Les Particularités corporelles

Les oeuvres de fiction impliquant des enfants sont fort nombreuses au Québec. Tous les écrivains y vont d'un roman plus ou moins agaçant parce que les jeunes héros ont souvent des raisonnements aussi articulés que ceux des philosophes. Jean Piaget a bien analysé le jugement et le raisonnement chez l'enfant, et ce dernier se sert de mécanismes afférents à son groupe d'âge.
Jean-François Beauchemin est un auteur montréalais qui s'est attaché particulièrement au monde de l'enfance. Dans ses oeuvres précédentes composant une trilogie, il a évoqué le destin d'orphelins en quête de famille. Dans son dernier roman, il évoque les angoisses d'une fillette, provoquées par ses grandes oreilles décollées. Cette enfant de six ans refuse sa différence. Les poils de carotte, les lunettes épaisses comme des fonds de bouteille, les dents de castor, les éphélides, les angiomes sont autant d'éléments qui empoisonnent l'existence des enfants. Et à cet âge, correspondre à la norme est primordial pour l'estime de soi. C'est une expression galvaudée, qui signale tout de même une nécessité pour éviter des attitudes destructrices.

Mathilde, la petite héroïne, n'est pas en reste de ses pairs affligés d'un handicap de ce genre. Que peuvent faire des parents pour consoler leur enfant de cette anomalie? Il ne faut pas répondre comme ce chroniqueur montréalais qui n'a rien compris au message de l'auteur : «Les parents n'avaient pourtant qu'à lui faire subir une chirurgie esthétique.» La distinction auriculaire n'est qu'un prétexte pour aborder la dynamique différentielle chez les enfants. Elle joue à plein chez Mathilde. Ses tentatives de suicide sont nombreuses, sa haine pour les gens différents qui lui rappellent sa particularité, notamment les vieux, sont autant de réactions qui découlent de la perception négative qu'elle a d'elle-même.
Pour soulager cette souffrance morale, ses parents lui offrent de lui procurer un animal de compagnie. On pourrait s'attendre à l'achat d'un petit chat, voire un petit chiot. Mais non, Mathilde choisit une vipère. C'est au comble du désespoir parental que la bête vient trôner dans un vivarium au coeur du salon. À cause de cet animal rampant, la fillette comprendra quelque chose aux mystères de la vie. Un petit copain peu avantagé par la nature - qui se ressemble s'assemble- lui fera comprendre que son serpent est atteint de la même maladie que sa propriétaire du fait qu'il est emprisonné dans une cage de verre. La mort est préférable à une vie sans liberté. A partir de ce moment-là, la leçon miraculeuse portera ses fruits. Dommage que l'auteur ait ajouté deux pages à son dénouement.
Ce roman structuré de facon peu orthodoxe est un patchwork de courts textes qui sont en continuité toutefois, mais qui donne l'impression d'une oeuvre inachevée. Par contre, l'auteur a bien agencé son élément déclencheur, les réactions qu'ils engendrent et le dénouement inattendu, qui découle de soi malgré tout. Ce qui m'a le plus agacé, c'est le tartinage de l'auteur. Il en met épais. La haine de son héroïne à l'égard des vieux et son comportement frisent la folie. On se croirait par moment en train de lire un mauvais conte. Mais non, l'auteur veut souligner que la différence n'est qu'un leurre. Derrière les apparences se cachent toujours un semblable, même si c'est un vieillard ratatiné ou un enfant qui n'est pas identifié à l'image de la copie conforme.
Cette histoire, bien écrite et drôle par moments, rappelle un peu la part excessive des romans d'Amélie Nothomb, mais pour le fond, on entre dans le monde de Le Clézio quand il fouille à l'intérieur de la bulle enfantine.

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  Le petit pont de la louve [Texte imprimé], roman Jean-François Beauchemin

  de Beauchemin, Jean-François
  Québec Amérique / Collection Littérature d'Amérique
  ISBN : 9782764401859 ; EUR 22,35 ; 01/09/2005 ; 113 p. ; Broché

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