Adieu Betty Crocker de François Gravel

Adieu Betty Crocker de François Gravel

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 23 septembre 2003 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 6 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (12 230ème position).
Discussion(s) : 1 (Voir »)
Visites : 5 252  (depuis Novembre 2007)

Les Vertus de la vie domestique

À travers ses oeuvres, François Gravel défend souvent les valeurs familiales, même s'il sait que le revers de la médaille peut cacher des barreaux dorés. Depuis l'an 2000, il a entrepris une saga tournant autour de la famille Fillion, originaire de l'arrondissement Hochelaga de Montréal. Cette fois-ci, il rend hommage à une tante, qui a quitté la rue Adam pour aller s'établir avec son mari à Boucherville. Les Québécois reconnaîtront facilement une tante préférée dans le personnage d'Arlette, une femme névrosée parfaitement normale.

Benoît, le neveu d'Arlette, enseigne le management à l'université. Mine de rien, il se renseigne auprès des siens afin de profiter de son année sabbatique pour écrire une oeuvre sur cette tante effacée, mais efficace, un puits intarissable de connaissances acquises au fil du temps. D'abord, il consulte d'abord ses frères et soeurs pour obtenir leurs perceptions de cette tante adorée; ensuite ils visitent les enfants d'Arlette, qui se sont épanouis normalement. Enfin, il laisse la parole à l'héroïne, qui sait mettre la pendule à l'heure même si sa vie s'est déroulée sous le signe du silence.
La tante Arlette, c'est l'household wife par excellence. Le modèle que toutes les revues Housekeeping auraient voulu interviewer si on l'avait connue. À la mort de son mari, elle s'est enfermée dans sa maison. «Elle était sa propre geôlière et elle avait elle-même installé ses barreaux.»
Elle était heureuse comme ça. Son plaisir était de lire le bonheur dans le visage de ceux qu'elle rendait heureux avec ses fameux carrés au Rice Crispies, d'où son surnom de Betty Crocker, la compagnie qui a concocté la céréale servant à la préparation de ce dessert.
Benoît profite de l'emmurement de sa tante pour renvoyer les psy à leurs casseroles. Il ne faut pas chercher des appellations cliniques à toutes les conduites marginales. Pourquoi l'amour de sa maison serait-il symptomatique de l'agoraphobie? Ceux qui travaillent dans les mines seraient-ils des photophobes qui s'ignorent, ou les chirurgiens, des psychopathes qui subliment leur déviance? Au fond, ce roman tente de valoriser le travail domestique. On compte la bureautique, l'informatique. Pourquoi ne pas les sciences domestiques? En management, avant d'aller étudier le fonctionnement des grandes entreprises, il faudrait peut-être connaître le fonctionnement d'une maisonnée puisque de toute façon, il faut être efficace pour gérer tous les «age» comme le lavage, l'époussetage...

François Gravel tente de donner des lettres de noblesse au quotidien. Ce n'est pas une glorification insensée. Comme il existe nécessairement, il serait plus intelligent de ne pas le refouler aux dernières de nos préoccupations, d'autant plus qu'il y a des plaisirs qui s'y rattachent. Quelle sensualité que d'éprouver la chaleur du linge qui sort du séchoir ! La vie domestique n'est pas plus emprisonnante que celle des vedettes qui entretiennent leur statut en se livrant aux journaux à potins. La vie domestique n'est pas plus ennuyeuse que celle passée dans les bars enfumés à attendre les atomes crochus, et elle est plus instructive que la vie trépidante de ceux qui se fuient.
Cet hommage à la simplicité est livré dans une écriture souriante et touchante. On sent toute la tendresse et l'affection que les personnages se portent. Ce portrait de famille unie et respectueuse de ce que sont les autres est une inspiration pour toutes celles qui s'en vont à vau-l'eau. François Gravel fait entendre un son de cloche peu habituel aujourd'hui. Ce n'est pas un appel au passéisme, mais un alléluia pour célébrer les vertus de la vie domestique.

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Hommage ou dérision?

6 étoiles

Critique de Boudha (Beloeil, Qc, Inscrit le 9 novembre 2004, 66 ans) - 24 juillet 2005

Betty Crocker, c'est l'Amérique de l'entre-deux-guerres. Ce personnage inventé par la compagnie américaine Washburn Crosby Company of Minneapolis (plus tard la General Mills) pour répondre de façon personnalisée aux questions des consommateurs. Par extension elle est devenue le symbole de la femme au foyer et la gardienne des valeurs familiales. Sereine, modeste, dévouée et protectrice, Betty n'avait qu'un but : assurer le bonheur des siens.

Contrairement à ce que plusieurs croient aujourd'hui, Betty projetait l'image d'une femme moderne, sûre d'elle-même. Elle était déterminée, non pas soumise. C'était le modèle à suivre, comme d'autres le sont aujourd'hui. Betty Crocker eut une voix à la radio et répondait aux questions du public. Au fil des ans, on lui a aussi prêté quelques visages. Mais on ne la voyait pas sur la rue… elle n'existait pas, n'en déplaise aux femmes qui affirment le contraire (sic).

Au Québec comme partout en Amérique, plusieurs enfants avaient une maman ou une tante Betty Crocker. On avait beau se moquer, force est d'admettre que nous étions traités aux petits oignons chez ces gens. Arlette, la Betty de François Gravel, souffrait d'agoraphobie. Incapable d'affronter sa maladie, elle compensa en jouant son rôle jusqu'au bout, au profit de tous. Hommage ou dérision? L'auteur fait-il allusion à toutes ces femmes ayant joué ce rôle en guise de parade?

Toujours est-il que l'auteur nous ramène à l'époque où la ménagère avait ses lettres de noblesse, au temps où le bonheur passait par l'achat d'un "bungalow" en banlieue, une autre chose aujourd'hui méprisée par nombre d'urbains. Le bonheur aurait changé de voie semble-t-il. Le récit de Gravel ne comporte ni intrigue ni rebondissements, mais ça se lit bien de par le simple fait l'écriture vivante. Pendant quelques heures, nous replongeons dans l'atmosphère propre à l'entourage de ces ménagères exemplaires. Nul jugement n'est porté, seulement quelques questions auxquelles répondent les personnages gravitant autour d'Arlette. Un brin de nostalgie pourrait même vous hanter.

Une prison domestique

9 étoiles

Critique de Dirlandaise (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 68 ans) - 13 juin 2005

François Gravel est un écrivain du quotidien banal qu'il réussit à rendre malgré tout assez intéressant pour captiver ses lecteurs. L'histoire de "Betty Crocker" en est une des plus ordinaires. C'est celle d'une femme agoraphobe, tante du narrateur, qui n'est pas sorti de chez elle depuis vingt-cinq années. Elle vit dans sa cuisine rouge et blanche et devient experte dans les arts ménagers. Son mari est chauffeur d'autobus et elle suit ses déplacements sur des cartes routières. Elle nourrit les oiseaux et connait leurs noms en français et en latin. Elle écoute la radio presque tout le temps et connait pratiquement tout ce qui se passe. Elle est bonne couturière, bonne cuisinière, sait organiser de belles réceptions. Bref, une femme dépareillée. Mais elle est incapable de mettre le pied dehors. Elle a besoin des autres pour faire ses courses et acheter tout ce dont elle a besoin à l'extérieur. Est-elle malheureuse ? Non, elle accepte son sort et s'en accommode du mieux qu'elle peut. Et puis elle se dit que ce n'est pas pire que bien d'autres qui doivent travailler enfermés dans des bureaux ou des mines...

L'écriture de François Gravel est belle, simple et fluide. Ça se lit presque tout seul. On a le point de vue du narrateur enfant qui admire sa tante et rêve d'échanger sa mère contre elle. Elle est tellement parfaite selon ses critères d'enfant. Et puis, elle lui confectionne des sandwichs sans croutes, un must pour lui. Ensuite, les deux enfants d'Arlette, devenus adultes, sont interrogés et livrent leur souvenirs de leur mère. Vers la fin du livre, Arlette prend la parole et raconte sa vie avec ses propres yeux. J'ai bien aimé ce procédé des deux visions enfant et adultes.

Bref un petit livre sans prétention mais qui procure quelques heures de pur bonheur. Je ne peux m'empêcher de comparer François Gravel à Michel Tremblay dans le style et la sensibilité. À lire.

Le bonheur dans l’ordinaire

9 étoiles

Critique de Aaro-Benjamin G. (Montréal, Inscrit le 11 décembre 2003, 54 ans) - 1 juin 2005

Raconter la vie d’une ménagère pourrait paraître ennuyeux de prime abord, Gravel le fait avec tendresse et humour en réussissant son pari de nous intéresser à ce personnage qui n’a rien d’extraordinaire. C’est aussi une incursion dans le territoire de la banlieue durant la période rose du Québec d’après guerre, quand la vie était simple et les enfants jouaient encore dehors.

Arlette est une femme de maison accomplie, mais il faut dire aussi qu’elle est agoraphobe, qu’elle a peur de l’extérieur et se réfugie dans son bungalow où elle y a trouvé le moyen de combler sa vie. L’auteur ne la juge pas vraiment, ni s’embourbe dans la polémique du féminisme ou les longs discours existentiels. Avec ce beau témoignage, il nous confronte à nos idées préconçues - Qu’est-ce qu’une vie réussie? Qu’elle est notre vision du bonheur, celle que la société nous impose?

Ma génération a goûté aux derniers lambeaux de cette période de prospérité à l’américaine. J’ai eu un plaisir énorme à me vautrer dans la nostalgie d’une vie familiale paisible.

Qui était Betty Crocker?

8 étoiles

Critique de FranBlan (Montréal, Québec, Inscrite le 28 août 2004, 81 ans) - 19 mai 2005

Non pas le nom de la compagnie qui fabrique les "Rice Krispies", les "Rice Krispies" sont fabriqués par la compagnie américaine Kellogg's.
Betty Crocker est un personnage tout à fait fictif, créé de toute pièce par un autre géant de l'industrie alimentaire américaine, la compagnie General Mills. Ce simple détail n'a surtout pas empêché Betty Crocker d'être la deuxième femme la plus populaire de toute l'Amérique après Eleanor Roosevelt à la fin des années trente, même si elle n'a jamais existé!
Bref, Betty Crocker est un des nombreux icônes de la culture de consommation américaine. Et une de ses caractéristiques principales fut celle de projeter durant presqu'un siècle l'image de la "parfaite ménagère", surtout pendant les années cinquante et soixante. À ce moment, plusieurs d'entre nous ont aspiré à ce modèle d'excellence, aujourd'hui dans un contexte bien différent, les femmes aspirent encore et toujours à un modèle de perfection. Rien ne change vraiment…
Le seul but de ces précisions est de démontrer la valeur péjorative du surnom "Betty Crocker" accolé au personnage principal de cette touchante histoire.
Ce court récit est beaucoup plus qu'un hommage à la "parfaite ménagère"; il s'agit surtout d'aller au delà des apparences, de transgresser les perceptions superficielles trop souvent erronées qui s'imposent à notre jugement facile, plus ou moins intéressé, que nous portons sur les "autres".
Le narrateur, ce brillant professeur universitaire, avoue bien candidement à l'annonce du décès de cette tante adorée, qu'il ne l'avait vue, ni elle, ni ses enfants, depuis vingt ans! J'ai aussi savouré ces pages où l'auteur donne enfin la parole à Arlette…
J'ai beaucoup aimé cet auteur que ma fille m'avait fortement recommandé.
François Gravel raconte d'une façon fort simple, mais avec humour et émotion; il sait aussi trouver les mots pour nommer le plus simple, le plus habituel.

Non, on n'est pas enfermées dans une cuisine...

8 étoiles

Critique de Cuné (, Inscrite le 16 février 2004, 56 ans) - 27 novembre 2004


Benoit, spécialiste en management, apprend le décès de sa tante, Arlette, et réalise qu'il ne l'avait pas vue depuis 2 decennies. Lui reviennent alors plein de souvenirs, qui révèlent l'admiration et la fascination qu'elle et sa famille exerçaient sur lui enfant. Il décide d'en savoir plus sur leurs vies écoulées, et, à la manière d'une enquête, remonte le temps.

Ce livre est une ode aux gens ordinaires. C'est très bien raconté, sans prétention, ça pourrait être une discussion informelle qu'on aurait avec un ami. Et on aime bien, forcément, puisque ça parle de nous.

J'ai particulièrement adoré les 50 dernières pages, où l'auteur donne la parole à Arlette, et où celle-ci s'explique, gentiment.

Ca m'a amusée de constater la logique dans l'écriture, parce qu'à chaque fois que je me disais "oui, mais bon, tel point, ce n'est pas possible, comment faisait-elle" paf, François Gravel en parlait et expliquait.

Rien d'extraordinaire, donc, que du quotidien, mais joliment raconté, un bon moment de lecture.

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  Les toasts brûlées 1 Dirlandaise 13 juin 2005 @ 17:27

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