Proust à Sainte-Foy de Hélène de Billy

Proust à Sainte-Foy de Hélène de Billy

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 5 décembre 2013 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (40 452ème position).
Visites : 3 450 

Un toast en honneur de Proust

Hélène de Billy s’est donné la mission de dénoncer les pratiques en vigueur dans les hospices à la lumière de la Recherche du temps perdu de Marcel Proust. L’auteure a mis la barre haute pour ce défi. Et pourtant, elle l’a relevé. Son roman est une réussite.

Sa protagoniste principale, Marquise Fortier, est une vieille dame indigne du quartier Sainte-Foy de la ville de Québec. Elle habite au Manoir Roxbury, une résidence destinée à une population abandonnée de ses enfants. C’est un orphelinat pour adultes, dont on attend le dernier souffle avec impatience. Et quand le moribond passe de vie à trépas, on s’exclame comme le père de Swann à la mort de sa femme : « La vie a du bon tout de même. »

Marquise Fortier n’appartient pas à la race des démissionnaires. Bipolaire alcoolique, elle est surprise dans une succursale de la SAQ (débit d’alcool) à voler de la vodka pour se concocter des bloody marys. Elle s’y connaît dans la préparation de ce cocktail. Ce n’est pas elle qui le servirait dans un verre à martini comme le montre la page couverture. Le pauvre Marcel est pris à tenir la branche de céleri dans sa main devant le Château Frontenac, hôtel luxueux de Québec, où Staline et Churchill qui poussait le fauteuil roulant de Roosevelt se sont réunis en 1943. Comme la mère de Proust, Marquise Fortier a un penchant pour les complexes hôteliers majestueux. Que cette dernière doit se sentir malheureuse maintenant qu’elle est confinée à son soi-disant manoir, un complexe plutôt carcéral, où l’on sert des sandwichs aux tomates le soir de Noël !

Sa fille Irène n’a pas dit son dernier mot. Après le larcin de sa mère, elle l’emmène chez Aurelio Conti, un gourou naturopathe, afin qu’il trouve la potion magique qui la soulagera de ses maux. Marquise est satisfaite de sa consultation parce qu’elle apprécie les imposteurs qui embellissent l’existence. Comme prescription, il lui impose de lire À la recherche du temps perdu. Mais comment cachera-t-elle cette œuvre volumineuse aux yeux de la propriétaire de sa geôle ? De nos jours, rien de plus facile. Le CD. C’est peut-être un sacrilège que d’acheter l’œuvre d’un monument littéraire gravée sur un disque optique. Peu importe. Le talent d’outre-tombe de Proust l’emballe. Elle se laisse bercer par les longues phrases, qui se déroulent à ses pieds comme un tapis persan. Marquise aime le beau. Mais au-delà de ce plaisir de la forme se révèle un homme galant attentif à l’âme de la femme. Et Marquise, une femme savante et sexy comme Odette de Crécy, apprécie ce défendeur de la suprématie féminine sur « l’inéluctable nullité » des hommes qui, selon Baudelaire, traînent leur famille aux abois.

En fait, Marquise s’adonne au même délire que Proust. Elle revisite son passé pour y démêler le vrai du faux à l’instar de ce dernier qui, en trempant sa madeleine dans un thé, part à la recherche du temps perdu. Loin d’être élevée dans l’ouate de l’aristocratie médicale comme son émule, elle aspire tout de même au bien-être sous la férule d’un père qui se livre à un lucratif commerce ostréicole. La cravate bouffante de soie mauve pour l’un et le foulard aux couleurs disco pour l’autre, chacun mesure le chemin parcouru depuis leur naissance. Que ce soit la terrine pour le Français ou les cretons pour la Québécoise, chacun s’est régalé dans l’atmosphère fruitée de leur chaumière.

Marquise se voit dans cette œuvre, qui ne lui rappelle pas seulement des tranches de vie comparables. Elle s’approprie aussi l’univers de Proust pour comprendre les amours qu’elle a vécues, la nécessité de la famille, seule forme d’amour durable, et l’importance des chagrins comme instruments de la connaissance de soi. Bref, Marquise est séduite par une œuvre qui la réconforte au moment où sa vie lui échappe. Elle voudrait être de la race d’Abel, dont Baudelaire précise la singularité :
Dors, bois et mange;
Dieu te sourit complaisamment.

Ce roman est une belle initiation à la lecture de la Recherche du temps perdu. Ça ne ressemble en rien à de la didactique. Comme un chant choral, chacun interprète sa partition afin que la figure de Proust devienne lumineuse pour ceux qui cherchent. Bref, ce roman est un toast en honneur d'un auteur qui fait toujours couler beaucoup d'encre.

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Enthousiasme modéré…

6 étoiles

Critique de FranBlan (Montréal, Québec, Inscrite le 28 août 2004, 82 ans) - 8 avril 2014

Encore plus que le titre, je n’ai pu résister à l’originalité de la pochette de ce court roman.
Un élégant et nonchalant Proust tenant un Bloody Mary servi dans un verre à martini d’une main et une branche de céleri de l’autre avec l’iconique Château Frontenac de Québec en arrière-plan, charmant et irrésistible!

L’auteur de la critique principale dépeint clairement le synopsis de ce livre et témoigne d’un fervent enthousiasme que j’aurais bien aimé partager, hélas, ce ne l’est pas.
Si le contenu m’a toute aussi séduite que la pochette, le style et la forme de l’écriture m’ont rebutée complètement.
Et ce n’est pas faute d’avoir essayé, j’ai repris la lecture de ces 112 pages par trois fois, en vain!

L'auteure voue manifestement un culte aux mots de Proust, auxquels elle laisse une grande place avec de nombreuses citations et paraphrases; cette démarche est ce qui m’a le plus charmée en me donnant plus que jamais l’envie de lire cette oeuvre majeure, mais dans un contexte de roman choral complexe en soi, l’excès de lyrisme, le style alambiqué, boursouflé traitant avec une magnificence outrée des choses simples, ont réduit à néant mon plaisir de lecture, dommage!

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