Mémé Oudgoul, bien partie pour être immortelle et qui parle à pile nucléaire pour l’apaiser, et de quelques autres personnages immortels ou déjà morts qui comptent à peu près pour quantité négligeable et qui sont principalement chargés de nourrir cette même pile, enfouie deux kilomètres plus bas, avec des objets qui ne servent plus, comme des moissonneuses-batteuses ou des institutrices. Solovieï, dans un roman contemporain, dans un roman qui se déroulerait avant la chute de la deuxième URSS, ce serait une sorte de super-méchant contre lequel un pauvre soldat loqueteux comme Kronauer n’aurait pas beaucoup de chances, mais qu’au terme d’un insoutenable suspense, il déferait peut-être.
Mais Solovieï dans un roman post-exotique, il est un puissant thaumaturge et il est peut-être surtout le dernier écrivain post-exotique qui, condamné à être immortel, se raconte des histoires et s’invente maîtresses et ennemis en attendant d’être mort — à moins que… vous savez bien — ; il est peut-être même Volodine lui-même, qui écrit cette histoire et nous transmet depuis si longtemps la voix des écrivains post-exotiques — Lutz Bassmann, Maria Soudaïeva, Manuela Draeger, pour ceux que l’on peut lire ; Maria Kwoll, Linda Woo, Hannko Vogoulian ou Solovieï lui-même parmi les nombreux dont les textes ne sont qu’évoqués dans les livres des autres — qui ne nous parvient qu’à travers lui. Des écrivains post-exotiques auxquels il rendait hommage dans son dernier ouvrage (avant-dernier, maintenant), sobrement intitulé Ecrivains et aussi paru au Seuil. Or, parmi ces écrivains, il en est un justement qui s’appelle Elli Kronauer, un « homonyme » de notre héros, qui avait publié chez L’école des loisirs un petit texte reprenant la byline russe du rossignol brigand. Or, « rossignol », c’est « solovieï » en russe. Coïncidence heureuse et qui constitue un prétexte pour se (re)plonger dans l’univers post-exotique ! Terminus radieux, avec une narration plus conventionnelle qu’à l’accoutumée et son atmosphère envoûtante, est par ailleurs une très bonne porte d’entrée.
Les éditions
-
Terminus radieux, roman
de Volodine, Antoine
Seuil / Fiction & Cie
ISBN : 9782021139044 ; 16,00 € ; 21/08/2014 ; Broché -
Terminus radieux [Texte imprimé]
de Volodine, Antoine
Points
ISBN : 9782757854709 ; 8,90 € ; 20/08/2015 ; 576 p. ; Broché -
Terminus radieux
de Volodine, Antoine
Seuil / Fiction & Cie
ISBN : 9782021141672 ; EUR 8,99 ; 21/08/2014 ; 616 p. ; Format Kindle
Les livres liés
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du grand guignol ?
Critique de Deinos (, Inscrit le 14 février 2009, 62 ans) - 17 janvier 2016
Juger inclassable, Volodine créa le terme post-exotisme, terme qu'il dit être à l'origine vide de sens avant d'en construire le concept...
Certes Volodine maîtrise la langue... bon les énumérations lassent un peu... mais il y a une écriture, un style... sur ce plan ce livre est une beauté littéraire...
Le hic, car il y a un hic, c'est le contenu qui, si dans un premier temps me semblait avoir une certaine densité, vire petit à petit au grand guignol, à la farce involontaire, au grotesque... à force de mêler réalité et rêve avec désastre nucléaire et chamanisme, le texte m'évoqua une pantalonnade non désirée par l'auteur.
Et de là l'ennui, le désir intense de poser ce livre qui se délite... ce qui advint d'ailleurs, n'ayant pu l'achever tellement il me paraissait vide.
Désolations
Critique de Isad (, Inscrite le 3 avril 2011, - ans) - 14 mai 2015
Il y a plusieurs niveaux de langage selon qu'il s'agit de descriptions ou qu'un personnage parle. Il y a également une typographie différente pour certains passages « lus ». Chaque paragraphe est aussi matérialisé par une puce.
Un groupe de 3 personnes fuient l'ordre vainqueur et franchissent la clôture des territoires vides. Nous sommes alors dans une Sibérie post-cataclysmique désolée, polluée, dévastée par les guerres, aux rares habitants plus ou moins mutants qui attendent… la fin.
IF-0515-4333
Je n'arrive pas à le finir !
Critique de DE GOUGE (Nantes, Inscrite le 30 septembre 2011, 68 ans) - 15 janvier 2015
Ce monde, atroce, où évoluent des êtres survivants du post-communisme mourant, irradiés (pour de vrai) vivants dans un réflexe de conservation d'une idéologie qui les a détruits, sont fascinants et pathétiques.
Ils croisent, en pleine taïga, la route d'un illuminé grave, destructeur en diable, oscillant entre vie et mort, porteur d'un redoutable pouvoir d'entrée et de manipulation de la psyché de l'autre et physiquement quasi-indestructible.
Amoureux et possessif en diable de ses 3 filles, avec l'aide d'une ancienne maîtresse, ce personnage utilise, détruit et fait survivre une vraie-fausse vie quotidienne, dans un Kolkhoze au milieu de nulle part.
Et tout s'emballe, très, très lentement, à la mesure de la vie (?) détruite des protagonistes...
Les délires de Soloviei (le vieux fou dominateur) s'ils fascinent au début, deviennent d'un ennui mortel.
La pression, la désespérance qui s'installe, le désespoir au quotidien -et quel quotidien, les pages s'allongent encore et encore dans un immobilisme déprimant- rendent, à la longue, cet ouvrage difficile à lire, voire, ben oui j'ose le dire, terriblement ennuyeux.
On est pris dans une spirale infernale et affreusement lente, ou désespérance et fatalisme sont les maîtres-mots.
L'écriture est parfois fascinante, hallucinante, parfois ennuyeuse en diable.
Je ne m'y retrouve pas. Je vais m'obstiner et tenter de finir ce livre (mais tant d'autres m'attendent).
Aujourd'hui, je suis partagée, devant cet ouvrage qui ne me laisse pas indifférente, entre des rares moments de plaisir et de longues plages d'ennui.
A vous de voir !
Interminables radiations ou "show-effroi"
Critique de Radetsky (, Inscrit le 13 août 2009, 81 ans) - 27 décembre 2014
Contexte général : La catastrophe ultime a frappé le genre humain, le condamnant à un plus ou moins proche anéantissement, dans une désagrégation générale de toute société, de tout lien, de tout sentiment, de tout espoir. Et rien ne va changer, hélas, "...lasciate ogni speranza voi ch'entrate..." (vous qui entrez, abandonnez tout espoir) car personne ne sortira de cet enfer-ci, pas plus que de celui de Dante.
A un moment donné, peu après les cinquante premières pages, on se dit que les Russes et consorts n'avaient rien appris des leçons du XXe siècle et que le fait d'avoir reconstitué une Deuxième Union Soviétique sur la base des mêmes structures et des mêmes modes de pensée poussés jusqu'au bout de leurs contradictions, ne pouvait conduire qu'au même résultat. Mais ce n'est pas la question semble-t-il (alors, à quoi bon le signaler en insistant de manière itérative et pesante sur l'héritage idéologique soviétique dont personne n'a rien appris ?), ce ne seraient là que détails contingents.
Volodine pouvait inventer autre chose...
Au fil des élucubrations d'ivrogne, proférées sur des longueurs et des longueurs par la bouche d'un paranoïaque incestueux (Solovieï) qui empeste le bouquin du début à la fin, à l'instar des senteurs de pourriture, de déchets, de sang, de charogne, d'humeurs putrides et de songes poisseux, on se dit que le destin prévisible de ces malheureux méritait un peu moins d'étalage et autant de minutie dans l'histoire ancienne de leurs déchéances que dans la description voyeuriste de leurs agonies.
Un conte pour ados "gothiques" friands de suivre, au fil des bouffées d'acné et de particules, les destins de trois jolis culs féminins inaccessibles, d'une part en raison de la mainmise sur leur esprit par leur vieux cochon de père, cité plus haut, d'autre part de leur obsession du "langage de queue" à quoi est censée se résumer l'affectivité générale des mâles au rut redouté autant que fantasmé. C'était notre séquence "érotisme quantique".
On se prend pourtant à guetter, ici ou là, la survenue d'un sursaut, d'une possibilité libératrice : ça ne finit jamais que par une mort plus ou moins ignominieuse. Ou une non-mort qui n'est pas une vie, ni une non-vie... vous suivez ?
Quant à l'écriture, elle colle bien sûr au sujet, formée d'une armature générale immuable, celle d'une manière de compte rendu zoo-anthropologique, sur le ton d'un rapport au Comité Central (la phrase et le vocabulaire sont à l'image du reste) ; viennent y adhérer tels fragments de discours, souvent soumis à des répétitions appuyées et autres scansions incantatoires qui n'en finissent pas, ou tels dialogues sans queue ni tête, outre les inventions botaniques dispersées ça et là pour faire joli ou mystérieux, bref, un bruit de fond usant de procédés destinés à renforcer l'effet d'hypnose générale et le sentimentt de nausée que l'évidence de la suite provoque inévitablement..
On m'objectera qu'il s'agit d'un conte, d'un rêve, d'une allégorie, d'une forme de "légende du futur", telle qu'en produit à la tonne (mégatonne en l’occurrence) la science-fiction et que la trame historique n'est là que pour servir de chevalet à la peinture d'un monde irréel imaginé par un type en overdose terminale, lui aussi, et largement alimenté en "shit" par la déliquescente flore mutante et irradiée des steppes et de la taïga. C'est à peu près toute la substance du livre : une littérature sui generis dans un huis clos de maniaco-dépressif. Si le but de Volodine se restreint à vouloir créer ou susciter des images (et à mon avis il ne vise à rien d'autre), les divers stupéfiants disponibles sur le marché suffiraient...ça coûterait évidemment plus cher que le prix du bouquin. Parfois on m'assure que la littérature est sauve et remplit son rôle; je suis tenté de répondre que la pauvre fille a été abusée par un roublard et qu'elle a eu jadis un destin plus ambitieux...
La tragédie née dans ces parties du monde en particulier, et par voie de conséquence chez une grande partie de l'humanité en général, même dans ses possibles développements futurs, méritait autre chose.
Et, qu'on me pardonne, je suis totalement imperméable et insensible à cette pseudo-magie mêlant bouillon chamanique, sauce de particules, culture russe, légendes sibériennes, sociologie des zombies, rêve éveillé, cauchemar luciferien, divagations oniriques, putréfaction généralisée et improbable éternité par l'atome (la Mémé sorcière Oudgoul), etc. etc., surtout si ladite magie, dénaturée (au sens étymologique) de cette manière, tend au procédé, au "filon" esthético-littéraire. Un Grand Guignol à l'ére post-atomique aurait trouvé son chantre, son barde...?
Ainsi l'écrivain s'est-il essayé à créer un univers stylistique privé, un paradis confidentiel pour happy fews, avec pour effet la naissance d'une pseudo "école" où personne ne lui disputerait la vedette ; univers clos, caisson hyperbare, chambre d'échos ou chambre à bulles, totalement à l'abri du monde concret, le Grand Utérus Primordial-Final où tout macère et s'agite vers le retour à la soupe initiale d'après le Big-Bang (un Big Crunch en devenir) ...en vain ; l'un des protagonistes essentiels du "Terminus" étant la chaleur, les bouffées de chaleur, la tiédeur humide, les vapeurs enveloppant quiconque y est enclos, d'où : sortir = mourir (heu...?).
Une dernière remarque m'est venue à l'esprit concernant le contexte général. La Russie, de tout temps, a été une terre de mystiques. Ses écrivains en portent témoignage, Gogol, Tolstoï, l'immense Dostoïevski, même ceux semblant les plus éloignés d'un dieu (ainsi Babel, chez qui l'esprit des tsaddikim hassidiques est bel et bien là), n'échappent pas à la règle. On pourrait y apparenter Volodine, mais Volodine tourne en rond. Ni la mystique chrétienne, ni la mystique juive russes ne se parent de sinistrose en évitant soigneusement ne serait-ce que d'esquisser une eschatologie. Ce que j'ai vraiment et vainement cherché à entrevoir.
Faute de mystiques, ne restent que les moustiques grillés au gré de leurs contacts avec quelque matériau irradié.
Une fois franchie la frontière marquant la moitié du bouquin, on n'attend plus rien, à l'instar des protagonistes et on se dit : "vivement la quille". Après quoi on s'ennuie...à mourir.
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Post-exotisme, genre littéraire ou effet de mode ? | 36 | Radetsky | 31 décembre 2014 @ 13:46 |