Dictionnaire de la racaille : Le manuscrit secret d'un commissaire de police parisien au XIXe siècle de Adolphe Gronfier

Dictionnaire de la racaille : Le manuscrit secret d'un commissaire de police parisien au XIXe siècle de Adolphe Gronfier

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités , Sciences humaines et exactes => Essais , Sciences humaines et exactes => Divers

Critiqué par Eric Eliès, le 2 août 2014 (Inscrit le 22 décembre 2011, 50 ans)
La note : 9 étoiles
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Un témoignage sur la vie quotidienne et la truanderie à Paris au XIXème siècle

Ce curieux dictionnaire est en fait la recopie intégrale des très longues annotations (presque des dissertations) rédigées par le commissaire de police Adolphe Gronfier dans le « dictionnaire général de police administrative et judiciaire ». Dans la préface, il est précisé qu’Adolphe Gronfier ne fut pas un commissaire remarquable, sauf par ses aptitudes au travail de secrétaire (il était bachelier es-lettres et aurait sans aucun doute pu s'engager dans une autre carrière que celle de commissaire) : il fut à plusieurs reprises l’objet de plaintes écrites en raison de son désintérêt pour le terrain et de son manque de soin à traiter les affaires, voire à accueillir convenablement les plaignants.

Ce dictionnaire est indispensable pour quiconque s’intéresserait à la vie quotidienne dans le Paris de la fin du XIXème. En effet, Gronfier, qui fit œuvre d'encyclopédiste ou de moine copiste (les photos du dictionnaire annoté par ses soins ressemble fortement à un manuscrit du moyen-âge), enrichit ses annotations de nombreux exemples et détaille précisément, parfois avec beaucoup d’humour, les combines et les arnaques du petit peuple parisien pour plumer le badaud ou le provincial de passage. Les articles « camelots », « rastaquouères pour femmes », « mendicité » et « terreurs » dressent des portraits plein de verve des figures de la truanderie parisienne tout en déplorant les freins qui entravent l'efficacité de la police. Le dictionnaire contient de très longs articles qui expliquent le fonctionnement de la gendarmerie, des journaux, des tribunaux, des prisons, de la fourrière, etc. ou présentent l’organisation de la prostitution (qui faisait l’objet d’une tolérance dans les maisons où elle était officiellement déclarée), des fraudes alimentaires (huile d’olive, beurre, pâtisseries, confitures, café, sirop de gomme, etc. fabriqués avec des hydrocarbures ou des produits frelatés, etc.), des foires (nombreux jeux et baraques propices aux arnaques) et de la mendicité (qui était en fait très organisée). Il contient aussi de courts articles pour traiter de sujets quotidiens ou de société (dont certains oubliés comme l'émigration massive vers l'Argentine organisée par des recruteurs vantant les avantages de ce pays et les espoirs de prospérité), allant jusqu’à poser des questions telles que « a-t-on le droit de siffler dans les théâtres ? » (pour le commissaire, la réponse est que le public a le droit de siffler de même qu’il a le droit d’applaudir et ne doit être expulsé que s’il perturbe la salle). A ce titre, plusieurs articles montrent que la société moderne n’est pas si éloignée de celle de la fin du XIXème et que certains problèmes sociaux actuels se posaient déjà avec acuité il y a une centaine d’années…

Au-delà des procédures et du fonctionnement des institutions, Gronfier s’intéresse fortement aux mœurs et aux conditions de vie (exemple : articles « mariage », « inceste », « braconnage», « hospice », « duel », « hôpitaux », « asile d'aliénés », « faillite », « droit des animaux », etc.) et présente quelques métiers aujourd’hui disparus (« cocher », « colporteur », « crieur », « désinfecteur », etc.). Gronfier est un homme cultivé, qui élargit sa réflexion aux coutumes des autres Etats (notamment l'Angleterre et la Suisse) ; il semble convaincu que la tyrannie de l’argent et la misère dans laquelle vivent de nombreuses personnes constituent un terreau fertile pour la criminalité et se montre très caustique envers les parlementaires et les hommes politiques, démagogues incapables de traiter efficacement les grands problèmes de la société et indûment protégés par leur immunité. Gronfier est à la fois un républicain convaincu, soucieux des droits et des intérêts du peuple, et un partisan résolu de la peine de mort ; ses longs articles « exécution capitale » et « droit de grâce » constituent le plaidoyer pour la peine de mort le plus raisonnablement argumenté que j’ai jamais lu. Selon lui, l’effet dissuasif de la peine de mort est évident puisque son abolition dans les faits par l’utilisation systématique du droit de grâce présidentiel provoqua une hausse très significative des crimes et des meurtres (ce qui incita la Suisse à rétablir la peine de mort qu’elle avait abolie). En fait, ce que montre ce dictionnaire, c’est que la peine de mort faisait déjà l’objet de très nombreux débats éthiques au XIXème siècle, notamment suite à l’exécution en 1796 de Joseph Lesurques, injustement condamné pour l’attaque du courrier de Lyon et qui fut plus tard innocenté.

Nota 1 : Il est dommage que le dictionnaire ne contienne pas de lexique des différentes entrées.
Nota 2 : Curieusement, il n'y a pas d'article relatif aux drogues et stupéfiants (alors que je croyais que c'était un sujet de préoccupation de de l'époque)
Nota 3 : Pour les militaires, il est intéressant de noter que les articles sont émaillés de commentaires relatifs aux armées qui donnent des informations parfois pittoresques sur l’institution (exemple : l’école des Mousses avait la réputation d’être une maison de correction ; la police devait délivrer un certificat de bonnes mœurs aux personnes désireuses de s’engager dans la marine ; une femme devait, avant d’épouser un officier des armées, déposer devant notaire une dot d’au moins 1200 francs de revenus ; les élèves de Saint-Cyr avaient le droit de se rendre armés au théâtre ; etc.).

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Les éditions

  • Dictionnaire de la racaille [Texte imprimé], le manuscrit secret d'un commissaire de police parisien au XIXe siècle Adolphe Gronfier présentation de Bruno Fuligni
    de Gronfier, Adolphe Fuligni, Bruno (Editeur scientifique)
    Horay / Le Cabinet de curiosités
    ISBN : 9782705804763 ; 19,50 € ; 31/03/2010 ; 334 p. ; Broché
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