Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad

Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad
( Heart of darkness)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Kinbote, le 10 octobre 2003 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 15 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (998ème position).
Discussion(s) : 1 (Voir »)
Visites : 14 548  (depuis Novembre 2007)

L'horreur!

Ces deux récits qui sont intimement liés constituent une charge contre le colonialisme et l’homme civilisé qui s'appuie sur des principes pour régir sa vie, museler ses peurs. Ils ont été écrits sur base d’un voyage que Conrad fit sur le fleuve Congo en 1890. C’est un sentiment d'étouffement qui nous prend à la faveur de la remontée du fleuve par le vapeur que conduit Marlowe pour rejoindre Kurtz, un des employés les plus fameux de la compagnie coloniale. Kurtz qui a pété les plombs passe auprès de ceux qui l’ont approché pour un héros, un surhomme, celui qui a vu le Mal en face. Marlowe, l'alter ego de Conrad, n'attend qu'une chose : rencontrer Kurtz. Ce qu'ils se diront est à peine révélé. Et c’est le tour de force de Conrad : qu’aurait pu dire Kurtz qui n'aurait pas déçu le lecteur? Kurtz meurt sur ces mots : « L’horreur ! ». A la fiancée que Marlowe rencontrera ensuite, il confiera que Kurtz a expiré en murmurant son nom.
« Peu d'hommes se rendent compte que leur vie, l’essence même de leur personnalité, leurs aptitudes et leurs audaces ne sont que l’expression de leur foi en la sécurité de leur environnement. Le courage, le sang-froid, la confiance, les émotions et les principes, toute pensée grande ou négligeable, appartiennent non à l'individu mais à la masse : à la masse qui a une confiance aveugle dans la force irrésistible de ses institutions et de sa moralité, dans le pouvoir de sa police et dans ses opinions. » Dans Un avant-poste du progrès, Kayerts et Carlier qui dirigent un comptoir sur le fleuve commencent par savourer les bienfaits de leur position tels des Bouvard et Pécuchet en Afrique. Très vite, ils déchantent et, confrontés à la barbarie et l’atonie de l’endroit, ils finiront par s’entre-tuer pour une peccadille. Dans Au coeur des ténèbres, Conrad écrit : « Chaque station devrait être comme une bouée sur la route de l'amélioration. Un centre commercial, bien sûr, mais aussi un centre d’humanisation, d’instruction , de progrès. » Cela fut bien sûr un voeu pieux, un programme idéal dont une poignée d'affairistes et d’aventuriers se servirent pour couvrir leur entreprise d'exactions et de rapines aussi bien que d'abaissement des indigènes et d’exploitation de leur territoire.

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Congo

7 étoiles

Critique de Kabuto (Craponne, Inscrit le 10 août 2010, 64 ans) - 29 octobre 2023

Fin du 19e siècle. Marlow se souvient d’un voyage mémorable sur le fleuve Congo et nous raconte son périple jusqu’au cœur de la forêt équatoriale. Un monde d’où l’homme ne revient pas indemne. Les descriptions de cette nature sauvage qui entoure la frêle embarcation du capitaine sont saisissantes. Quant à la place des colonisateurs qui semblent absurdes au sein de ce monde qui ne veut pas d’eux, c’est tout aussi intéressant. Reste la rencontre avec M. Kurtz qui est le but ultime de ce voyage. Cet homme qui semble s’être fait complètement envoûter par ce monde végétal à l’état brut, marquera fortement les esprits. Belle découverte de Joseph Conrad malgré une lecture pas très fluide par moment en raison peut-être de l’âge du roman. Un léger désagrément qui ne gâche en rien le très bon souvenir que je garderai de ce livre.

Sombre, très sombre

6 étoiles

Critique de CC.RIDER (, Inscrit le 31 octobre 2005, 66 ans) - 31 juillet 2020

Après avoir bourlingué sur toutes les mers du monde, Charlie Marlow obtient, par l’entremise d’une vieille tante, un engagement comme capitaine d’un vieux vapeur sur un grand fleuve africain. Mais à son arrivée à l’embouchure du fleuve, il apprend que son navire a coulé. Il va lui falloir le renflouer et le réparer. Non sans peine, il finit par y parvenir. Sa première mission consistera en une remontée du fleuve jusqu’à atteindre un poste lointain fondé par un certain Kurz qui a obtenu de belles réussites dans le trafic de l’ivoire. Mais, encore à l’approche, Marlow et son équipage sont accueillis par des volées de flèches et de sagaies projetées par des autochtones déchainés. Le poste semble en fort piteux état. Qu’est devenu donc leur correspondant ? Est-il même encore en vie ?
« Au cœur des ténèbres », ouvrage publié en 1899, est à la fois un roman d’aventures et un roman noir, tant le propos est sombre et négatif. L’intrigue simple voire basique a sans doute été inspirée par l’expérience de Conrad qui fut lui-même capitaine d’un steamer et qui remonta le fleuve Congo. Sa description de la réalité des débuts de la colonisation peut fortement déplaire à certains. C’est du « Tintin au Congo » puissance dix ! Les Africains ne sont que de grands enfants apeurés par le timbre impérieux d’une voix d’européen. Lequel est arrivé quasiment seul à se tailler une place de potentat local aussi cruel que divinisé. Les personnages sont pour la plupart pleins de failles, de désenchantement, malades, au bout du rouleau, à la limite de la folie, voire de purs mégalomanes. Le style a pas mal vieilli. Il est très descriptif et un brin « filandreux ». Pas le meilleur ouvrage de Joseph Conrad !

Ténèbres de la forêt et de l'âme humaine

8 étoiles

Critique de Saint Jean-Baptiste (Ottignies, Inscrit le 23 juillet 2003, 88 ans) - 19 février 2017

Les excellentes critiques, entre autres, de Myrco et d’Eric Elies, m’ont incité à lire ce livre. Je ne l’ai pas regretté. J’aime énormément les récits d’aventures et l’aventure que raconte ici le narrateur est absolument sensationnelle.

Mais j’ai trouvé que l’écriture n’était pas adaptée aux circonstances. Je pense que le récit d’une telle aventure devrait être plus soutenu, plus vivant. La forêt avec ses mystérieux Sauvages devrait être décrite avec plus de profondeur. Ici on sent la pesanteur et le mystère des lieux, l’atmosphère est créée, certes, mais on ne « voit » pas suffisamment le décor.

Bien sûr, il y a cette fantastique descente aux enfers dans les profondeurs de l’âme humaine qui parcourt tout le récit. On voit ce qui reste de l’homme civilisé quand il se retrouve livré à lui-même et en dehors de tout. Mais j’ai trouvé que c’était trop ou trop peu ; ces digressions philosophiques entravent le récit de l’aventure. D’un autre côté, ces digressions pourraient aller plus loin. Ça devrait être l’un ou l’autre.

Les personnages, finalement, sont mal définis : on croise des spécimens d’humanité exceptionnels, sans les voir ; et quand on retrouve enfin le personnage mythique qu’on recherche depuis le début de l’expédition, on entend sa voix et c’est tout. On reste sur sa faim. A mon avis, la psychologie de ces personnages hors du commun gagnerait à être mieux développée.

Le livre se termine par la visite du narrateur à la fiancée de l’aventurier. Et là, l’écriture de Joseph Conrad est parfaitement adaptée à la situation. Les dialogues sont courts et denses, on sent l’atmosphère lourde du désespoir et de la résignation ; on se dit alors que le style de Conrad convient mieux aux scènes intimes qu’aux grandes aventures.

Ceci dit, le livre reste un témoignage exceptionnel d’une fabuleuse aventure au cœur de la forêt tropicale, en même temps qu’une descente désespérée au cœur de l’homme, et je pense que personne ne regrettera de l’avoir lu.

un chef d'oeuvre absolu, à la lucidité cauchemardesque

10 étoiles

Critique de Eric Eliès (, Inscrit le 22 décembre 2011, 50 ans) - 3 décembre 2016

« Au coeur des ténèbres » est un court roman parfaitement construit et d’une extraordinaire densité, qui traverse les apparences pour accéder à des vérités éternelles, et déplaisantes, sur la nature humaine… A ce titre, je suis très surpris (voire sidéré ! comment peut-on lire et à ce point ne pas comprendre ?!) que certaines critiques postées sur le site (Pacmann, Adrien 637, Prince Jean) jugent que le récit est plat et daté, écrit dans un style vieillot qui sent la naphtaline.

Comme le démontre son adaptation par Francis Ford Coppola dans Apocalypse Now, ce récit n’est d’aucune époque tant il transcende son sujet apparent, qui devient peu à peu un simple support narratif. A l'instar de certains romans et nouvelles de Stevenson, de London ou de Quiroga (qui sont tous contemporains de Conrad) où éclate la toute-puissance du « wild », il révèle que la nature recèle en son sein des forces cachées d’une puissance redoutable et que les valeurs de civilisation ne sont qu’un vernis qui craquèle et se désagrège sous la poussée de nos pulsions. Kurtz, qui est venu au Congo comme missionnaire évangélisateur aux idées généreuses mais travaille comme négociant d’ivoire qu’il arrache aux tribus africaines, est une sorte de jumeau de « Docteur Jekyll et Mister Hyde », mais ici c’est la puissance sauvage de la jungle congolaise qui joue le rôle de catalyse et transforme l’évangélisateur éloquent en un tyran violent et pervers, ne servant que ses propres intérêts et son plaisir...

Le récit est narré à la première personne par Marlow, un ancien marin qui, remontant le fleuve Congo sur un vieux vapeur pour le compte d’une compagnie anglaise, fut le témoin des derniers instants de Kurtz. Très rigoureusement construit et magnifiquement écrit, avec un style capable de ménager des pauses et des ruptures de tons, « Au cœur des ténèbres » suscite, dès les premières pages, un sentiment d’oppression et de menace croissante, qui culmine dans la révélation de la folie qui s’empare des hommes dès lors que, privés de leurs repères, ils sont livrés à eux-mêmes au milieu de la jungle. Certains s'accrochent aux procédures administratives, seule source d'ordre dans un univers chaotique, comme à une bouée de sauvetage ; d'autres lâchent prise... Mais tous semblent perdus ! L’évocation grandiose de la nature, qui semble abriter une puissance hostile et invincible dans les profondeurs de la jungle où viennent s'engluer et dépérir les colons britanniques décimés par les fièvres tropicales, est d’une telle puissance d’impact que le récit m’a parfois fait songer aux nouvelles de Lovecraft, où l'humanité est une farce dérisoire sur le point d’être balayée par des forces archaïques cachées dans les replis du temps et de l’espace… Le génie de Conrad est de montrer que les ténèbres qu’il découvre au cœur de la jungle sont en fait partout, y compris en Grande-Bretagne et dans les recoins de nos âmes ! Comme chez Ewers, un puissant sentiment d’oppression et de pourrissement imprègne chaque page du récit, jusqu’à submerger le lecteur qui subit la fascination mortelle des puissances secrètement à l’oeuvre…

Outre cette lumière jetée dans les ténèbres de la psyché humaine, qui est d’une étonnante modernité et annonce en partie le déferlement de barbarie des deux guerres mondiales, Conrad souligne avec une ironie mordante l’hypocrisie et la duplicité des pèlerins évangélisateurs venus apporter la lumière de la civilisation aux sauvages arriérés qu’ils méprisent et en profitent avant tout pour s’enrichir. Il dénonce également les souffrances endurées par les Africains, arrachés à leurs racines et transformés en esclaves qu’on laisse mourir à l’écart des baraquements comme des objets mis au rebut… Sans aller jusqu’à la sympathie, le narrateur (qui est en fait écoeuré par tout ce qu’il voit) éprouve néanmoins une profonde empathie pour ces êtres dont l’humanité est niée par les bons samaritains venus les civiliser… A ce titre, le roman est une franche dénonciation, claire et nette, du colonialisme, qui anticipe nombre d’œuvres à venir (dont celles d’Albert Londres, d’André Gide, d’Orwell, etc.) et une mise en abîme de l’histoire humaine, puisque ce drame n’a cessé de se répéter depuis les conquêtes romaines (évoquées dans les prémices du récit) jusqu’à aujourd’hui, comme si l’humanité restait, depuis toujours, soumise à des motivations primitives inchangées depuis la nuit des temps. Nos croyances et nos discours humanistes ne sont en fait qu'un voile commode car, en réalité, nous ne voulons pas ouvrir les yeux sur cette réalité ainsi que le montre la fin du récit, où le narrateur rend visite à la fiancée de Kurtz, femme fragile à jamais prisonnière de sa vision d’un homme à l’idéal généreux…

Pour toutes ces raisons, « Au cœur des ténèbres » est un chef d’œuvre absolu de la littérature mondiale, qui ne sera jamais daté. Les ténèbres du « wild » nous sont consubstantielles et trouveront toujours des exutoires dans les idéalistes, ivres de leur éloquence, dont la raison sera soufflée par la lumière noire du noyau d’incoercible sauvagerie enclos en tout être, suscitant un vent de folie et de destruction… Kurtz préfigure clairement Hitler, mélange d'éloquence démagogue et de violence exterminatrice. Joseph Conrad devrait être célébré comme l’un des plus grands écrivains de la littérature mondiale, par le souffle de son écriture, à la fois très précise et poétique, et par la terrible clairvoyance de sa vision de l’homme.

"Le mal absolu"ou "La fascination de l'abominable"

9 étoiles

Critique de Myrco (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 75 ans) - 4 juin 2014

En écho à l'une de mes dernières lectures "Le rêve du Celte" de Vargas Llosa qui relate la vie de Roger Casement, j'ai voulu relire ce texte majeur qui nous offre, en quelque sorte, une version littéraire de la première partie de l'ouvrage cité précédemment consacrée au Congo, et en élargit le propos en une vision très noire de la nature humaine en général.

Casement et Conrad entretinrent en effet longtemps une profonde amitié. Ils se connurent là-bas en 1890 (une dizaine d'années avant la parution d'"Au cœur des ténèbres") alors que le futur écrivain venait de signer un contrat de capitaine de vapeur avec la Société anonyme belge pour le Commerce avec le Haut Congo, contrat auquel il mettra d'ailleurs fin au bout de six mois; sans doute avait-il suffisamment rencontré l'horreur des deux côtés (Noirs et Blancs). Il semble que Casement ait joué un grand rôle dans sa prise de conscience en lui ouvrant les yeux sur la réalité, notamment celle des abominations commises au nom d'une soi-disant mission civilisatrice.

Le texte illustre la thèse selon laquelle, dans un certain contexte, ici au contact de tribus primitives, au fond de cette Nature sauvage, omniprésente, libéré de toute loi, l'homme le plus civilisé (incarné en la personne de Kurtz) redécouvre en lui la barbarie de sa nature originelle, composante à part entière de son "humanité" et lui donne libre cours.
Dans l'ouvrage cité en introduction, l'auteur fait dire à son personnage:
"Conrad disait qu'au Congo, la corruption morale de l'être humain remontait à la surface. Celle des Blancs et celle des Noirs. "Au cœur des ténèbres" m'a souvent empêché de dormir. Je pense qu'il ne décrit ni le Congo, ni la réalité, ni l'histoire mais l'enfer. Le Congo est un prétexte pour exprimer cette vision atroce que certains catholiques ont du mal absolu."

Quoi qu'il en soit sur le fond, on se dit que Conrad avait décidément un talent incroyable pour créer des atmosphères, la force de son texte venant de ce que l'on est souvent plus dans la suggestion que dans la description. Depuis cette antichambre du royaume des ténèbres, dans cette ville d'Europe jamais nommée où il signe son contrat, le narrateur Marlow (avatar de Conrad) nous entraîne dans une lente remontée jusqu'aux confins (ou au-delà ) de l'horreur; sans cesse s'accroît une impression d'étrangeté, d'absurdité, d'irréalité: "cela ressemblait à un pèlerinage épuisant parmi des lambeaux de cauchemar".
L'arrivée au poste de Kurtz baigne dans une atmosphère semi-fantastique, incompréhensible. D'abord on ne voit pas, on entend, on imagine... on ne sait trop quoi à la limite: ces silhouettes humaines fugaces et menaçantes, cette clameur mystérieuse, ces souffrances infligées auxquelles on n'assistera pas mais dont témoignent les fameux "symboles", ces rites évoqués... jusqu'à Kurtz lui-même qui s'incarne essentiellement dans une voix; et c'est justement cette porte laissée ouverte à l'imagination qui confère à la prose de Conrad cette puissance d'évocation remarquable!

Impénétrable

6 étoiles

Critique de Pacmann (Tamise, Inscrit le 2 février 2012, 59 ans) - 12 juillet 2013

Ce grand classique du début du 20ème siècle est un ouvrage dense demandant une attention soutenue pour ne pas perdre une seule miette du sens (caché) de ce récit.

Le style est tout sauf moderne, ce qui n'en fait pas une lecture délassante mais implique une concentration permanente.

Je confirme donc certaines critiques et déconseille ce roman à ceux qui recherchent avant tout le plaisir dans la lecture.

Par ailleurs, sans doute une œuvre à inscrire au patrimoine de la littérature essentielle mais pas sur la liste des livres pouvant être porteur d'un message intemporel.

Fleuve Congo fin XIXème

9 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 29 août 2010

Joseph Conrad fait partie de ces auteurs, tels Saint Exupéry, Pierre loti ou André Malraux, dont on sent bien à les lire que les sentiments extrêmes ressentis au cours de péripéties tout aussi extrêmes, s’appuient sur du vécu, une expérience personnelle.
En l’occurrence, notre Joseph Conrad a effectivement remonté le fleuve Congo dans les années 1890, et ce qui m’a étonné le plus c’est cette « sauvageté » qui semblait encore régner, à en croire Joseph Conrad, en Afrique Equatoriale à cette époque. Car ce que décrit Joseph Conrad, mêlé à une histoire forte, c’est une Afrique quasi vierge, où le concept de cannibale semble établi ( ?), où la nature n’est pas prête à se laisser violer impunément et renvoie les colons européens – français en l’occurrence – à leur modeste condition « d’Homo Europeanus », complètement inadaptés à un milieu naturel hostile.
Il est dit que « Au cœur des ténèbres » aurait inspiré « Apocalypse now » ? De loin alors, et dans un contexte bien différent. Il ne s’agit pas de guerre ici, juste d’une activité colonialiste bassement mercantile.
Sans raconter l’histoire qui, à la limite, joue le même rôle qu’un tuteur pour le lierre ou la liane, il est question d’un souvenir de marin raconté sur les bords de Tamise à ses compagnons, une nuit d’attente. Le marin en question, Marlowe, s’épanche sur ce qu’il a connu – et pas forcément décrypté – lors d’une mission acceptée auprès d’un établissement colonial français en Afrique Equatoriale. Il doit prendre le commandement d’un vapeur chargé de faire du cabotage en remontant le fleuve Congo pour participer à l’exploitation commerciale du pays. Des péripéties il va y en avoir, et il serait vain d’en faire la liste ici tant ce qui fait la force de ce texte est l’analyse au fur et à mesure et la description de l’environnement, naturel ou humain, qui rend le moindre acte lourd de sens et bouffeur d’énergie dans ce climat destructeur. C’est hallucinant de réalisme et d’intensité et la comparaison d’avec Saint-Ex, Loti et Malraux me parait vraiment s’imposer.
Joseph Conrad, un grand de la réalité de la fin XIXème. Un grand de la psychologie de l’Européen confronté à des forces ou des situations exceptionnelles.

Une progression cauchemardesque

8 étoiles

Critique de Mieke Maaike (Bruxelles, Inscrite le 26 juillet 2005, 51 ans) - 9 avril 2010

Même si ce roman a servi de base au film « Apocalypse Now », ne vous attendez pas à trouver beaucoup d’action dans ce livre. Ici, point d’attaques d’hélicoptères, d’effets pyrotechniques, ni d’exactions à grand renfort d’explosion. L’auteur fait plutôt le choix de nous entraîner dans ce voyage sur le fleuve Congo durant la période où ce territoire appartenait à Léopold II, comme s’il s’agissait d’une progression dans les méandres d’un cauchemar.

Par une écriture riche et poétique, il parvient à évoquer par petites touches et subtils tableaux les conditions de vie autour de ce fleuve. Le rythme est lent, pesant, étouffant, comme la vie dans ce climat équatorial. Les Blancs sont affaiblis par des fièvres continuelles les plongeant dans un état à la limite de la folie. Les Noirs ne sont plus que des zombies décharnées souffrant de malnutrition, réduits aux fonctions de bêtes de somme ou d’adjoints subalternes inconséquents. Au fur et à mesure de l’avancée du vapeur, le héros développe une fascination morbide pour Kurtz, un mélange d’admiration et de terreur. Un Kurtz dont la personnalité n’est évoquée que de façon allusive, par quelques faits décousus, quelques paroles incohérentes, des actions qu’on devine plus qu’on ne comprend. Et puis, il y a cette angoisse de plus en plus oppressante liée tant à la nature terrifiante dans laquelle s’enfonce le fragile bateau, qu’à l’incompréhension et la crainte des populations locales qui peuvent à tout moment surgir de la végétation impénétrable.

Un récit aux limites de la conscience du bien et du mal, qui franchit les flots du fleuve comme les frontières des valeurs morales, qui sonde les mystères de ces terres inexplorées comme ceux de l’âme humaine. Toute l’horreur de la réalité crue de l’exploitation du Congo portée par la puissance évocatrice de l’écriture de Conrad.

The horror...the horror...

10 étoiles

Critique de Bookivore (MENUCOURT, Inscrit le 25 juin 2006, 42 ans) - 28 mars 2008

"Au coeur des ténèbres", un des livres ayant inspiré le film "Apocalypse Now" de Coppola (avec, entre autres, "The Hollow Men", T.S. Eliot). Court, en effet, mais sublime !

Musical...

9 étoiles

Critique de TchollosFred (Liège, Inscrit le 21 février 2008, 50 ans) - 28 février 2008

J'aimerais critiquer ce livre mais je dois renoncer. Je serais incapable de trouver les mots justes il me semble. J'oublierais tant de choses, tant de détails, tant de sensations. Je ne rendrais certainement pas honneur à la qualité de l'oeuvre en me contentant d'une analyse plus ou moins technique pour laquelle je n'ai aucune compétence. Certaine chose ne s'explique pas. Ce livre ne s'explique pas. Comme on n'explique pas une symphonie de Beethoven, j'imagine. On l'écoute, on se laisse immerger et on part ailleurs. Quelque part où tout est beau, où tout est profond, où tout ne s'explique pas.

Chaque phrase est belle, chaque idée est brillante, humaine, lourde de sens (celui de l'auteur peut-être ou simplement le sien, celui qu'on y voit), et on ferme le livre avec la certitude que malgré sa brièveté il est plus consistant, plus déroutant, plus efficace que bien des livres qui se traînent sur des milliers de pages.

Rasant

6 étoiles

Critique de Adrien637 (, Inscrit le 28 janvier 2006, 58 ans) - 28 novembre 2007

Je seconde Prince Jean.

J'ai aimé Lord Jim (pourtant présentant des similarités) et L'Agent secret. Au Coeur des ténèbres est pas trop mal jusqu'à l'entrée en scène de Kurtz.

Nous sommes sensé y voir l'alter ego de Marlowe? Son inconscient?

Quand allons-nous nous guérir de prendre au sérieux la psychanalyse?

Terminer le livre m'a exaspéré.

sublimement ... long

5 étoiles

Critique de Prince jean (PARIS, Inscrit le 10 février 2006, 50 ans) - 1 août 2006

jamais un aussi court roman ne me sembla si long. Conrad est un écrivain , presqu'un poète, au style parfait. La lecture de cette oeuvre regorge de phrases sublimes, les atmosphères étouffantes sont prenantes, mais alors... pas d'action .. pas d'histoire (ou si peux) c est d'un ennui mortel;
nous aussi, nous mourrons à petit feu dans cette terre inhospitalière.

j'avais de loin préféré 'jeunesse" et "typhon".

Conrad est un grand

8 étoiles

Critique de FightingIntellectual (Montréal, Inscrit le 12 mars 2004, 42 ans) - 3 juillet 2005

Comment partir d'une histoire de marin et aller en créer un chef d'oeuvre de la littérature classique? Demandez à Joseph Conrad. Matrice originelle qui servit à F.F Coppola pour créer "Apocalypse Now", le récit de Conrad mélange la peur de l'homme face à cette nature, qui n'a plus rien de maternelle, l'écoeurement de Marlowe face aux conditions de la colonisation et un soupçon de pensée magique (mythologique) face aux guerriers africains.

Comme quoi une simple altérité entre deux ethnies peut donner lieu à un récit d'épouvante des plus mémorables!

Apocalyspe Kurtz

10 étoiles

Critique de Ocenebres (Liège, Inscrit le 12 avril 2004, 67 ans) - 30 avril 2004

Oh combien juste cette vision de l'horreur ! Je me demande de quel titre de livre peut bien venir mon pseudo sur ce site ?

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