Les hirondelles de Kaboul de Yasmina Khadra
Catégorie(s) : Littérature => Arabe , Littérature => Francophone
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A Kaboul, il n'y a pas d'amour heureux
C'est le second roman de Yasmina Khadra qui me passe entre les mains.
Je rappelle que derrière ce pseudonyme féminin se cache Mohammed Moulessehoules, ancien militaire algérien.
L'auteur quitte la sanglante Algérie qu'il nous a fait découvrir à l’aide de polars graves et humoristiques à la fois, pour s'introduire dans la vie quotidienne de deux couples qui tentent de "vivre" à Kaboul sous l'ère des talibans…
Plus je me plonge dans des romans rédigés en français par des francophones venus d'ailleurs, au plus je suis sous le charme de l'usage qu’ils font des mots. L'Afrique noire et maghrébine d'expression francophone a énormément de choses à nous apporter grâce à un bouillonnement d'idées, une utilisation inédite des mots quotidiens qui apporte une nouvelle fraîcheur à notre littérature et qui prouve que tout n’a pas encore été inventé.
Mon idée trouve son prolongement dans les paroles mêmes de Yasmina Khadra, lorsqu'elle (il) nous dit : "Persuadés que les écrivains du "tiers-monde" sont aussi hasardeux et inconsistants que l'économie de leurs pays, ils considèrent nos fulgurances comme des accidents et nos tournures de phrases comme des entorses à la langue. Ce regard réducteur, voire dévalorisant, ne saurait, par exemple, reconnaître aux "hirondelles de Kaboul" l'ensemble de ses mérites. Heureusement, il reste encore quelques âmes intègres qui nous soutiennent et nous défendent contre vents et marées. Leur combat ne nous élèvera pas au rang de la consécration mais élargira davantage notre lectorat et le cercle de nos amis. A ces gens, je l'exprime ma plus profonde gratitude. Ils trouveront, en chaque majuscule que j'érige dans mes textes, l'image que je me fais d'eux".
Voici un livre court que vous allez lire d'une traite emporté par une intrigue très habilement construite et une langue magnifique.
Dans un Kaboul en proie à l’impitoyable folie talibane le destin de deux couples très différents va se croiser.
Atiq Shaukat est gardien de prison, sa femme Mussarrat est à l’agonie.
Mohsen Ramat et Zunaida sont deux jeunes bourgeois intellectuels qui ont perdu leur emploi, nostalgiques d’un temps où la vie était douce.
Un jour Mohsen avoue à sa femme qu’il a non seulement assisté à la lapidation d'une femme mais qu'il a même participé à l'horreur en lui lançant des pierres.
"Les hommes sont devenus fous ; ils ont tourné le dos au jour pour faire face à la nuit". "Les saints patrons ont été destitués. Les prophètes sont morts et leurs fantômes crucifiés sur le front des enfants"
Ce livre est un hymne aux femmes humiliées de Kaboul qui décrit la complexité de la société musulmane, meurtrière ou pacifique, folle ou sage. Un court passage concernant la musique, interdite par les talibans, pour vous faire apprécier le style : "Les yeux du vieillard un instant embrouillés se mettent à brasiller d'un éclat douloureux qui semble remonter du plus profond de son être. Il dit : La musique est le véritable souffle de vie. On mange pour ne pas mourir de faim. On chante pour s'entendre vivre."
Kaboul suffocante, livrée aux corbeaux, "ville aux allures de mouroir", où "les prières s'émiettent dans la furie des mitrailles", où "le rire est devenu péché", où "même les arbres meurent d'ennui", où "les nuages se voilent la face", où "une cagoule grillagée se rabat et confisque tous les rires, les sourires, les regards, la fossette dans les joues, le froufrou des cils".
On souhaiterait une lueur d'espoir, un souffle nouveau, un réconfort. Mais rien. Les hirondelles de Kaboul se sont dispersées dans le "ballet des missiles" et "la chaleur pousse même les corbeaux au suicide".
Et je terminerais par cet extrait d’une interview de l'auteur quant à sa perception des femmes : "Depuis la nuit des temps, les femmes ont toujours été meilleures que les hommes. Ce sont elles qui protègent la vie lorsque les mâles ne pensent qu'à la sacrifier pour bonnes causes. Ce sont elles qui refusent, les premières, de rendre les armes face à l'adversité. Elles sont le courage, l'intelligence et la lucidité et voient souvent ce que les hommes sont incapables de déceler. Leur statut d'éternelles subalternes, à l'usure, a fini par leur faire croire qu'elles étaient naturellement inférieures aux hommes, mais elles sont en train de se défaire de ces préjugés et se préparent, non seulement à revendiquer leurs droits confisqués, mais à prendre en main la destinée de leur progéniture. Je suis certain que si tous les pays du monde installaient une femme à leur tête, il y aurait moins de guerres sur terre et moins de malheur dans les esprits. Mais la femme ne sied qu'à celui qui la mérite. Tant que les hommes continueront de la bafouer, ils ne rencontreront sur leur chemin que l'expression de leur propre insignifiance".
J'espère par cette critique élogieuse vous avoir donné l'envie de découvrir cet auteur qui mérite une grande place dans notre littérature.
Les éditions
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Les hirondelles de Kaboul [Texte imprimé], roman Yasmina Khadra
de Khadra, Yasmina
Julliard
ISBN : 9782260015963 ; EUR 17,00 ; 26/08/2002 ; 187 p. ; Broché -
Les hirondelles de Kaboul
de Khadra, Yasmina
Pocket
ISBN : 9782266204965 ; 5,95 € ; 19/04/2010 ; 160 p. ; Poche
Les livres liés
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Les critiques éclairs (17)
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Plongée au cœur de l'obscurantisme
Critique de Terre_inconnue (, Inscrite le 21 octobre 2013, 32 ans) - 6 décembre 2013
L'auteur parvient à nous immiscer dans un pays où survivre est le maître mot. Il n'existe plus de vie, plus d'âme, plus de joie dans cette étouffante ville d'où suinte par tous ses pores une souffrance sans nom. On suit, omniscients, le parcours de deux couples au départ unis (l'un par l'amour et la condition intellectuelle, l'autre par les souvenirs de la guerre et la maladie) dans une lente et irrémédiable descente aux enfers.
Sur un fond de politique, on est déstabilisé par l'humain; Yasmina Khadra dépeint des êtres bafoués au nom de l'obscurantisme religieux, des enfants reproduisant la haine des hommes, des vieillards ne symbolisant que répugnance et dégoût, des femmes réduites à l'état de bêtes, d'ombres. Le chant, les oiseaux, les arbres, tous ces signes de vie disparaissent d'un lieu où les tombes sont creusées avant d'avoir vu naître le jour. La loi ici-bas n'est pas divine, elle n'est pas même humaine; c'est la loi du plus fort, la loi du plus grand nombre qui décuple les colères insondables. "Ce matin, [...] simplement parce que la foule hurlait, j'ai hurlé avec elle, simplement parce qu'elle a réclamé du sang, je l'ai exigé aussi".
Les hommes, les uns après les autres, sombrent dans la folie, se corrompent ou quittent la ville (et la vie) "les pieds devant". Ce livre est introduit par la douleur en la lapidation d'une prostituée, et s'achève dans la douleur par la perte des repères et le désespoir du geôlier.
On peut toutefois entrapercevoir une lueur d'espoir en la personne d'un vieillard quasi aliéné qui s'échappe enfin vers son rêve, l'océan; bien que l'on puisse y voir également une provocation lancé à l'un des personnages.
L'auteur nous invite, dans ce roman, à imaginer l'inimaginable, l'intolérable, mais pourtant l'existence même de vies innombrables sur des sols que l'on ne foulera sûrement jamais. Je ne suis qu'une lectrice sans grande expérience littéraire parmi tant d'autres, mais je tire mon chapeau à Mohammed Moulessehoul.
que de souffrances
Critique de Monocle (tournai, Inscrit le 19 février 2010, 64 ans) - 11 décembre 2012
A lire aussi trois livres qui m'ont beaucoup marqué (et qui sont dans le sujet) : Khaled Hosseini "les cerfs volants de Kaboul" et "mille soleils splendides" (deux purs chefs d'oeuvre) ainsi que Le monde selon Fawad d'Andrea BUSFIELD.
"Kaboul, ville maudite"
Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 66 ans) - 17 juin 2012
Du sort des femmes, à celui des intellectuels, des opposants, on a l'impression que l'Inquisition médiévale est aux portes de notre monde démocratique et tolérant avec de nombreux siècles de décalage.
« Au pays des erreurs sans regrets, la grâce ou l'exécution ne sont pas l'aboutissement d'une délibération, mais l'expression d'une saute d'humeur. »
L'histoire d'amour, ne sert, pour ma part, que de support à la description bouleversante et révoltante de la vie en Afghanistan.
Un roman que j'ai lu comme un témoignage, un hommage pour que l'on n'oublie pas ce pays et ses martyres.
superbe petit roman!
Critique de Mariefleur26 (Paris, Inscrite le 11 décembre 2011, 30 ans) - 13 juin 2012
Ça vous montre que c'est un livre court et bien difficile à lâcher. La prose m'a touchée profondément, il y a certaines phrases très courtes qui disent tout. «Nous avons tous été tués. Il y a tellement longtemps que nous l'avons oublié!»
Voilà un roman qui vous plonge directement dans l'univers de Kaboul, pour peu de temps heureusement, car c'est un véritable enfer, un enfer tellement dur à concevoir pour les Occidentaux et qui constitue pourtant le quotidien d'un nombre de personnes toujours plus élevé. Nous pouvons entrevoir ce noir sans limite grâce aux descriptions des lieux (Kaboul, une ville en état de décomposition avancée) et surtout grâce à la vie totalement miséreuse des personnages, complètement piégés dans les limites de leur univers et de leur vision.
Le meilleur dans tout ça est que je ne me suis pas ennuyée une seconde en lisant cette histoire. Je crois que la plume de Khadra rend parfaitement au lecteur tout ce que l'écrivain a voulu exprimer. Un gros bravo!
Epoustouflant
Critique de Mallaig (Montigny les Cormeilles, Inscrite le 17 janvier 2006, 48 ans) - 19 mars 2012
- une écriture narrative qui parle vrai
- une histoire vue selon différents aspects
- les interrogations sur le monde et cette société d'hommes
Bref, j'ai adoré ce livre que j'ai lu d'une traite.
La chaleur et sa pesanteur sont l'image même de cette société en perdition totale où la population perd son humanité.
Sombre et dense
Critique de Monde imaginaire (Bourg La Reine, Inscrite le 6 octobre 2011, 51 ans) - 19 décembre 2011
Ce livre se lit très vite mais il est extrêmement dense par son contenu. Les destins de 2 couples afghans s’entrecroisent dans la ville meurtrie : deux choix s’offrent à eux la mort ou la folie. On assiste abasourdi à leur descente aux enfers. On ressort de cette lecture abattue et déprimée par tant d’horreurs. Une lecture difficile mais néanmoins indispensable.
Nous avons tous été tués
Critique de Catinus (Liège, Inscrit le 28 février 2003, 73 ans) - 27 avril 2011
Romancé, soit, mais cela sent le vécu à chaque page. ( Assez ) terrifiant !
En bonus, de la littérature, de la poésie. Extraits :
- j’ai marché dans les rues pour semer mon ombre
- Nous étions en plein été, et la fournaise, cette année-là, poussaient les corbeaux au suicide. On les voyait dégringoler comme des enclumes, les ailes collées au flanc et le bec en avant. Sur le Saint Livre, c’est la vérité. On entendait péter les poux dans nos linges étendus sur les roches surchauffées.
- Le ricochet d’un rayon de lune éclaire son faciès racorni
- Nous avons tous été tués. Il y a si longtemps que nous l’avons oublié.
Court et efficace
Critique de PA57 (, Inscrite le 25 octobre 2006, 41 ans) - 17 avril 2011
Très court, très bien écrit, il montre vraiment ce qu'il peut se passer dans la société afghane.
Je le conseille réellement à tout le monde.
Repères et libertés disparus
Critique de Saumar (Montréal, Inscrite le 15 août 2009, 91 ans) - 22 janvier 2011
L’intrigue implique l’histoire de deux couples. Le premier, Atiq, 42 ans, geôlier et de sa femme Mussarat, malade et courageuse. L’autre, Moshen, cultivé, ne se pardonne pas d’avoir participé à lapider une prostituée et sa femme Zunaira, 32 ans, avocate féministe, qui ne porte ni le tchadri, ni le voile « Avec ce voile maudit, je ne suis ni un être humain ni une bête »(62). Les deux couples sont à la recherche d’une quête, qui, de la liberté, qui, de l’amour pour échapper à la folie.
C’est aussi l’histoire d’une femme qui se sacrifie, en donnant sa vie, pour son mari, car elle se croit redevable. Et celle du vieil homme qui partira pour la mer alors que personne ne croit qu’il aura le courage de le faire. Tous ces personnages portent leur désespérance, car ils ne peuvent trouver la moindre parcelle d’espoir dans cette ville de Kaboul où repères et libertés ont disparu.
Une ambiguïté survient au 7e chapitre (66). Un nouveau personnage ou un changement de nom? « Nazish ». On peut lire à la page 80 « si ce n’est pas Nazish, ça doit être son frère jumeau. Plus loin, Nazish devient Zanish (142).
Puis la fin du livre m’a paru plutôt théâtrale. À vrai dire, j’ai préféré L’attentat, Cousine K, et les Sirènes de Bagdad, à ce dernier lu, du même auteur.
Bouleversant et dérangeant et à la fois
Critique de Nb23 (Bruxelles, Inscrite le 26 août 2010, 57 ans) - 26 août 2010
Une hirondelle ne fait pas le printemps.
Critique de Farfalone (Annecy, Inscrit le 13 octobre 2009, 55 ans) - 5 novembre 2009
Yasmina Khadra
A quoi bon faire la critique d'un mauvais roman sinon pour essayer de (se) rendre compte sur quoi étayer ce qui est un jugement de valeur? Et en quoi un roman peut-il être jugé bon ou mauvais sans engager des valeurs au nom desquelles le critiquer? Parce que justement, qu'il le veuille ou non le roman véhicule des valeurs (pour les moins mauvais), et pour les pires une idéologie, même si elle est souvent celée. Et c'est bien là le problème: il faut la débusquer, tâche d'autant plus malaisée que l'auteur n'en avait pas fait une intention consciente.
Comment et de quoi rendre compte, sans se livrer à une critique purement textuelle, ce qui équivaudrait à établir que ce roman est éligible à la littérarité, et surtout pourquoi tenter de rendre compte ? Du style (de la forme) et du (des) thème(s), d'une éventuelle symbolique?
Les idées de Khadra actualisées sous la forme d'un roman de lecture facile, utilisant sans discernement les idiolectes propres à une époque et à un lieu (les nôtres), pour raconter une histoire qui se passe ailleurs, servent subrepticement à appliquer nos catégories de pensée à l'approche d'un problème qui existe réellement: le fascisme taliban, et la cause (perdue?) des femmes afghanes.
En nous donnant à voir l'horreur Khadra se sert de notre compassion et justifie en le renforçant le message politique (story telling): comment ne pas intervenir dans un pays où l'on coupe les doigts des femmes qui se sont peint les ongles? Alors que la réalité des raisons de cette intervention se trouve ailleurs.
Je ne dis pas que la condition des femmes en Afghanistan soit proprement enviable. Je dis qu'elle correspond aux représentations, à la mentalité d'un pays qui vit encore au Moyen Age, dont la société est une société tribale avec ses clans, ses luttes de pouvoir, ses luttes territoriales pour le partage de la manne du pavot. L'introduction, au moyen de la contrainte, des valeurs occidentales (démocratie, individualisme) risque de prendre le même temps qu'il leur a fallu pour s'imposer à l'Occident de l'intérieur. Elle a un premier effet qui est le renforcement du réflexe identitaire, avec ce qu'il a ici de pire: la condition faite aux femmes.
La morale implicite de ce roman, car il y en a une, et d'ailleurs explicite du fait de la mise en scène de la parole (discours du mollah p 72) est ce que le lecteur (la lectrice car je soupçonne que le lectorat de Yasmina Khadra est essentiellement féminin) sait déjà par la 4è de couverture et par la photo de la femme au tchadri figurant sur la couverture, mais dont il attend la confirmation: les talibans c'est méchant. Quand on veut être gentil dans ce pays on peut pas, et le sort des femmes n'y est pas enviable.
Bref vous avez de la chance de vivre en démocratie.
La grosse ficelle des hirondelles, métaphore facile pour désigner ces pauvres femmes victimes des méchants vient sceller la cohérence du discours.
Une hirondelle ne fait pas le printemps, et gageons que le Printemps de Kaboul -s'il y en a un jour un comme à Prague- risque de ne pas devoir grand chose aux écrits de Yasmina Khadra.
KHADRA FOR EVER...
Critique de Septularisen (, Inscrit le 7 août 2004, - ans) - 21 novembre 2007
On ne le dira (et répétera) jamais assez la beauté et la finesse de la langue, de l’écriture et du style de Yasmina KHADRA.
Chaque phrase semble unique, belle, sensible, fragile, on a l’impression qu’elle va se détruire, se volatiliser après sa lecture… et en même temps on prend une leçon de langue française, et de vocabulaire…
Ce livre est d’ autant plus extraordinaire que la psychologie des personnages y est très profonde et très fouillée… la descente aux enfers des deux couples vivant à Kaboul est absolument époustouflante…
Rien de plus à dire donc, si ce n’est conseiller au plus grand nombre de lire ce livre…
en lumière, la violence
Critique de G. (Rambouillet, Inscrit le 14 décembre 2004, 49 ans) - 18 octobre 2007
Auteur de nombreux polars, Yasmina Khadra n’a révélé sa véritable identité que récemment, dans un livre autobiographique publié en 2001: L'Ecrivain. Sous ce nom féminin se cachait, en vérité, un homme : Mohamed Moulessehoul. Sous un pseudonyme composé par les prénoms de sa femme, cet ancien officier algérien a décidé d’écrire en réaction à la violence, qui n’est rien d’autre que « la faillite du bon sens », pour le citer. Ses romans sont toujours situés au cœur des conflits les plus brûlants de notre époque : les massacres en Algérie, le conflit israélo-palestinien, l'Afghanistan des Taliban.
Ce roman raconte ce que peut être l’amour au temps des Taliban, dans une ville où les femmes ne peuvent sortir sans être complètement couvertes, tandis que les hommes, qui ne sont pas des Taliban, sont maltraités. Au fil des pages, surgissent des personnages complexes, en quête de liberté : d’un côté, il y a Atiq Shawquat, un ancien combattant devenu geôlier, et son épouse, Mussarat, une infirmière qui l'a sauvé de la mort pendant la guerre contre les Russes, droite et courageuse, mais atteinte d’une maladie incurable. Mohsen et la belle Zunaira, pour leur part, forment un couple bourgeois, éduqué et libéral, s’accrochant à l’amour comme pour échapper à la folie et donner un sens à leur existence, ayant tout perdu lorsque les Taliban ont pris le pouvoir.
À travers leur désespoir et la perte de leurs illusions, les thèmes abordés sont ceux du pouvoir absolu du régime, du fanatisme, de la lapidation, de la répudiation des épouses et de la difficulté pour les femmes de vivre dans des conditions où l’on ne leur reconnaît aucun droit. Un regard féroce est porté sur cette dérive impitoyable des êtres vers la folie et la barbarie.
À travers une écriture lyrique, sans excès, Yasmina Khadra décrit un monde « en état de décomposition avancée ». Kaboul est dépeinte comme étant une ville suffocante, livrée aux corbeaux, où « les prières s’émiettent dans la furie des mitrailles », et où le rire est devenu péché. Dès lors, dans ces conditions, l’amour semble à jamais banni.
D’une effroyable manière, et sublime à la fois, l'auteur décrit la misère et le désespoir de ces personnes enfermées dans l’incertitude d’une justice, ou dans la certitude d’une injustice… Dans ce roman très noir, le climat d’oppression est nettement perceptible, et cette pesante culpabilité, associée à une chaleur mortifère, me rappelle fortement « L’Etranger » d’Albert Camus.
Servie par une construction narrative fort habile, où s’entrelacent et se heurtent les destins des protagonistes, l’intrigue a le mérite de nous tenir en haleine jusqu’à la dernière page. Lorsque de tels romans mettent en lumière la violence, et les horreurs perpétrées par les fanatiques, l’on devine à quel point il devient indispensable de se tourner vers une lueur d’espoir, afin de ne pas tomber dans l’obscurité.
Étouffant
Critique de Aaro-Benjamin G. (Montréal, Inscrit le 11 décembre 2003, 55 ans) - 28 juillet 2006
La femme afghane
Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans) - 29 avril 2004
Les femmes deviennent des objets, du néant. L'auteur décrit très bien le basculement dans le vide, l'instant où la personnalité humaine se voit réduite à zéro, notamment au travers d'une scène de lapidation.
L'occasion également de mieux comprendre la femme musulmane, ce qu'elle accepte alors que cela nous paraît impensable, ce qu'elle refuse alors que nous ne froncerions pas sourcil. Un être complexe que peu d'occidentaux comprennent, des femmes qui s'accrochent à leurs traditions malgré la folie qui les entoure. Un livre émouvant et fort.
une hirondelle nous rend l'espoir
Critique de Saint Jean-Baptiste (Ottignies, Inscrit le 23 juillet 2003, 88 ans) - 21 mars 2004
Tout ce que nous voyons est évidemment abominable et l'auteur n'a pas dû forcer la dose pour nous montrer la vérité jusqu'à l'écoeurement ! Mais ce que ce livre nous montre le mieux c'est comment, des hommes et des femmes instruits et intelligents, deviennent spectateurs de leur propre déchéance et assistent impuissants à la dégradation de leur conscience.
Existe-il un fatalisme arabe ? Je ne crois pas ! Tous les régimes totalitaires ont pour but, sinon pour conséquence, de tuer la conscience de l'individu pour mieux assurer sa soumission. Que ce soit sous la botte nazie, dans les Goulags, dans les prisons de Mao…, l'alternative est toujours la même : déchoir ou mourir ! Il nous est parvenu de rares témoignages de personnalités qui dans ces circonstances, n'ont jamais renié leurs convictions. Ce sont des héros qui ont racheté le genre humain de la déchéance absolue. Ici aussi, parmi ces malheureuses hirondelles de Kaboul, il en est une qui sauve l'honneur ; ce qui donne un semblant d'espoir dans ce monde de cruauté sans rémission.
J'ai lu dans la critique de Darius que l'auteur s'imagine qu'en plaçant une femme à la tête de chaque état, il y aurait moins de guerre et de malheur dans le monde ! Personnellement, j'ai des doutes : les Anglais ont tenté l'expérience avec Madame Thatcher… Ils vous en diront des nouvelles !
Pour la petite histoire, rappelons un détail amusant du règne de cette "dame de fer" : lors de la guerre des Malouines, elle avait fait équiper les navires de la Royal Navy de projectiles à tête nucléaire !!! …Amusant, n'est-il pas ?
Quand on n'a que la haine
Critique de Saule (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 59 ans) - 14 novembre 2003
A Kaboul on se fraie un chemin à la cravache, pour écarter les mendiants et les enfants, on se fait happer par les talibans qui forcent le passant à assister à d'interminables prêches de mollah qui bavent leur haine contre l'occident. On lance des pierres sur les prostituées, il y a des vétérans de la guerre contre les russes qui ressassent leurs souvenirs, éclopés de tout genres, infirmes qu'on trimbale dans une brouette car la chaise roulante coûte trop cher.
Quand on n'a que la haine, on devient fou. Comme les personnages du roman. On voit un intellectuel, entraîné par la haine furieuse de la foule, participer à la lapidation publique d'une prostituée et souffrir ensuite du dégoût que ce geste lui inspire ainsi que du rejet de sa femme lorsqu'il lui avoue son acte. Il y a aussi un gardien de prison amoureux qui ne peut s'empêcher de faire souffrir sa femme. L'histoire de ces deux hommes amoureux montre que même l'amour ne résiste pas à la folie qui règne à Kaboul.
D'accord avec Darius pour souligner la beauté du langage de l'auteur et son emploi parfois inédit des mots. J'ai d'ailleurs pensé à Yahar Ben Jelloun et "Cette aveuglante absence de lumière" pour le style.
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