Les jours, les mois, les années de Yan Lianke, Brigitte Guilbaud (Traduction)

Les jours, les mois, les années de Yan Lianke, Brigitte Guilbaud (Traduction)
(Nian yue ri)

Catégorie(s) : Littérature => Asiatique

Critiqué par Myrco, le 20 janvier 2014 (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 74 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (12 610ème position).
Visites : 4 967 

Lumineux, intense et touchant...

...ce récit universel, magnifique de puissance, de dépouillement, de force émotionnelle, se lit comme une sorte de conte à la gloire de ce qu'il y a de meilleur en l'homme.

Quelque part en Chine, sur le flanc d'une chaîne montagneuse, on ne sait quand, sévit une sécheresse implacable ; la terre n'en peut plus et les habitants d'un village se voient contraints d'entamer une longue marche pour aller trouver ailleurs leur subsistance.
Le plus âgé de la communauté, l'aïeul, ne les suivra pas... il ne s'en sent pas la force... et puis, quelque chose le retient: une toute jeune vie, un unique plant de maïs est apparu dans son champ.
Dès lors, dans une atmosphère incandescente, avec pour seule compagnie celle d'un chien devenu aveugle par la sottise cruelle des hommes, va commencer bientôt pour eux, une lutte acharnée, ultime, contre ce soleil de plomb dont les rayons pèsent de plus en plus lourd, contre la faim, la soif... mais pas seulement, car sur le même territoire, d'autres êtres vivants tentent aussi de survivre. Et cela va durer des jours, des mois ...

Mais si le récit atteint le sublime, à mon sens, c'est qu'il va bien au-delà d'un "simple" combat pour la survie.
Pour un être humain au crépuscule de sa vie, un être que la jeunesse n'alimente plus de la sève du désir, un rien qui a besoin de ses soins, "un arbre, un brin d'herbe" à défaut d'autre chose peut encore donner un sens à la vie. Dans ce plant de maïs si dérisoire, si vulnérable, qui symbolise ici le triomphe de la vie, l'aïeul va puiser la force de se battre, une force qu'il n'aurait pas trouvée pour lui-même et le récit va se ponctuer de ses défis à tous les obstacles... jusqu'à ce soleil qu'il défie de la pointe de sa cravache !
Avec l'aide indéfectible de son chien, ce plant, il va le veiller jour et nuit, le nourrir et l'arroser, jusqu'à le faire de leur propre substance, le protéger, essayer de le faire grandir comme un enfant avec pour objectif que les grains de son épi parvenu à maturité fournissent de nouvelles semences à offrir aux villageois à leur retour, pour perpétuer ainsi la continuité du grand cycle de la nature.

Ce livre interpelle donc à la fois sur le sens de la vie, la transmission et rend un magnifique hommage aux ressources de courage, de ténacité, d'ingéniosité que l'homme peut trouver en lui, au-delà de sa souffrance et de sa peur, au nom d'un but plus élevé que l'amour de soi, à ses capacités de respect de l'autre et d'amour (la relation de tendresse réciproque avec le chien jusqu'au "choix" final est très porteuse d'émotion ) . C'est -je dirais- le versant limpide, humaniste, pur et idéaliste d'une œuvre par ailleurs plus contrastée qui s'attachera souvent à des aspects plus sombres de la nature humaine (voir "Le rêve du village des Ding", "Les quatre livres" ou d'autres encore...) .

Si l'histoire captive de bout en bout, l'auteur sachant parfaitement instiller au fur et à mesure de son avancée des éléments nouveaux qui relancent l'angoisse et l'émotion, la langue de YAN riche d'images descriptives, de concordances particulières (par exemple entre les sons et couleurs ou impressions) participe également de la beauté du texte et de son pouvoir d'envoûtement.

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L’AÏEUL ET L’AVEUGLE

8 étoiles

Critique de Septularisen (Luxembourg, Inscrit le 7 août 2004, 56 ans) - 18 mars 2018

Je ne reviendrais pas sur le synopsis du livre, déjà amplement décrit dans les critiques précédentes. Disons en gros qu’il s’agit ici de la « lubie » d’un vieil homme arrivé à la fin de sa vie et qui, ne pouvant de toute façon pas suivre l’exode des autres villageois qui fuient la sécheresse, décide, - dans un dernier « baroud d’honneur », et uniquement aidé d’un chien devenu aveugle -, envers et contre tout de faire pousser un unique pied de maïs…

Mais encore? Et bien c’est petit livre (à peine plus de 150 pages dans la version de poche), qui se lit en quelques heures et d’une écriture belle, fluide, intense, prenante. On tourne les pages sans vraiment s’en apercevoir, on est très vite «happé» dans l’histoire de l’aïeul et de l’aveugle et on veut absolument en connaître la suite.

C’est un livre dur, avec la mort en toile de fond à chaque page, et les descriptions des luttes pour la survie de l’aïeul et de l’aveugle sont épiques. Ils se battent non seulement contre la chaleur, la faim, la soif, le soleil, le manque de sommeil… Mais aussi et surtout contre les rats et les loups. La lutte épique de plusieurs jours du vieillard contre une meute de loups est d’ailleurs un des moments les plus aboutis du roman de YAN Lianke et parmi les plus belles pages qu’il m’ait été donné de lire depuis très longtemps.

Je dois par contre dire que, contrairement à certaines critiques que j’ai lues ici et là sur le web, je n’ai absolument vu aucune ressemblance entre ce livre et « Le vieil homme et la mer » d’Ernest HEMINGWAY. Au contraire je dirais que le sujet et le traitement de l’histoire sont complètement différents, ne serait-ce que dans la fin de l’histoire (non, non n’insistez pas je ne vous la raconterai pas…). Seul à la limite le personnage de l’aïeul peut présenter quelques ressemblances avec le personnage de l’américain, mais franchement cela s’arrête là!

Un très beau livre en tout cas et je dois avouer avoir passé un très bon moment à sa lecture, je ne peux que vous souhaiter la même chose quand vous partirez à la découverte de ce livre!

Le vieil homme et le pied de maïs

8 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 67 ans) - 17 octobre 2017

J’ai du mal à imaginer qu’un érudit comme Yan Lianke ne connaisse pas Hemingway, et notamment « Le vieil homme et la mer » ! Remplacez la mer des Caraïbes par la région du Henan, en Chine (région d’où est issu Yan Lianke et siège de (quasiment ?) tous ses romans), la lutte contre l’espadon par celle que le vieil homme mène pour la survie d’un unique pied de maïs dans les montagnes du Balou complètement dévastées par une sécheresse sans nom, et vous avez un synopsis similaire.
Il s’agit donc d’un court roman poignant sur la lutte sans espoir menée par le vieil homme resté seul au village, abandonné par tous du fait d’une sécheresse qui obère la récolte à venir et donc la survie du village lors de l’hiver qui suivra. Tous les paysans sont partis vers un ailleurs où, au moins, ils trouveront de quoi survivre, mais lui, le vieil homme, est resté, lucide sur le fait qu’il n’aurait pas tenu plus de trois ou quatre jours à cheminer sous un soleil de plomb le ventre vide. Enfin, il n’est pas vraiment seul puisqu’un vieux chien devenu aveugle du fait des croyances folles des hommes est resté avec lui. Et puis non, ils ne sont pas réellement tout seuls puisque, partant avec les autres initialement, et passant devant son champ il a vu un pied de maïs seul de son espèce qui avait levé et qui va devenir sa dernière raison de vivre ; tout mettre en œuvre pour que ce pied donne l’épi de maïs qu’il censé donner.
« Le pied de maïs avait cassé par le vent, ses feuilles pendaient dans le vide comme des doigts, frissonnantes dans la chaleur, leur délicatesse soyeuse, la tendreté de leur vert blessées désormais.
L’homme et le chien déménagèrent pour s’installer sur le champ en pente.
L’aïeul n’avait guère hésité ; de même qu’un vieillard voyant une pastèque presque mûre décide de s’installer près d’elle, de même il enfonça quatre pieux à côté du pied de maïs. Autour des pieux il attacha deux battants de porte, puis d’une natte de paille fit un toit. Enfin il s’y établit. Sur les piliers de sa cabane, il enfonça quelques clous sur lesquels il accrocha casseroles, cuillères et brosses. Il mit les bols dans un sac à farine qu’il suspendit sous la casserole. Dehors, il creusa un four. Pour le reste, il n’y avait plus qu’à attendre qu’une nouvelle pousse de maïs bourgeonne. »

Il va – ils vont, avec le chien aveugle, entité à part entière dans le roman – affronter les pires calamités : les rats, les rudes marches pour dénicher l’eau pour abreuver le pied de maïs, une meute de loups prêts à en découdre, puis finir par faire le sacrifice de sa propre vie comme quelque chose d’inéluctable.
La Chine est sans aucun doute un pays dur et largement incompréhensible pour nous occidentaux sur le plan moral (à moins d’accepter que le concept de morale se résume à l’argent !). Yan Lianke n’adoucit pas son trait pour autant. C’est la Chine réelle qu’il nous donne à lire.

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