Elena et le roi détrôné de Claudia Piñeiro

Elena et le roi détrôné de Claudia Piñeiro
(Elena sabe)

Catégorie(s) : Littérature => Sud-américaine

Critiqué par Paofaia, le 31 janvier 2014 (Moorea, Inscrite le 14 mai 2010, - ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (3 748ème position).
Visites : 3 819 

Savoir..

En exergue:
Maintenant, il la reconnaissait, elle qu'il avait certes aimée de son vivant mais sans jamais l'avoir reconnue. On n'était finalement uni à l'être aimé que lorsque ce dernier était mort, alors seulement on le portait en soi.
Thomas Bernhard ( Perturbation)


Une construction en béton, ce n'est rien d'autre qu'un château de cartes. Il suffit qu'arrive le coup de vent qu'il faut.
Thomas Bernhard
( Ténèbres)

Pourquoi cette traduction du titre? Elena sait, point.
Et Elena sait tout sur sa maladie, une forme rapide de Parkinson, qui ne lui permet de continuer à "vivre" avec un cerveau qui réfléchit et le reste du corps qui ne réagit -encore pour un petit moment, combien de temps- qu'après la prise de son médicament.
Rita ,sa fille, savait aussi.
Mais Elena ne sait pas tout. Elle ne sait pas pourquoi Rita a été retrouvée pendue dans le clocher de l'église. Pourtant, Elena sait que Rita n'allait jamais à l'église quand l'orage menaçait, Rita avait peur de la foudre. Les choses qu'Elena sait sont des certitudes. Et revenir sur des certitudes, c'est très difficile.
Et Elena ne sait pas non plus qu'on ne fait pas le " bien" des autres malgré eux, ou plutôt que l'on ne prend pas certaines décisions à leur place.

Tout cela, elle va l'apprendre au cours de cette journée , en se traînant, pas après pas, pour continuer cette quête de vérité, une minute après l'autre, cette journée de lutte acharnée contre l'impuissance de son corps.

C'est un roman.. déchirant, hyperréaliste, cruel, terriblement éprouvant à la lecture. Mais excellent.

Elena boit son thé et dit, je l'ai aimée, et elle m'a aimée, vous savez? Je n'en doute pas, dit Isabel, à notre façon, explique Elena, mais pour l'autre il n'y a pas besoin d'explication, c'est pourquoi elle dit, c'est toujours à notre façon. Le chat miaule entre les deux femmes. Ai-je été une bonne mère? Qui peut le dire?
....Vous aimez les chats? demande Isabel ,je ne sais pas, répond-elle et la femme lui dit, au moins nous savons que le chat vous aime. Elena sourit et pleure en même temps, oui, on dirait qu'il m'aime. Qu'est ce que vous allez faire, maintenant? demande la femme et Elena voudrait répondre, elle voudrait dire, je vais attendre de pouvoir me remettre à marcher, mais il y a tant de mots qui envahissent sa tête en même temps, qui s'emmêlent, se mélangent, se brisent les uns contre les autres, se perdent ou meurent avant qu'Elena ait pu les prononcer, alors elle ne dit pas, ne répond pas, ne sait pas, ou parce qu'elle sait maintenant, elle se garde de dire, de répondre, se contente de caresser le chat. C'est tout pour aujourd'hui, caresser un chat. Demain peut-être, quand elle ouvrira les yeux et prendra son premier comprimé de la journée. Ou quand elle prendra le deuxième. Peut être.

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Les éditions

  • Elena et le roi détrôné [Texte imprimé], roman Claudia Piñeiro traduit de l'espagnol (Argentine) par Claude Bleton
    de Piñeiro, Claudia Bleton, Claude (Traducteur)
    Actes Sud / Lettres latino-américaines
    ISBN : 9782742794485 ; 19,30 € ; 05/01/2011 ; 192 p. ; Broché
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Une grande réussite

10 étoiles

Critique de Sentinelle (Bruxelles, Inscrite le 6 juillet 2007, 54 ans) - 1 février 2014

Cela tenait de la gageure mais l’auteur a réussi haut la main à retenir l’attention vigilante de son lecteur en transformant le chemin de croix d’une femme d’une soixantaine d’années atteinte de la maladie de Parkinson en odyssée digne d’une tragédie grecque. Oubliez « les ressorts de la littérature policière » de la quatrième de couverture, nous sommes en plein roman psychologique dans lequel trois portraits de femmes se chevauchent, se juxtaposent, se croisent et se repoussent à la fois. Nous sommes au plus près de la maladie, nous sommes même en dedans, dans la tête et le corps d’Elena qui lui échappe, ce corps paralysé et agité à la fois, ce corps hors de contrôle et hors de portée, comme peuvent l’être certains de nos proches, que nous pensions connaître mais qui nous échappent toujours un peu. La maladie occupe la place centrale du roman mais sans pathos ni apitoiements : le ton est rude, sec, frontal et percutant, comme le sont les relations interpersonnelles pleines de non-dits, de colères, de rancunes et de frustrations mais aussi d’amour et d’affection.

Il n’est pas donné à tout le monde d’accepter l’inacceptable, nous atteignons tous un moment ou un autre notre limite supportable. Voici alors venu le temps où il n’y a plus aucun échappatoire possible, et nul ne sait d’avance comment il s’y révélera : avec hargne, pugnacité, avec pudeur, avec effroi, peur ou rejet.

« Un jour, n’importe lequel, le jour où votre fille m’a trouvée vomissant sur un trottoir, le jour où votre fille a été trouvée morte dans le clocher d’une église, ou même aujourd’hui, la vie nous met à l’épreuve, ce n’est plus une mise en scène sur un théâtre imaginaire. C’est le jour où se produit devant nous la véritable révélation, ce jour-là il n’y a plus de mensonge qui vaille. »

Ce qui me frappe avant tout après la lecture de ce roman est ce grand respect que je ressens envers ces trois femmes, qu’on se garde bien de juger tant nous ne savons pas nous-mêmes comment nous réagirions face à ces situations. La vie est un combat de tous les jours, âpre et cruel, et la rage de vivre se trouve parfois là où on ne l’attendait pas.

Un très bon roman et un auteur à suivre de très près.

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