Le baiser au lépreux de François Mauriac

Le baiser au lépreux de François Mauriac

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Kinbote, le 1 juillet 2003 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 6 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (1 659ème position).
Visites : 10 937  (depuis Novembre 2007)

Volonté de puissance et sainteté

Jean Péloueyre possède un physique disgracieux et un père malade chronique. Un jour, il lit Nietzsche qui stigmatise la religion. Cette phrase entre autres : « La pitié qu'éprouve l'action pour les déclassés et les faibles : le christianisme » le fait réfléchir sur son ancrage religieux et la forme à donner à son existence future; plus tard, il formera le projet d’écrire un ouvrage intitulé « Volonté de puissance et sainteté ».
Son père, en accord avec le curé du village, arrange un mariage avec une jeune fille de la région, qui se fera. La jeune femme a des difficultés à surmonter son dégoût de vivre avec cet homme qui finit par s'effacer, s’éloigner, pour donner un répit à sa femme, la soulager de sa présence. Pendant l'éloignement du mari, la jeune femme connaît les tentations du coeur et de la chair qui s’incarnent en la personne d'un jeune médecin. Elle réclame le retour de Jean Péloueyre qui tombe malade : son état de santé va requérir les services de ce docteur. Mais l'épouse ne succombera pas, même quand elle sera veuve. Elle reste fidèle jusqu’au bout à cet homme et fait une figure de sainte parfaite, au « statut » duquel ne pourra pas, par exemple, accéder Thérèse Desqueyroux.
Un roman linéaire (une des premiers de son auteur à connaître le succès) comme une longue nouvelle, empreint de poésie et d'une forte tension érotique, et qui constitue une excellente entrée en matière dans l’univers et l'écriture mauriaciens, que j'ai découverts sur la recommandation avisée de Lucien. Un exemple, pour finir, de cet exercice de l'érotisme quand il est bridé et oblige son auteur à user de métaphores : « Noémi d'Artiailh, en sa longue chemise, récitait sa prière devant les étoiles. Ses pieds nus aimaient le froid carrelage ; elle offrait sa douce gorge à l'apitoiement de la nuit. Elle n’essuyait pas cette larme qui roulait à portée de sa langue mais la buvait. Le frémissement du tilleul et son odeur rejoignaient la voie lactée. Sur cette route du ciel, ses rêves un peu fous ne vagabondaient plus. Les grillons qui crépitaient au bord de leur trou, lui rappelaient son maître. Un soir, étendue sur ses draps et tout entière livrée à la nuit chaude, elle sanglota d’abord à petit bruit, puis gémit longuement et regarda avec pitié son chaste corps intact, brûlant de vie mais d'une végétale fraîcheur. Que ne ferait le grillon ? Elle savait qu’il aurait droit à toute caresse, et à celle-là mystérieuse et terrible, après quoi un enfant naîtrait, un petit Péloueyre tout noir et chétif. »

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Le beau cœur de l’affreux

8 étoiles

Critique de Pierrot (Villeurbanne, Inscrit le 14 décembre 2011, 73 ans) - 18 août 2019

La chasse à la palombe servit à Péloueyre de prétexte pour passer les journées loin de celle que, par sa seule présence, il assassinait. Il se levait avec tant de silence que Noémi ne s’éveillait pas. Quand elle ouvrait les yeux, il était loin déjà : une carriole l’emportait sur les routes boueuses. Il dételait dans une métairie et aux bords de la cabane se cachait et sifflait de peur qu’un vol de palombes ne fût en vue. Le petit-fils de Cadette criait qu’il pouvait approcher, et l’affût commençait : longues heures de brumes et de songes bercées de cloches de troupeaux, d’appels de bergers, de croassements. Dès quatre heures, il devait quitter la chasse ; mais pour ne rentrer que le plus tard possible, Jean se glissait dans l’église ; il n’y récitait aucune prière ; il saignait devant quelqu’un. Souvent les larmes venaient ;

C’est toujours avec même plaisir que j’ai lu ce quatrième roman de cet écrivain si talentueux

Un des premiers grands romans de Mauriac

10 étoiles

Critique de JEANLEBLEU (Orange, Inscrit le 6 mars 2005, 56 ans) - 21 mai 2013

Que dire de plus que les (excellentes) critiques précédentes ? J'aime tout dans Mauriac : son style concis mais chargé de poésie, ses personnages torturés et passionnés, sa description de l'enfer de certaines familles bourgeoises de cette fin du XIXème et du début du XXème siècle, son amour/haine pour Bordeaux et sa région (qui me touche particulièrement, étant né et ayant vécu mes 25 premières années par là), sa sensualité, ...
Ce court roman comporte tous ces éléments. Et j'ai particulièrement aimé le dernier chapitre que Mauriac a ajouté bien des années plus tard et qui rend le personnage de Noémi particulièrement humain et donc encore plus émouvant.
Le personnage du Curé est aussi très réussi. Notamment lors de la mort de Jean, quand il ne parvient pas à s'auto-disculper aussi aisément que les autres fois où le doute l'effleure quant à l'absence d'arrières pensées et quant aux motivations réelles de ses décisions et actions passées.

Un style certain

9 étoiles

Critique de Lectgreg (toulouse, Inscrit le 27 mai 2009, 38 ans) - 4 octobre 2012

Bonjour,

voici le deuxième livre que je lis de Mauriac après Thérèse Desqueyroux.
Il y a véritablement un style, immédiatement reconnaissable. Mauriac a le génie pour traduire le réel, la contrainte dans laquelle se situent ses personnages et finalement décrire la réalité d'un certain milieu.

Cependant, j'éprouve en lisant Mauriac une sensation " de brouillon". Je m'explique. Il me semble que l'auteur nous conduit d'une scène à l'autre, d'un moment à l'autre d'un coup, sans aucune transition et j'ai cette impression de lire une simple ébauche de roman qui reste à compléter. Il me semble à chaque fois qu'il manque des descriptions, des "scènes de vie". attention, ce n'est pas une critique du tout, mais du coup on alterne entre une brutalité d'une scène à l'autre qui manque de transition.

Cela dit, ces deux romans me confortent dans mon envie de lire cet auteur que je découvre depuis trois semaines.

Mauriac et son talent...

9 étoiles

Critique de Baader bonnot (Montpellier, Inscrit le 11 janvier 2008, 41 ans) - 28 janvier 2009

Mauriac est l'écrivain français qui écrit le mieux. Par des mots simples il joue avec les émotions du lecteur et instaure une atmosphère souvent pesante.

Dans "Le Baiser au Lépreux", il parvient à transcender le physique pour finalement montrer que la laideur n'est qu'une réticence de premier abord. Le mariage arrangé n'est destiné qu'à un échec ou du moins à un cocufiage. Or, la distance imposée par Jean, la culpabilité de Noémi face à la maladie de son mari ainsi qu'une certaine morale chrétienne vont au contraire renforcer le couple au fil du temps. Le couple inimaginable devient peu à peu un couple parfait et saint.
Tout le roman est un jeu d'affinités entre deux personnes que rien ne pouvait rassembler. La scène la plus marquante du livre serait les retrouvailles entre Noémi et jean quand celui-ci rentre de Paris. C'est le point crucial du roman. Noémi découvre un homme affaibli et frêle. Elle se sent coupable et cruelle tout en découvrant un intérieur sensible à cet être repoussant et laid. En revanche, Jean découvre une femme encore plus en forme qu'avant, belle et propre sur elle. Son absence est synonyme de gaieté pour la jeune femme et cela l'affecte terriblement bien qu'il en soit conscient. Les sentiments ne se déguisent pas et l'éloignement momentané les met souvent au premier plan.
Comme quoi, une centaine de pages remplies de mots justes et appropriés suffisent à faire naître en nous une émotion, et c'est le talent de Mauriac.

Dieu pas mort?

9 étoiles

Critique de Lucien (, Inscrit le 13 mars 2001, 69 ans) - 1 juillet 2003

Kinbote met très justement l'accent sur l'opposition entre puissance et sainteté. Nietzsche contre Jésus, en quelque sorte. La sainteté l'emporte, bien sûr. La démonstration est-elle convaincante? Pas si sûr. Mais le livre vaut surtout pour le beau portrait d'un homme laid, et qui en souffre au point de se sacrifier; pour le réalisme terrible dans la description des contraintes sociales; enfin, pour cet érotisme de l'abstinence que décrit remarquablement Kinbote.

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