Les vestiges du jour de Kazuo Ishiguro
( The remains of the day)
Catégorie(s) : Littérature => Anglophone
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Grandeur et décadence
Kazuo Ishiguro a réussi le tour de force d'écrire un des romans les plus british qu'il soit,malgré son origine japonaise. Né à Nagasaki, Kazuo Ishiguro vivra dès sa petite enfance en Grande Bretagne, et deviendra d'ailleurs citoyen de sa majesté dès 1983. Il recevra même le titre d'officier de l'Ordre de l'Empire Britannique en 1995.
"Les vestiges du jour" est son troisième roman. Un roman dont j'ai du mal à faire la critique tant il m'a séduit, dont j'ai véritable savouré chaque page, chaque phrase... Je suis persuadée qu'il trouvera sa place parmi les grands classiques anglais, si ce n'est déjà fait.
Monsieur Stevens, majordome vieillissant, profite de l'absence de son maître pour voyager à travers la campagne anglaise au volant d'une ford. Le but de ce périple est une visite à Miss Kenton, l'ancienne gouvernante de Darlington Hall, dont il a récemment reçu une missive. Ce voyage est également l'occasion pour le butler de revenir sur son passé et de faire le point sur sa vie. Majordome comme son père, Stevens tire une grande fierté de sa carrière passée au service de Lord Darlington et au vu de laquelle il estime figurer au nombre des plus grands butlers. En effet, il a servi pendant des dizaines d'années une famille respectable et prestigieuse dotée d'une grande valeur morale et ce avec une dignité méritante, la plus importante des qualités d'un bon majordome selon lui.
Mais au fur et à mesure de ses pérégrinations, le lecteur se rend compte que Stevens n'est pas si fier de sa réussite, que, finalement, sa vie n'est qu'un gâchis. Malgré son déni, on s'aperçoit qu'il a en fait honte d'avoir servi si loyalement Lord Darlington, qui, on le comprend peu à peu, a trempé dans des histoires louches liées aux allemands et à la montée du nazisme. Peu après la première guerre, l'aristocrate s'était lié avec un allemand et était outré par la façon dont les alliés traitaient le peuple vaincu. Peu à peu, il organisa des conférences secrètes avant de passer totalement sous la coupe des hommes de main d'Hitler. Convaincu par les idéaux fascistes, il ira jusqu'à déclarer que la démocratie est dépassée et que la mise en place d'un régime fort devient une nécessité. Il ordonnera également à Stevens de congédier le personnel d'origine juive. Kazuo Ishiguro met ainsi en scène le déclin de l'aristocratie anglaise. Aristocratie qui craint de voir ses prérogatives diminuer, qui refuse de voir le petit peuple participer aux grandes décisions ou qui est, tout simplement, victime de ses grands principes et de son aveuglement face aux changements de la société. La preuve de ce déclin est fournie par la vente du manoir au profit d'un riche industriel anglais à la mort de Sa Seigneurie.
Mais le vieux butler est également passé à côté d'un bonheur probable avec Miss Kenton, à laquelle une tendre complicité l'unira malgré des débuts orageux. Malheureusement, cette relation a été ruinée par deux ou trois vifs échanges de paroles mettant en lumière certaines divergences, que la retenue, la pudeur et la fierté du butler, ou simplement son incapacité à déceler le caractère décisif de menus événements, lui ont empêché de réparer.
Ce roman se distingue également par l'écriture délibéremment précieuse et maniérée choisie par le romancier. On a réellement l'impression d’entendre parler un majordome tout droit sorti d’un roman d'Agatha Christie. Un majordome qui emploie le "on" pour parler de lui-même! Je n'ai pu m'empêcher de faire un parallèle avec le film "Gosford Park" de Robert Altman qui décrit, lui aussi, la vie de la domesticité anglaise dans une grande demeure avec les rangs et les protocoles qui existent en son sein, un peu à l'image de ce qui se passe pour leurs patrons.
Le roman de Kazuo Ishiguro est empreint d’une certaine tristesse mais se clôture sur une note d’espoir. Pour l'auteur, « Le soir est la meilleure partie de la journée", affirmation qu'il interprète au sens propre comme au figuré : il faut arrêter de penser à nos échecs, aux décisions qu’on n'a pas prises, aux occasions manquées mais il faut aller de l’avant.
Les éditions
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Les vestiges du jour [Texte imprimé] par Kazuo Ishiguro trad. de l'anglais par Sophie Mayoux
de Ishiguro, Kazuo Mayoux, Sophie (Traducteur)
10-18 / Domaine étranger
ISBN : 9782264035851 ; 3,49 € ; 05/09/2002 ; 266 p. ; Poche -
Les vestiges du jour [Texte imprimé] Kazuo Ishiguro traduit de l'anglais par Sophie Mayoux
de Ishiguro, Kazuo Mayoux, Sophie (Traducteur)
Gallimard / Collection Folio
ISBN : 9782070416707 ; 8,60 € ; 25/03/2010 ; 352 p. ; Poche -
The Remains of the Day
de Ishiguro, Kazuo
Faber & Faber
ISBN : 9780571258246 ; EUR 9,60 ; 01/04/2010 ; 272 p. ; Broché
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Les critiques éclairs (20)
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dévouement absolu
Critique de Odile93 (Epinay sur Seine, Inscrite le 20 décembre 2004, 70 ans) - 4 novembre 2021
Etonnée au début par le contenu du livre très différent du film que j'avais vu il y a très longtemps, j'étais un peu déçue par les longues tirades de Mr. Stevens. Donc un rythme lent.
Mais finalement, encore une fois, avec son talent de conteur, Ishiguro m'a emportée dans son roman.
Sans vouloir déflorer la fin, il semblerait que Mr Stevens ait totalement loupé sa vie. Finalement, il n'a vécu qu'au travers de son maître. En filigrane, il semble se poser des questions, il voit aussi à regret que le temps des grandes maisons aristocratiques et des majordomes à l'ancienne est révolu. Par ailleurs, il est incapable de sentiments, ni de réactions, par exemple quand Mrs Benn se dévoile. Aucune réaction. Juste la politesse et la gentillesse de mise. Comme s'il n'avait pas entendu. La froideur du majordome versus les regrets de Mrs. Benn, un moment du livre très poignant.
En résumé, un bon livre, bien écrit et comme toujours, Ishiguro donne envie aux lecteurs de tourner la page suivante pour en apprendre plus.
Une lecture plaisante.
Critique de Sundernono (Nice, Inscrit le 21 février 2011, 41 ans) - 1 juin 2021
A cet aspect s’ajoute une approche psychologique des personnages réussie. L’évolution des rapports entre M. Stevens et Miss Kenton, fil rouge du roman, font le sel d’une lecture au rythme calme et assez apaisant. Très certainement ces deux personnages laisseront des traces. Non pas qu’ils soient exceptionnels mais l’auteur les ancre tellement bien dans notre imaginaire que je vois mal comment les oublier.
Une lecture plaisante.
Un homme effacé
Critique de Elko (Niort, Inscrit le 23 mars 2010, 48 ans) - 14 octobre 2018
Kazuo Ishiguro nous plonge dans l’atmosphère feutrée et bienséante de la noblesse anglaise. A travers la narration du majordome, il offre un langage subtil et délicat qui donne une tonalité particulière et un véritable plaisir de lecture.
Et au fur et à mesure des pages, cet homme perfectionniste dévoile ses failles. Derrière sa ligne de conduite d’airain se cache une difficulté à évoluer. Derrière son dévouement infaillible se cache une loyauté aveugle. Derrière sa réflexion sur sa condition de serviteur d’exception, se découvre un homme qui s’efface, qui s’oublie. Et j’ai éprouvé une grande compassion pour ce personnage équanime mais attachant, victime consentante d’un sacerdoce qu’il est seul à mesurer.
Les doutes et certitudes d'un majordome archi-fidèle
Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 47 ans) - 10 décembre 2017
Il évoque ses scrupules au renvoi de deux domestiques juives et aux tentatives de rapprochement diplomatique du Royaume uni avec l'Allemagne nazie qui demandent beaucoup d'énergie à son patron. Des états d'âme lui viennent à l'esprit, des remords, mais le sentiment de fidélité et l'appel du devoir finissent par avoir raison de ces considérations, subséquentes, semble-t-il, à des errements passagers.
Subalterne d'un grand de ce monde, il ne doit pas se poser trop de questions, encore moins remettre en cause les ordres de son maître. Cette analyse élégante et fine d'un monde qui l'est tout autant dans ses formes et manières en fait indéniablement un bon livre, avec tous les éléments dérangeants des travers de ce système domestique, prêt à se compromettre pour mieux paraître docile. L'ambivalence morale prévaut ici et est dépeinte avec finesse. Le film qui en est tiré reste très fidèle - lui aussi - à l'oeuvre éponyme.
Vestiges d’une civilisation, aussi ?
Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 23 novembre 2017
Mais d’abord, ce qui me frappe à l’issue de la lecture des « Vestiges du jour », c’est la diversité, l’universalité, des sujets de roman de Kazuo Ishiguro. Aux antipodes d’un autre récent Prix Nobel, Patrick Modiano qui, lui, nous réécrit inlassablement les mêmes obsessions.
Quoi de commun entre le sujet des « Vestiges du jour », de « Auprès de moi toujours » plutôt « science-fictionnesque », ou « Quand nous étions orphelins » ou encore « Un artiste du monde flottant » tourné curieusement vers ses origines japonaises ? Quoi de commun … ? A vrai dire, si, l’élégance du propos, la finesse psychologique et la fluidité de l’écriture. Quand même ! Mais la diversité des sujets d’intérêt est flagrante.
C’est Stevens le véritable « héros » des « Vestiges du jour ». Stevens n’a été – et s’en targue – que majordome sa vie durant, majordome c’est-à-dire dévoué corps et âme à un maître, à une famille. C’est qu’on parle là de majordomes à l’ancienne, de majordomes loyaux jusqu’au bout à leurs maîtres, de majordomes qui ne tirent leur gloire que proportionnellement à celle de leur maître. Et c’est là une bonne partie du problème de Stevens.
Stevens fut le majordome d’un Lord, Lord Darlington, aristocrate à l’ancienne, de ces Lords qui siègent à la Chambre des Lords sur le seul mérite de leur appartenance à une famille historique d’aristocrates (et c’est encore le cas de nos jours en Angleterre !). Stevens est maintenant au soir de sa vie. Lord Darlington a disparu. La demeure historique a été vendue à un businessman américain, il est resté à son service et l’évolution des conditions de travail font qu’il va être tenté , alors qu’il dispose d’inattendues journées de congé, de retrouver une intendante avec qui il a travaillé par le passé, noué quelque relation et qui lui a écrit récemment pour l’informer de ce qu’elle se séparait de son mari et ne semblait pas trop savoir quoi faire des années qui lui restaient à vivre. C’est ce dernier point qui l’a accroché parce que justement, la demeure pour laquelle il travaille toujours aurait bien besoin d’un apport de compétence telle que cette Miss Kenton (oui, il continue à l’appeler Miss en bon majordome resté bloqué dans le passé). Et lui s’est figuré que ce qu’il lisait dans la lettre était ce qu’il aurait été « convenable » d’y lire ou du moins ce qu’il aurait désiré y lire.
Disons-le de suite, un majordome à l’ancienne tel Stevens ne raisonne ni ne réfléchit par lui-même. Il raisonne et réfléchit selon ce qu’il perçoit comme étant les intérêts de son maître. Cela nous allons le découvrir dans la relation par Stevens des quatre jours passés à traverser le Sud-Ouest de l’Angleterre pour aller rencontrer Miss Kenton. Au fil du récit et des réminiscences de Stevens des années passées au service de Lord Darlington, le lecteur comprendra avant Stevens (chapeau K. Ishiguro) qu’il a consacré ses meilleures années et son énergie à un sire peut-être pas si recommandable et glorieux que cela …
Kazuo Ishiguro a une manière inimitable de suggérer et d’esquisser à traits pastels ce genre de choses. Point de « Grosse Bertha » chez lui, c’est plutôt fleuret (très) moucheté.
Une très belle lecture.
SO BRITISH!
Critique de Septularisen (, Inscrit le 7 août 2004, - ans) - 23 août 2016
Je ne reviendrai donc pas sur l’histoire elle-même, mais avoue avoir été frappé par l’aspect « So British» de ce livre, je me suis souvent répété en le lisant en moi-même que finalement une histoire et un livre comme celui-ci ne pouvaient que avoir lieu au Royaume-Uni et que dans les années 50… Ce qui est d’ailleurs un paradoxe quand, bien sûr, on le sait écrit par le plus Britannique des Japonais, à moins qu’il faille dire le plus Japonais des Britanniques ?...
Si le thème de ce livre, - les non-dits de la vie -, n’est certes pas nouveau, la façon de le conter de M. ISHIGURO est, elle, absolument inédite, et je dois vraiment le dire, prenante du début à la fin du livre. Une histoire décrite avec une sensibilité rare, des descriptions de paysages magiques, des personnages hauts en couleurs et à la psychologie et au caractère fort et très bien décrits, une histoire qui se tient, et tient vraiment debout… Que demander de plus à un livre ?...
Reste à dire un mot de la magnifique écriture de l’écrivain, toute en finesse, toute en fluidité, toute en nuance, toute empreinte de mélancolie… Absolument magnifique ! Je ne peux donc que conseiller de lire ce livre, et de vous laisser entrainer dans l’Angleterre des années 50, vous ne pouvez qu’aimer et être séduits…
Rappelons que "Les vestiges du jour" a reçu le prestigieux prix littéraire "Man Booker Prize" en 1989 et que le nom de Kazuo ISHIGURO a été proposé à de nombreuses reprises pour le Prix Nobel de Littérature.
Il était une fois un comte anglais et son majordome
Critique de Ori (Kraainem, Inscrit le 27 décembre 2004, 89 ans) - 19 février 2016
Ishiguro nous restitue l'ambiance très 'british' du château et de son majordome qui, des années durant, aura à se colleter à la gestion aussi efficace que silencieuse d'un personnel nombreux et stylé.
Ce qui est particulier à ce roman, porté à l'écran en 1993 par James Ivory et magistralement interprété par Anthony Hopkins, est le fait que le héros-narrateur ne se départit jamais de son flegme et du recul qu'il prend avec le quotidien, usant du même langage déférent, que ce soit pour s'adresser à son patron qu'à son lecteur!
Un excellent roman d'atmosphère ...
Splendeur et misère d'un majordome
Critique de ARL (Montréal, Inscrit le 6 septembre 2014, 39 ans) - 14 mai 2015
Je dois avouer qu'au départ le style me paraissait plutôt pénible. Un narrateur qui parle de lui-même au "on" dans un phrasé ampoulé me rebutait quelque peu. Mais à force de lire, je me suis laissé emporter par la plume de l'auteur qui est finalement très adroite et raffinée, à l'image de son personnage. Il n'y a pas d'intrigue à proprement parler, les souvenirs de Stevens constituant la trame principale du roman et étant présentés de manière aléatoire, au fil de ses réflexions.
D'abord franchement antipathique, le narrateur démontre lentement son humanité et le lecteur parvient à saisir la tristesse et les regrets qu'il éprouve à avoir finalement gâché sa vie au service d'une épave et suivant des principes hypocrites de dignité et de loyauté. "Les vestiges du jour" est une oeuvre où tout est voilé, atténué, subtil, poli, mélancolique. Le genre de livre que l'on termine vite mais qui nous fait longtemps réfléchir.
L'important, c'est le badinage
Critique de Anna Karénine (, Inscrit le 1 novembre 2014, 61 ans) - 1 novembre 2014
Son obsession de la dignité étouffe le "badinage" qui aurait pu le sauver. Ce badinage s'incarne au début du roman dans son nouveau patron américain. Le majordome s'efforce d'y répondre de façon tout intellectuelle. Il s'exerce à avoir de l'esprit pour être à la hauteur. Mais c'est au terme du roman et du voyage intérieur qu'il entreprend qu'il se rend compte que le badinage n'est pas qu'un jeu d'esprit. Il est en fait "la clef de la chaleur humaine". Découverte tardive d'un coeur froid.
Chacun peut sans doute se reconnaitre partiellement dans ce personnage. C'est pourquoi Ishiguro frappe juste. J'ai beaucoup aimé ce roman, qui n'a rien de "japonais".
Vivre pour le service exclusif d’autrui
Critique de Isad (, Inscrite le 3 avril 2011, - ans) - 28 mars 2014
Aujourd’hui où il n’y a plus théoriquement de place assignée, le héros de ce livre paraît pathétique. Il se refuse à avoir des idées personnelles sur la politique, laissant cela à une élite plus compétente que lui en la matière, sa façon de refuser de s’impliquer dans autre chose que son service. Ceci fait d’ailleurs dire à un des invités que la démocratie est une illusion !
Ce vieux majordome anglais, fier de sa condition qui tend pourtant à se perdre en 1956, vit en regardant sans arrêt vers le passé, la maison appartenait à un lord germanophile qui recevait les grands de ce monde. Il ne veut pas s’avouer que la jeune intendante qui était amoureuse de lui, lui a manqué quand, 20 ans après son départ pour se marier, elle lui écrit pour lui dire qu’elle a quitté son mari. Il se remémore alors tous leurs petits accrochages auxquels il prenait plaisir et croit lire entre les lignes qu’elle reviendrait bien, ce qui l’arrange car justement il aurait besoin d’une personne supplémentaire pour faire tourner la maison. Le nouveau maître, homme d’affaires américain dont il ne comprend pas l’humour badin qui le rend perplexe, qui lui a offert de prendre sa voiture et d’en profiter pendant son absence pour se promener. Il va donc lui rendre visite, espérant l’embaucher à nouveau.
IF-0314-4196
Un grand livre existentiel
Critique de Fredericpaul (Chereng, Inscrit le 19 mai 2013, 63 ans) - 15 mars 2014
Aussi puissant que "le désert des Tartares" de Buzzati. Les vestiges du jour est un grand livre existentiel : l'homme face à sa mission; jusqu'où s'oublier pour servir une "digne" cause ?
Le choix d'entendre les mémoires d'un majordome est particulièrement pertinent pour traiter ce thème. L'écriture - qui suit parfaitement la "qualité" particulière du personnage - est d'une grande jubilation à suivre.
j'ai grande hâte voir le film qui en a été tiré.
Lisez ce grand livre pour vous interroger mais aussi pour le plaisir de goûter à de la grande littérature.
Gâchis et aveuglement
Critique de Myrco (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 75 ans) - 11 mai 2013
-Le roman n'offre pas à proprement parler d'intrigue: au crépuscule de sa vie professionnelle (je devrais dire sa vie tout court) , à la faveur d'une pause dans une existence intégralement dévouée au service de ses employeurs, un voyage de quelques jours en Cornouailles, un homme replonge dans son passé de majordome d'une "grande maison"; souvenirs, anecdotes concernant entre autres ses rapports avec sa collègue, l'intendante Miss Kenton, réflexions sur sa fonction, justifications voire doutes suscités par le recul constituent l'essentiel de la trame de ce récit.
-Le narrateur en question, Stevens, personnage central, incarnation désuète et servile d'un passé révolu, congelé dans ses notions personnelles de dignité, ne présente pas, du moins pas au départ, des traits de nature à susciter l'empathie du lecteur; la suite infléchira cette appréciation découvrant un personnage victime de ses valeurs et dont le destin s'avèrera finalement plutôt pathétique.
Pourtant, au fur et à mesure que l'on pénètre dans le roman, nombre d'aspects méritent de capter l'intérêt.
-Il est tout à fait remarquable et surprenant que Kasuo Ishiguro arrivé en Grande Bretagne à l'âge de 5 ans pour les besoins professionnels de son père et destiné à repartir dans son pays se soit à ce point approprié la culture britannique tant dans l'esprit que dans la forme. Quoi de plus british que ce personnage de majordome dans la personnalité duquel il parvient à se faufiler avec une telle aisance? Quoi de plus british encore que cette langue qu'il lui prête, d'une tenue exemplaire, emprunte de l'affectation qui sied à son rôle sans jamais tomber dans la caricature?
-Au travers de l'introspection menée par Stevens, l'auteur témoigne d'une réelle finesse dans l'analyse, en particulier des motivations qui sous-tendent certains comportements apparemment anodins de la vie quotidienne. C'est peut-être dans son sens de la retenue, sa culture du non-dit parfois que transparaît une caractéristique d'une certaine littérature japonaise. Ainsi, dans certaines circonstances (la mort du père et l'annonce de mariage faite par Miss Kenton) , le narrateur nous raconte s'être retranché dans une attitude strictement professionnelle, apparemment froide et dénuée de sentiment, or ce qu'il évoque de la réaction des témoins dans ces moments critiques indique que la réalité était toute autre.
Ailleurs, la relation des comportements versatiles, colériques ou autres de Miss Kenton à son égard-dont il ne semble pas comprendre ou vouloir comprendre la signification-est un chef-d'oeuvre de justesse d'observation de la part de l'auteur.
-Le roman constitue également un témoignage sur une période révolue, celle de l'entre-deux guerres, celle des grandes demeures appartenant à des familles influentes de la noblesse britannique héritière d'une tradition de plusieurs siècles. Le fait que Kasuo Ishiguro situe le temps du récit en 56, à un moment où tout bascule ou a déjà basculé rend le contraste d'autant plus saisissant avec la période précédente: Darlington Hall a été vendu à un homme d'affaires américain, la domesticité pléthorique a été réduite a minima, les grandes réceptions du passé ne sont plus, les rapports maître/serviteur n'obéissent plus aux mêmes codes et, des nouveaux, notre personnage ne possède pas la maîtrise. Les valeurs elles-mêmes ont totalement changé. Stevens défend des valeurs morales tout à fait en rupture avec celles de notre époque, la vision idéaliste qu'il expose quant à la finalité de sa fonction, aux critères de choix de son employeur (p165 de l'édition folio) impose le respect.
Enfin "Les vestiges du jour" présente un réel intérêt historique quant à cette période de l'entre deux-guerres. Lord Darlington incarne certains de ces lords qui ont officié dans la sphère diplomatique dès la fin de la première guerre pour un rapprochement avec les allemands jugeant que les conditions drastiques et humiliantes imposées aux vaincus par le Traité de Versailles étaient indignes à la fois au nom d'une certaine notion de l'honneur (là encore une valeur révolue) et de manière plus pragmatique préjudiciables au final à l'équilibre de l'Europe. Evidemment, la suite des évènements, leur aveuglement ou leurs sympathies pour le troisième Reich devaient fatalement se retourner contre eux. L'auteur fait ainsi croiser à notre majordome quelques figures marquantes de l'Histoire: Churchill, Lord Halifax alors ministre des Affaires étrangères, Ribbentrop alors ambassadeur d'Allemagne...
Un livre élégant & magique
Critique de Gl (, Inscrit le 16 septembre 2010, 56 ans) - 16 septembre 2010
Est-ce du sacrifice, de l'égoïsme, de la passivité ou de la peur ? je ne sais pas...
C'est à lire.
L'adaptation cinématographique est réussie. Les images du film s'incrustent dans nos propres images de lecteur...vraiment magique.
L’insoutenable dignité du majordome
Critique de Alma (, Inscrite le 22 novembre 2006, - ans) - 13 mai 2010
La plus fréquemment évoquée est son inaptitude au badinage . Dans sa volonté de calquer son comportement sur celui de Mr Faraday, Stevens ne néglige aucune ressource . Il écoute des émissions de radio où l’on fait des commentaires amusants sur le courrier des auditeurs et s’exerce régulièrement à formuler trois boutades permettant de répondre à une situation choisie . A la fin de l’ouvrage, il constate lucidement qu’il lui reste beaucoup à faire , et qu’il lui faut poursuivre ses efforts .
Pour parler de façon noble et cérémonieuse et progresser dans la maîtrise parfaite du langage de ses maîtres, il lit en cachette à ses moments de liberté des romans « écrits en bon anglais et comportant nombre de dialogues élégants qui présentent une grande valeur pratique » , ce qui nous vaut une scène étrange et amusante où il cache par tous les moyens à une Miss Kenton qui joue à le mettre dans l’embarras, le titre de l’ouvrage dans lequel il est plongé .
Le voyage dans la campagne anglaise ne manque pas d’anecdotes qui font sourire face à la difficulté qu’il a de bien se comporter en dehors de l’univers feutré de Darlington Hall, de se mettre au diapason des gens modestes qu’il rencontre . La scène où il se sent le plus déphasé est certainement celle où il est hébergé dans un village où les habitants viennent l’observer et l’interroger sur les influences politiques qu’il aurait exercées.
Mentionnons aussi la façon dont il s’acquitte de la tâche délicate que lui confie Lord Darlington : celle d’initier son filleul Mr Cardinal aux « réalités de la vie »
Cet humour face à ses maladresses présentées avec une forme de détachement allège le récit, sans en diminuer la qualité et confère à Stevens une humanité qui n’enlève rien à sa majesté .
Un must !
Critique de Monito (, Inscrit le 22 juin 2004, 52 ans) - 10 mai 2009
Une certaine lenteur, un ordre ancien qui se craquèle et qu’on voit s’effondrer, un Stevens qui refuse même de voir et a fortiori d’y croire, une Kenton qui pressent ces changements et un homme et une femme qui se croisent mais finalement se perdent.
Evidemment que la vie de ces grandes maisons britanniques d’un temps perdu procure aussi de grands moments servis par une langue élégante et un procédé littéraire maniant habilement le souvenir à la narration présente et donnent à l’ensemble une saveur qui donne envie de revoir le film juste pour chercher, trouver les nuances, les ressemblances et les dissemblances.
Le filigrane sur les événements de Lord Darlington n’est qu’accessoire et ne porte sens que dans la réflexion autour du dévouement et de l’aveuglement que le service et non servitude porte parfois en lui.
Carpe diem
Critique de Asgard (Liège, Inscrit le 14 juillet 2005, 46 ans) - 22 février 2007
L'écriture de Ishiguro est si fine, si belle, si... on reste envouté tout au long des pages. L'histoire aussi est magnifique et le sujet tellement original!
On découvre ce que fût la vie de majordome de Stevens, persuadé de servir la cause de l'humanité en se mettant au service des grands de ce monde. Il en oubliera sa propre vie, et surtout sa relation avec miss Kenton qui éprouve une affection particulière à son encontre. Stevens ne s'en rendra pas compte, toujours occupé à fournir un service irréprochable.
Voilà, j'ai bien du mal à résumer les émotions contenues dans ce livre. L'histoire d'un majordome ne vous tente peut-être pas, mais vous risquez alors de passer à côté d'un monument littéraire. Bien des thèmes y sont abordés : la servitude, la dignité, le fait de vivre sa vie,... tout cela écrit avec tact et pudeur, comme l'aurait tout bon majordome anglais, même si l'auteur est lui...d'origine japonaise ;-)
Merveille de raffinement
Critique de Saint-Germain-des-Prés (Liernu, Inscrite le 1 avril 2001, 56 ans) - 4 février 2007
Une écriture subtile sert parfaitement ce thème. Ishiguro s’exprime avec tact, pudeur et ce qui, sous une plume non avisée, aurait pu se transformer en mélodrame bon marché, ne laisse ici parler que la dignité.
Il reste que, le livre terminé, on peste ! Enfin, Stevens, comment avez-vous pu renier à ce point votre aspiration au bonheur ?
Pudeur et retenue
Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans) - 12 octobre 2006
Ce roman est absolument étonnant!
D'abord pour la beauté de l'histoire et des sentiments qu'il contient. Enormément de noblesse d'esprit, de grandeur d'âme, d'humilité aussi, un don pour la remise en question, les regrets... Autant d'émotions qui pourraent facilement virer au pathos sous la plume d'un auteur trop guimauve, mais ce n'est pas du tout le cas ici. Ishiguro propose une petite merveille de sensibilité et de subtilité.
Et c'est là que se situe un autre aspect admirable de cette oeuvre. L'auteur, contrairement à ce qu'on pourrait penser en lisant le roman, n'est pas britannique mais japonais. Il manie pourtant à la perfection cette langue empruntée chère à la littérature anglo-saxonne du 19e siècle, ce petit côté Agatha Christie, ces pas feutrés qui sont ceux des domestiques du film Gosford Park (j'ai eu exactement la même association d'idées que Féline!). Et en même temps, il reste très japonais; enfin je trouve et je m'explique. Il y a au fil des pages une pudeur et une retenues que je considère comme typiquement asiatiques. Pas d'effets mélodramatiques gratuits, pas de besoin de trop expliquer en détails. Juste les silences, les non-dits et pourtant, tout est là, bien là. Une véritable réussite!
J'ai éprouvé un vrai attachement pour les personnages et leur destin, pour leurs remords et leur crise identitaire. Ainsi que pour le recul que l'auteur arrive à observer. On se sent proches et spectateurs à la fois, une aptitude pas simple à manier que Kazuo Ishiguro semble avoir bien apprivoisé. Une vraie lecture-plaisir!
Les confidences d'un authentique butler anglais
Critique de Dirlandaise (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 69 ans) - 20 juillet 2006
Le livre est constitué des confidences, souvenirs et impressions de voyage que Mr Stevens adresse aux lecteurs. Il fait le point sur sa vie et le sens de son travail au service d'un employeur qu'il juge intègre et des plus honorable malgré quelques bévues, dont le renvoi de deux jeunes femmes de chambre juives, qui lui ont values une baisse de son irréprochable réputation. Le majordome s'interroge sur le sens du mot "dignité" et raconte plusieurs anecdotes en rapport avec la définition qu'il juge la plus appropriée pour ce mot. Il expose avec justesse les difficultés rencontrées dans ses fonctions et la grande maîtrise dont il a du faire preuve à de nombreuses occasions. Le récit a pour toile de fond la seconde guerre et les points de vue différents de la situation internationale des nombreux invités prestigieux de Darlington Hall.
Un livre passionnant sur l'Angleterre de l'époque et sur la diplomatie internationale, le tout vu à travers les yeux d'un domestique hors du commun et remarquable de discrétion et de conscience professionnelle qui a la lourde charge d'organiser le service d'une résidence fréquentée par les plus hauts dignitaires de cette partie de l'histoire du monde.
Il est presque incroyable que ce récit ait été écrit par un japonais tellement c'est britannique.
Pauvre Mr Stevens
Critique de Folfaerie (, Inscrite le 4 novembre 2002, 56 ans) - 9 mai 2004
Trois anecdotes situent d'emblée le personnage : d'abord lorsque son père est mourant et qu'il ne peut recueillir ses derniers mots puisqu'une importante réception se déroule dans les salons du bas, et que Stevens se fait un devoir de rester à son poste, ensuite lorsque l'anecdote préférée du butler dévoile clairement ses aspirations (l'histoire du majordome anglais qui a suivi son employeur aux Indes et qui trouve un tigre dans la salle à manger tandis que la fête se déroule au salon...), et enfin, les affres et angoisses du pauvre Stevens qui se demande sérieusement s'il doit s'entrainer au badinage pour plaire à son nouvel employeur américain...
Alors certes il y a de la tristesse dans ce portrait d'homme (totalement dépourvu d'humour) mais c'est aussi une belle analyse du caractère anglais, finement observé. Je ne peux que recommander à ceux qui ne l'auraient pas vu, l'excellent film qui en a été tiré interprété par les non moins excellents Antony Hopkins et Emma Thomson.
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