Alphonse et Marguerite de Frédéric Chémery

Alphonse et Marguerite de Frédéric Chémery

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances , Sciences humaines et exactes => Histoire

Critiqué par JulesRomans, le 5 juin 2014 (Nantes, Inscrit le 29 juillet 2012, 66 ans)
La note : 8 étoiles
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Alphonse ne se fait pas appeler Arthur

"Alphonse et Marguerite" est un récit épistolaire authentique, il est le fruit de la pieuse conservation pendant un siècle de la correspondance entre une jeune veuve de guerre de Thiais, alors une commune méridionale de la Seine, proche des limites de ce département avec la Seine-et-Oise et un homme originaire de l'Aube. "Paysans d’une vie, soldats d’une guerre" de Marceau Doussot conte aussi la vie durant la Grande Guerre d'un soldat de ce même département champenois.

Marguerite (née Delimal) est veuve de guerre dès octobre 1914, avec un enfant de moins de deux ans, son mari le sergent Robert Tailliez est tué dans la Meuse alors qu’il servait au 364e RI. Lors de son service militaire il avait rencontré Alphonse Chémery, natif d’un village de la Marne mais qui avait passé l’essentiel de son enfance à Troyes. En juin 1914 il décide de s’installer à Troyes pour ouvrir une entreprise d’entretien électrique. En février 1916 il est jugé inapte au combat après des blessures dues à l’explosion d’un obus. Toutefois il sert comme contrôleur militaire de main d’œuvre dans le secteur industriel qui est en rapport avec l’armement. Il visite nombre d’usines dans le Rhône et la Loire.

À l’occasion d’une permission en septembre 1917, Alphonse Chémery est venu voir la veuve de son camarade et son jeune fils, il ne les connaissait pas auparavant d’après ce que nous dit le premier courrier échangé. De début octobre de cette année-là et jusqu’en février 1919 date de leur mariage (qui précède de peu sa démobilisation), ces deux personnes Alphonse et Marguerite vont échanger un important courrier. On dispose d’environ 800 lettres, écrites dès décembre 1914date du décès de Robert, où on pointe l’évolution de leur relation, il est regrettable de n’avoir presque jamais l’intégralité du texte de la missive. Le petit-fils de ce couple a sélectionné les passages à expurger, mais on ne sait sur quel critère. Peut-être prive-t-on les historiens de Thiais ou des départements de la Loire-Inférieure, la Loire et du Rhône de certaines informations…

La famille d’Alphonse est près du front dans un village proche de Château-Thierry, notre personnage est inquiet pour eux lors de la Seconde bataille de la Marne:

« Saint-Étienne le 2 juin 1918
(…) J’ai de tristes nouvelles d’Esternay. Ma sœur, maman et le petit Lulu se préparent à déguerpir devant les boches qui sont devant Château-Thierry, ainsi que l’annonce le journal d’hier. Il n’y a pas grande distance entre Esternay et Château-Thierry, et maman me dit que le baluchon est prêt pour le départ ». (page 194)

Marguerite passe le printemps, l’été et l’automne 1918 à La Baule, c’est entre l’occasion d‘en savoir plus sur la façon dont les Américains débarquant à Saint-Nazaire sont perçus:

« La Baule, mercredi soir 15 mai 1918
Je ne suis revenue qu’à 7 heures 20 de Saint-Nazaire. (….) Quelle animation dans la ville, plus cela va, plus la vie est intense ! Les commerçants doivent faire des fortunes, les "souvenirs de France" doivent avoir tant de succès ! Si les Américaines les trouvent à leur goût, elles ne sont pas difficiles, on ne peut imaginer rien de plus baroque que ces mouchoirs, ces écharpes, ces coussins aux multiples couleurs, où "le souvenir de France" règne en bonne place ». (page 173)

« La Baule, jeudi 3 octobre 1918
Je reviens de la vigne, ma gaieté revient quand je me retrouve en plein air. J’aurais aimé à être fermière, vivre au milieu des bêtes. (…)
MM. les boches, s’ils avaient un oeil ici, seraient loin d’être satisfaits. On a compté vingt-deux transports arrivant à Saint-Nazaire, ils sont entrés au port avec la marée montante, et ils ne se sont pas privés de tirer le canon. Le sentiment qui s’empare de vous en voyant tant de renforts arriver est inénarrable, qu’ils soient le vrai signe précurseur de la fin ! (…)
Votre câline». (page 310)

L’ouvrage est assez largement illustré, l’historien appréciera beaucoup la photographie en pleine page d’un atelier de trempe de canons (page 64) ou ces ouvrières devant leur usine de fabrication d’obus à Firminy (page 65).

Le devenir des personnages principaux après-guerre est largement évoqué. D’autres individus présents bénéficient d’une petite présentation ; dans "Dora Bruder" , un roman de Patrick Modiano publié le 2 avril 1997 aux éditions Gallimard, Josette Delmal nièce de Marguerite trouve place car cette dernière est la fille de Robert Delimal qui a épousé Simone Caplan et Josette est donc considérée comme juive sous l’Occupation.

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