Le mystère Frontenac de François Mauriac

Le mystère Frontenac de François Mauriac

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Saint Jean-Baptiste, le 15 août 2003 (Ottignies, Inscrit le 23 juillet 2003, 88 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 8 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (15 065ème position).
Visites : 12 616  (depuis Novembre 2007)

Un monument de la littérature française

LE MYSTERE FRONTENAC Le meilleur des Mauriac
D’après les commentaires qui ont paru sur ce site on pourrait se poser la question :
« Mauriac serait-il devenu un illustre inconnu ? »
Il fut un temps où Mauriac était fortement déconseillé aux jeunes. On lui reprochait de n'avoir engendré que des monstres et d’inciter, par l'exemple, à la perversité…! Aujourd’hui, grâce à nos « psy », nous savons que nous sommes tous des monstres plus ou moins sommeillants, prêts à se réveiller au moindre clic. En réalité, Mauriac n’avait pas attendu cet envahissement des psychologues pour observer l'homme tel qu’il est. Et, s’il a incarné souvent des « monstres », il l’a toujours fait sans complaisance et souvent même avec une certaine horreur. C'était sa vision personnelle du monde. Et si ses romans ont un côté pessimiste, on y trouve toujours une source d’espérance. Souvent c'est un petit personnage fascinant qui apparaît et qui suggère qu’un retour sur soi-même est toujours possible.
Mauriac est un romancier chrétien en ce sens qu'il sait que l'homme a une conscience du bien et du mal, qu’il n'arrive jamais à étouffer complètement. De là à faire de lui un « catho coincé ». !? Allons ! ne tombons pas dans cette mode, très parisienne, d'accoler des étiquettes à tout le monde !
Les critiques enthousiastes de Saule à propos du Nœud de vipères, m'ont incité à relire mon préféré des Mauriac, Le Mystère Frontenac. Je me suis retrouvé instantanément sous le charme de ces Frontenac. Je les ai retrouvés comme on retrouve des vieux cousins avec qui on a vécu aux temps heureux des grandes vacances. Je n’ai pas eu envie de les juger. Ils sont se sont présentés dans toute leur épaisseur et leur réalité, bien vivants avec leurs grandeurs et leurs mesquineries, tels que sont tous les êtres humains.
J'ai aussi retrouvé avec bonheur le style Mauriac. Quand Mauriac parle d’une jeune fille, d'une femme épaisse, d’un homme vulgaire ou d'un poète, ces personnages deviennent vivants. Si la jeune fille a un parfum, on sent son parfum. Si l'homme qui a trop mangé, transpire, on a chaud avec lui…
Comme toujours chez Mauriac, on sent l'interdépendance des êtres entre eux. Surtout dans cette famille Frontenac, unie par des liens secrets et mystérieux. On sent aussi la dépendance des personnages avec leur environnement. Les Frontenac ont vécu dans les Landes, aux environs de Bordeaux, et ce pays les a marqué pour la vie. Comme l’écrira beaucoup plus tard le plus jeune Frontenac dans une lettre à son frère, « on ne vit pas dans les lointaines provinces comme on vit à Paris…»
Le mystère qui unit les enfants Frontenac s'est créé dans ce pays profond de leur enfance. Ils ont marché sous ces grands pins qui se transmettent par leurs branches, les secrets venus de l'océan. Ils ont respiré la même haleine des prairies, pleines de boutons d'or et de marguerites. Ils ont couru dans les mêmes herbes mouillées de la Pentecôte; brûlé au même soleil des grandes vacances; tremblé aux même orages du mois de septembre, qui surgissent comme des voleurs, et annoncent la rentrée. Et puis, il y a l’oncle Xavier, qui fabrique un bateau-phare dans une écorce de pin, qu’on mettra dans le ruisseau secret du fond du jardin, pour qu'il aille jusqu’à l’océan « avec sa cargaison de mystère Frontenac. » Et il y a surtout ce jeune Frontenac qui, frappé du génie, dialogue au bord de l'abîme avec les anges, dans le monde merveilleux des Poètes…
Ces racines, ces souvenirs, ces mystères seront palpables durant tous les événements de leur vie jusqu’à leur mort… Et surtout au moment de leur mort quand ils s'imaginent que les grands arbres du pays de leur enfance ont conservé le souvenir de leur présence, quand ils marchaient entre leur pied, sous leur frondaison épaisse qui les protégeait, en leur cachant les réalités du monde.
Ce roman n’est pourtant pas une histoire de la nostalgie. C'est avant tout une création très psychologique de personnages qu’on va suivre jusqu'à l'accomplissement de leur destinée. C'est raconté avec une charge de philosophie, des élans poétiques, et des envolées lyriques qui font l’envoûtement du style Mauriac.
Ce Mystère Frontenac est, avec Le Sagouin, Thérèse Desqueyroux, Le Nœud de vipères, et peut-être encore l'un ou l'autre Mauriac, un monument de la littérature française !
Il me semble que c’est ici que François Mauriac se soit révélé comme un des plus grands romanciers du XXème siècle.

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Les éditions

  • Le mystère Frontenac [Texte imprimé] François Mauriac
    de Mauriac, François
    B. Grasset / Les Cahiers rouges (Paris. 1983)
    ISBN : 9782246144946 ; 19,90 € ; 16/10/1996 ; 257 p. ; Format Kindle
  • Le mystère Frontenac [Texte imprimé] François Mauriac,...
    de Mauriac, François
    le Livre de poche / Le Livre de poche
    ISBN : 9782253010241 ; 2,92 € ; 01/10/1972 ; 1 vol. (189 p.) p. ; Poche
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Les livres liés

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L'ami Mauriac .

10 étoiles

Critique de Pierrot (Villeurbanne, Inscrit le 14 décembre 2011, 72 ans) - 29 avril 2018

Il traversa la salle de billard, descendit le perron, l’air brûlant s’ouvrit et se referma sur lui. Il s’enfonçait dans le parc figé. Des nuées de mouches ronflaient sur place, les taons se collaient à sa chemise. Il n’éprouvait aucun remords, mais était humilié d’avoir perdu la tête, d’avoir battu les buissons au hasard. Il aurait fallu rester froid, s’en tenir à l’objet de la dispute. Ils avaient raison, il n’était qu’un enfant… Ce qu’il avait dit à l’oncle était horrible et ne lui serait jamais pardonné. Comment rentrer en grâce? L'étrange était qu'à ses yeux, ni sa mère, ni son oncle ne sortaient amoindris du débat. Bien qu’il fût trop jeune encore pour se mettre à leur place, pour entrer dans leurs raisons, Yves ne les jugeait pas : maman, oncle Xavier, demeuraient sacrés, ils faisaient partie de son enfance, pris dans une masse de poésie à laquelle il ne leur appartenait pas d’échapper. Quoi qu’ils pussent dire ou faire, songeait Yves, rien ne les séparerait du mystère de sa propre vie. Maman et oncle Xavier blasphémaient en vain contre l’esprit, l'esprit résidait en eux, les illuminait à leurs insu.
Yves revint sur ses pas ; l’orage ternissait le ciel mais se retenait de gronder ; les cigales ne chantaient plus, les prairies seules vibraient follement. Yves avançait en secouant la tête comme un poulain, sous la ruée des mouches plates qui se laissaient écraser contre son cou et sa face. « Vaincu de 1870… » Il n’avait pas voulu être méchant ; les enfants avaient souvent plaisanté, devant oncle Xavier, de ce que ni lui, ni Burthe, engagés volontaires, n’avaient jamais vu le moindre Prussien. Mais cette fois, la plaisanterie avait eu un tout autre sens. Il gravit lentement le perron, s’arrêta dans le vestibule. Personne encore n’avait quitté le petit salon. Oncle Xavier parlait: «… A la veille de rejoindre mon corps, je voulus embrasser une dernière fois mon frère Michel ; je sautai le mur de la caserne et me cassai la jambe. A l’hôpital, on me mit avec des varioleux. J’y aurais laissé ma peau…Ton pauvre père qui ne connaissait personne à Limoges fit tant de démarches qu’il arriva à me tirer de là. Pauvre Michel ! Il avait en vain essayé de s’engager( c’était l’année de sa pleurésie)… Il demeura des mois dans cet affreux Limoges où il ne pouvait me voir qu’une heure par jour … »
Oncle Xavier s’interrompit : Yves avait paru sur le seuil du petit salon ; il vit se tourner vers lui la figure bilieuse de sa mère, les yeux inquiets de Jean-Louis ; oncle Xavier ne le regardait pas. Yves désespérait de trouver aucune parole ; mais l’enfant, qu’il était encore, vint à son secours ; d’un brusque élan, il se jeta au cou de son oncle sans rien dire, et il l’embrassait en pleurant ; puis il vint à sa mère [...]
« Oui, mon petit, tu as de bons retours… Mais il faudrait te dominer, prendre sur toi… »
Jean-Louis s’était levé et rapproché de la fenêtre ouverte pour qu’on ne vît pas ses yeux plein de larmes. Il tendit la main au dehors et dit qu’il avait senti une goutte.

Passée à côté... ?

7 étoiles

Critique de Nathafi (SAINT-SOUPLET, Inscrite le 20 avril 2011, 57 ans) - 20 septembre 2014

Je n'ai pas été charmée par l'histoire à proprement dit, mais par l'écriture de M. Mauriac. J'ai lu de ses oeuvres il y a longtemps, je savais que le style me plairait, par contre j'avoue quand même m'être ennuyée à la lecture du Mystère Frontenac. J'en attendais certainement trop de ce titre prometteur, j'attendais plus de tension entre tous ces personnages, Xavier a emporté toute ma sympathie, emprisonné dans certaines convenances qui l'empêchent de vivre comme bon lui semble. Jean-Louis remporte le mérite de mener tout ce petit monde à la baguette, mais a du lui aussi renoncer à ses rêves.
Yves, le poète rêveur bohème, qui aurait pu m'attendrir, m'a semblé particulièrement antipathique. Bien sûr c'est le seul qui ait pu maintenir le cap de ses ambitions, mais au détriment des autres, au bon vouloir de son frère et à la bienveillance et l'aveuglement de sa mère.
C'est peut-être une analyse très dure de ce personnage que j'apporte, mais c'est tout à fait ce que j'ai ressenti.

Portrait d'une famille bourgeoise française comme il devait en exister beaucoup à l'époque, où la tradition est respectée. A noter la toute petite place, et encore, des filles de la fratrie, quasi inexistantes dans cette histoire.

Et au milieu coule une rivière

4 étoiles

Critique de Hexagone (, Inscrit le 22 juillet 2006, 53 ans) - 30 octobre 2008

C'est lent, c'est long, il ne se passe rien, la vie d'une famille bourgeoise en province, ses petits atermoiements, ses interrogations sur le pourquoi du comment. Je n'ai pas du tout été transporté par ce livre. Même si l'auteur a du talent sans conteste. Est-ce une littérature dépassée ? N'y-a-t-il rien à puiser dans ce livre ? N'est-il plus de notre temps ? Beaucoup de questions, il aura eu ce mérite, peu de réponses. Je passe la main.

Déception

4 étoiles

Critique de Dalania (Dijon, Inscrite le 25 octobre 2006, 37 ans) - 20 janvier 2007

J'ai été très décue par ce mystère. Je ne m'attendais pas à cela du tout. De plus, le début du livre est encore assez plaisant, mais je n'ai pas du tout aimé la seconde partie.

Le plus Mauriac des Mauriac

10 étoiles

Critique de Eleinad (POITIERS, Inscrite le 27 décembre 2005, 74 ans) - 27 décembre 2005

Ce livre est un pur enchantement.
Il est aussi bouleversant par tout ce qu'il peut révéler de François Mauriac sans être une auto-biographie. Plutôt une sorte de mémoires imaginaires poétiques.
Mauriac disait de ce livre :" plus près de mon coeur que les autres".

Le refuge du néant

9 étoiles

Critique de Kinbote (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans) - 27 octobre 2003

Je lis les deux notes rendant compte de ce livre et ne vois guère de choses à ajouter. Je serais de l'avis de St Jean-Baptiste qui dit sa préférence pour ce roman (des trois que j'ai lus, c'est aussi mon préféré) mais Saule en signale deux autres à mon attention que je n'ai pas encore lus : Le Sagouin et Le Noeud de vipères. Lire tout Mauriac ne serait donc pas du luxe? Lucien a été bien inspiré de nous amener sur cette voie...
Pour ma part, c’est la peinture de l'amour fraternel entre Jean-Louis et Yves qui m’a touché. Celui (Jean-Louis) qui délaisse sa vocation, l'étude des philosophes, pour gérer l'entreprise familiale, et celui (Yves) qui embrasse la carrière littéraire au risque de renier ses racines. L’un comme l'autre ne sont pas entièrement satisfaits de leur choix et vouent à leur frère une admiration secrète pour avoir porté dans la réalité la part qu’ils ont abandonnée. Le soutien aussi qu’ils s’apportent, la réponse différente qu’ils donnent à l’appel de Dieu...
Jean-Louis et Yves rejouent, une génération plus bas, l’amour qui unissait Michel, leur père décédé, et Xavier, cet oncle attachant qui veillera ensuite sur leurs intérêts tout en sacrifiant sa vie privée. Ce père est mort comme pour laisser s’épanouir chez ses trois fils les différentes facettes de sa personnalité. Il y a aussi le fils José, sa part maudite, le mal aimé qui part cacher sa laideur au loin, et qui mourra, nous dit-on, dans l’affreuse guerre des tranchées de 1914. Car, en fait, ce roman est une chronique familiale qui s’étend sur plusieurs années avant le Grande Guerre et dépeint la France provinciale d'avant, fortement marquée par le 19ème siècle et qui ne sait encore trop que faire de ce XXème siècle envahissant n’offrant déjà plus d’espace à Dieu, à la chose artistique en soi, et à certains "grands" sentiments. Seul point noir au tableau si poignant de cette famille, le peu de crédit donné aux deux filles dont on n'apprend quasiment rien et qui apparaissent ici et là en profils perdus, telles deux ombres un peu épaisses, nous est-il cependant précisé, ce qui montre bien la place que les femmes occupaient tant que, comme Blanche Frontenac - née Arnaud-Miqueu -, la mère de nos rejetons, elles ne surgissaient pas dans la lumière d'un veuvage précoce, en belle-soeur digne, en mère poule attachée à la bonne transmission d’une lignée.
« Pourquoi nous a-t-on appris à douter du néant ?...L'irrémédiable, c'est de croire, malgré et contre tout, à la vie éternelle. C'est d'avoir perdu le refuge du néant. »

Les liens familaux

8 étoiles

Critique de Saule (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 58 ans) - 2 septembre 2003

Dans «Le noeud de Vipères» Mauriac donne une image très négative de la famille, vipères qui se déchirent pour un héritage. Dans "Thérèse Desqueyroux" la famille est mauvaise : on sacrifie tout à son intérêt suprême et aux convenances. Peut-être Mauriac veut-il se faire pardonner ? Ici il nous donne tout le contraire : la famille Frontenac s'aime profondément. Elle est soudée par un lien subtil, indéfinissable : le mystère Frontenac. Même lorsqu'il s'agit de faire passer l'intérêt de la famille avant le sien propre, cela est présenté de manière positive : l'aîné renonce à sa vocation littéraire pour assurer la charge de l'étude familiale, l'oncle Xavier sacrifie sa compagne à l'intérêt des enfants, la mère (jeune veuve) se consacre exclusivement à ses cinq enfants.

L'évocation du domaine familial, les landes, les grands pins, les vacances d'été, tout cela est un vrai régal sous la plume de Mauriac. Une très belle évocation de caractères également, principalement le cadet, Yves, qui comme le dit Saint Jean Baptiste "dialogue au bord de l'abîme avec les anges, dans le monde merveilleux des Poètes..". L’émotion aussi, comme lorsque l'oncle Xavier sur son lit de mort chasse sa fidèle compagne, ce que comprennent les neveux mais qui grâce à Dieu échappe à la brave femme.
Est-ce le meilleur des Mauriac ? Personnellement je lui préfère le "Noeud de Vipères" dans lequel l'intensité voire la fureur des personnages est inégalée. Ou le Sagouin pour la beauté des sentiments.

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