Menaud, maître-draveur de Félix-Antoine Savard

Menaud, maître-draveur de Félix-Antoine Savard

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 7 juillet 2003 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (2 200ème position).
Visites : 7 450  (depuis Novembre 2007)

Un Québec spolié

Cette oeuvre, écrite en 1937, exige une connaissance de l'histoire québécoise pour qu'elle soit appréciée à sa juste valeur. Notre littérature est née vers les années 1930. Au 19e siècle, il était mal vu par l'Eglise d'écrire une oeuvre d'imagination. Philippe Aubert de Gaspé, qui a écrit Les Anciens Canadiens, a pu faire publier son roman en faisant accroire que c'était une oeuvre ethnographique comme le dénote le titre. Il a fallu attendre Louis Hémon, un Français, avec son célèbre Maria Chapdelaine pour que s'organise une vraie littérature. Avant 1930, les romanciers ne savaient pas comment traiter la réalité québécoise. On faisait dans le terroir en abusant des québécismes. On croyait bien faire en incitant la population à se reproduire, à rester attachée à l'agriculture et à l'élevage. C'est Félix-Antoine Savard et quelques autres, dont Jean-Charles Harvey et Roger Lemelin, qui ont donné à notre littérature son premier envol.
Ce Savard, qui est un prêtre, s'est inspiré de Louis Hémon. Pour Menaud, maître-draveur, l'auteur a donc choisi comme sujet un cas de dépossession : le vol pur et simple de la forêt de la région de Charlevoix par les Américains. Leur impérialisme ne date pas de la guerre en Irak. Nous avons été leur première victime. Ils se sont même emparés de nos rivières en se les réservant pour produire de l'électricité ou pour pêcher. Il a fallu attendre le gouvernement Lesage en 1960 pour que l'on se débarrasse de leur main mise sur tous les leviers de notre économie. Son slogan «Maître chez nous» signifiait cela. Il a fallu attendre Daniel Johnson père en 1967 pour que l'on retrouve l'accès libre à nos lacs et à nos rivières de pêche. Et ce n'est qu'en 2000 que Richard Desjardins a montré tous les dommages causés par la déforestation autorisée par les gouvernements du début du 20e siècle pour une période de 100 ans.
Félix-Antoine Savard a dénoncé avec civilité cette situation dans Menaud, maître-draveur. Son oeuvre est immensément politique et reste d'actualité si l'on est sensible à l'impérialisme américain qui envahit nos vies. On pense américain (the best of the world : Céline Dion en est l'incarnation), on bouffe américain (hot dogs), on se vend aux Américains (le propriétaire du club de hockey Canadiens est un Américain), on offre de la chair à canon pour leurs guerres, on achète leur musique, leur littérature, leurs sports, leur télévision, leurs spectacles... Mais eux interdisent ou limitent, malgré le traité de libre-échange, la vente de nos porcs, de notre bois de construction, de nos produits agricoles et viticoles alors que l'on est inondés par ceux de la Californie.
Ce long détour pour situer l'oeuvre de Mgr Savard s'appuie sur un cas patent de dépossession. La «drave» était un travail dangereux. L'hiver, les bûcherons coupaient des arbres. On les déposait sur une rivière. Quand arrivait le printemps, le courant les entraînait vers des papetières. Afin que les billes de bois ne s'empêtrent pas pour former un barrage, qui les empêcheraient d'atteindre leur destination, des «draveurs» marchaient sur ces troncs d'arbres avec des gaffes pour les décoincer le cas échéant. Une chute de leur part, et c'était la mort assurée alors que les cours d'eau étaient couverts de billes. C'est ainsi que Menaud a perdu son fils au profit des papetières. Dans Le Joueur de flûte, Louis Hamelin a repris le même sujet qu'il a situé dans le contexte de la Colombie-britannique.
Ce roman nationaliste est une bible pour les Québécois qui veulent garder un oeil ouvert sur un quotidien qui ne reproduit pas les erreurs du passé. L'injustice signalée par Menaud rejoint toutes les générations même si quelques-uns l'ont trouvé xénophobe. Il est parfois mal vu de dénoncer la réalité qui nous tisse comme il aurait été mal venu de dénoncer les nations colonisatrices jusqu'à tout récemment. On trouve que les dépossédés manquent de classe quand ils fournissent le nom de ceux qui les ont spoliés. Cette oeuvre n'étale pas seulement les plaies vives d'un peuple. Savard est un artiste de la plume. Il voulait atteindre la perfection en écrivant ce roman. Il y est presque arrivé.

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Une écriture magnifique !

10 étoiles

Critique de Dirlandaise (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 69 ans) - 16 décembre 2011

Un chef-d'oeuvre de la littérature québécoise ! Un livre magnifique qui situe l'action dans la belle région de Charlevoix au Québec. Menaud est un homme d'une cinquantaine d'années. Il vit avec son fils Joson et sa fille Marie. Le printemps est venu et les hommes doivent libérer la rivière d'un embâcle provoqué par l'accumulation de billots. En effet, à l'époque, le bois flottant était transporté directement dans l'eau de la rivière et souvent, des noeuds se formaient qu'ils devaient dénouer à l'aide de piques et en dernier recours à la dynamite. Un métier extrêmement dangereux. En plus de ce métier, Menaud possède une terre qu'il exploite du mieux possible malgré les conditions difficiles. Une rumeur circule à l'effet que les étrangers (les Anglais), prendront bientôt possession de toute la région et les agriculteurs se retrouveront simples locataires de leurs biens. Menaud n'accepte pas cette domination anglophone et la révolte gronde dans son coeur. Il tente de mobiliser ses compagnons et voisins afin de résister a l'envahisseur, protéger leur liberté et leur précieux héritage francophone.

Un roman écrit par un ecclésiastique québécois en 1937 et qui exalte le sentiment nationaliste d'une fort belle façon. Il faut lire le texte original cependant car les versions postérieures ont été édulcorées et certaines phrases percutantes adoucies au plus grand dam des indépendantistes. Car curieusement, l'auteur laisse planer sur son oeuvre par le biais de son personnage principal, un fort plaidoyer pour l'indépendance nationale et un vibrant appel en faveur de la liberté du peuple québécois, affranchi de la domination de l'establishment anglophone qui l'exploite honteusement. Son idéologie politique subira malheureusement des influences qui l'amèneront à se tourner vers le fédéralisme. S'ensuivra un rejet de son roman par un lectorat fidèle à la cause souverainiste et le roman sombrera dans une espèce d'oubli pendant des années.

Mais, il faut le lire car l'écriture est absolument hallucinante et plus que magnifique, prodigieuse. L'auteur maîtrise l'art de la métaphore à un point tel qu'il faut parfois relire plusieurs fois un paragraphe afin d'en bien comprendre le sens et une fois cela fait, c'est avec une sentiment d'incommensurable admiration pour l'érudition de l'écrivain, son amour de la faune et de la flore québécoise et son regard lumineux posé sur les paysages brumeux et sauvages de la région que ma lecture s'est poursuivie. Rarement ai-je lu quelque chose d'aussi beau et d'aussi grand.

Par contre, certaines expressions risquent de rebuter le lecteur mais elles sont assez faciles à déchiffrer dans le contexte où elles sont insérées. Cela donne au livre un cachet unique et une saveur typiquement québécoise qu'il fait bon lire et relire tellement la beauté du langage et des phrases constituent un enrichissement pour l'âme et le coeur.

"Nous sommes venus il y a trois cent ans et nous sommes restés. Nous avons marqué un plan de continent nouveau, de Gaspé à Montréal, de St-Jean d'Iberville à l'Ungava, en disant : "Ici toutes les choses que nous avons apportées avec nous, notre culte, notre langue, nos vertus et jusqu'à nos faiblesses deviennent des choses sacrés, intangibles et qui devront demeurer jusqu'à la fin. Car nous sommes d'une race qui ne sait pas mourir !""

"Être libre, c'était goûter dans l'air ce qu'on goûte en mangeant le pain de son blé. Être libre, c'était en quelque endroit qu'on aille où les pères sont allés, sur tous les visages reconnaître quelque chose du visage des siens, dans les moeurs, quelques traits de ses moeurs ; c'était voir toute porte s'ouvrir et recevoir accueil en sa langue : "Entrez, vous êtes chez vous !""

Ah, c'est beau !

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