Robert Poulet, le corps étranger de Jean-Marie Delaunois

Robert Poulet, le corps étranger de Jean-Marie Delaunois

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Macréon, le 14 juin 2003 (la hulpe, Inscrit le 7 mars 2001, 90 ans)
La note : 9 étoiles
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L'homme du " distinguo"

Né en 1893, le Liégeois Robert Poulet obtient le diplôme d'ingénieur des Mines à l'arraché, pour répondre aux souhaits de son père, industriel opulent . La guerre éclate. En 1914, il incorpore le VIe de Ligne de l’armée belge dont le contingent doit gagner l'Yser, près de Dixmude. Il croupit dans un poste avancé, sordide, par tous les temps. Il remonte au front en août 1916 en tant qu'adjudant et ensuite sous-lieutenant auxiliaire. Lors de l'offensive allemande de 1918, il se porte volontaire pour un régiment en première ligne. Comme officier patrouilleur, il organise des opérations d'embuscades risquées. Il fait preuve d’ardeur et de bravoure; il reçoit 6 citations, dont 4 pour actions d'éclat . Ces états de services lui seront reprochés plus tard, après la Libération, lors de son procès. Fait prisonnier en août 1918 au cours d'une patrouille, blessé par l'éclatement d’une grenade, il lit dans les yeux de ses geôliers allemands : "pourquoi faisons -nous la guerre ?". Il s'évade après deux tentatives. Il fustigera plus tard "la sanglante imbécillité de la guerre."
Robert Poulet entre dans le monde du cinéma muet, à Nice, et s’initie pendant 10 ans aux arcanes de cette profession :scénariste, adaptateur de romans et de pièces de théâtre, assistant de mise en scène, régisseur et même ... comédien ( de touts petits rôles).
Robert Poulet retourne chez sa mère, à Liège ,à plus de 35 ans ! Il connaît l'oisiveté et se console par “ d'extravagances sentimentales multiples."
Une nuit de l'hiver 1928, un délire nocturne et les “ mystérieux hôtes de la conscience “ lui dictent un texte inspiré par la Grande Guerre : ce sera Handji, un roman étrange et original, qui attire l'attention de la critique : Edmond Jaloux, André Thérive, Antonin Artaud, Robert Brasillach.
L'ouvrage est publié en 1931.
Suivront “ le Trottoir" et surtout “ les Ténèbres", second "succès d'estime".

Il se fait ensuite embaucher par Fernand Neuray, le Directeur du quotidien la Nation Belge, fondé en 1918, où il rédige des critiques de cinéma et bientôt des billets quotidiens acerbes sous le pseudonyme du “ Huron".

Il s'enhardit peu à peu et commence à rédiger des articles politiques plus consistants et plus polémiques, avec des idées bien arrêtées

Charles d'Ydewalle le décrit avec verve à cette époque: "Personne ne ressembla plus à un poulet que Poulet. Il en avait les ergots, le cou long, les pattes longues, un vrai poulet maigre, un coquelet agité, picorant, grattant, horriblement querelleur.(...) Cérébral pur, il expliquait, il expliquait. Ses rares tentatives de reportage furent un fiasco. Tout de même un gentleman."
La guerre de 1940 éclate. Il entre au "Nouveau Journal", fondé par Paul Colin, directeur de Cassandre, brillant journaliste lui aussi qui finira sous les balles de la Résistance en 1943. Paul Colin rassemble autour de lui une brochette de talents journalistiques dans le domaine des arts et de la politique. La ligne du journal est d’emblée collaborationniste.
Poulet, comme avant-guerre, est royaliste,défenseur des traditions latines et chrétiennes et de l’honneur de l'armée belge, contre la démocratie “ à remodeler “ et son corollaire la ploutocratie, unitariste mais plus tard partisan d'un Etat fédéral largement décentralisé, partisan d'une paix européenne durable et adepte de l’Ordre Nouveau mais rebelle à l'ultra-collaboration. Il craint depuis belle lurette la bolchevisation de l’Occident. Il est pour le fascisme, mais pas celui du port de chemises et des expéditions en bandes organisées ou de la dictature d’un parti.
Il quitte assez soudainement le journal début 1943 lors du retour de Degrelle du front de l'Est, ce dernier durcissant très fortement son allégeance aux Allemands en annonçant par exemple la “ germanité des Wallons." "Poulet était un collaborateur patriote" dira plus tard le résistant William Ugeux.
Pendant toute sa présence au Nouveau Journal, qu’il dirigea, il se dit persuadé de l’approbation tacite de Léopold III via son secrétaire le comte Capelle. Cet appui n'a jamais été prouvé et tranche sur l’attitude d'abstention et d'attentisme bien connues du Roi pendant toute la guerre.
Malgré cette semi- retraite , Poulet est néanmoins arrêté en octobre 1944. En dehors de ses écrits collaborationnistes, l’Auditorat militaire lui reproche surtout d’avoir encouragé le départ de jeunes légionnaires au Front de l'Est. Il s'en défend et demande la preuve de ces assertions. D’après ses dires ultérieurs, il n'aura provoqué en tous cas qu’un engagement sous l’uniforme allemand :celui de Léon Degrelle en personne. Celui-ci reprochait à Poulet de ne pas encourager les départs en Russie dans le Nouveau Journal. Poulet de lui répondre qu'il n’était pas de ceux qui envoient au casse-pipe sans y aller soi-même. “C’est pour moi que vous dites ça ? -Parfaitement c'est pour vous. - Eh bien , j’y vais, a lancé le beau Léon ( page 248)
En juillet 1945, Robert Poulet est condamné à la détention perpétuelle par le Conseil de guerre. Le 3 octobre 1945, il est condamné à mort par la Cour militaire."Une justice de roi caffre". Sa femme Germaine Poulet monte au créneau , introduit une requête en révision du procès et révèle les contacts de son mari pendant la guerre , avec le secrétaire du Roi. En dépit d’une quarantaine sévère ( “Poulet est un misérable traître, qui lutte pour sa carcasse" dixit le Drapeau rouge), elle remue ciel et terre, visitant tout le monde, elle rencontre même Paul-Henri Spaak qui ne l’éconduit pas, entreprend tous les journaux avec obstination et ne perd jamais courage. L'avocat de Poulet, Maître Thomas Braun, léopoldiste convaincu, est lui-même tiraillé entre le devoir de défendre son client et celui de ne pas nuire à Léopold III, en difficulté en pleine Question royale. Fin janvier 1946, le secrétaire du Prince Régent, André De Staercke, convaincu de l'injustice du verdict, voit le Prince Charles entre deux portes, à Londres. Il le convainc de biffer sa propre signature sur l'acte d’exécution, lui sauvant ainsi la vie.
Robert Poulet est finalement gracié le 4 octobre 1948 et libéré le mars 1951. Il aura moisi dans l'antichambre de la mort pendant trois ans
La rancoeur de ces années-là subsistera toute sa vie et surtout à l'égard du Roi Léopold III . Au moment où l'on fusillait un journaliste collaborateur, il ricane : "Léopold III se levait sans doute ce jour-là en baillant et en se disant que le temps serait propice à sa partie de golf."
Sous bonne escorte, le “ réprouvé " est reconduit à Paris et recommencera une carrière littéraire beaucoup plus discrète mais néanmoins féconde. En France il va collabore à diverses publications ou revues de droite ou d’extrême droite comme Rivarol, Ecrits de Paris, Valeurs actuelles; en Belgique, Pan - sous le pseudonyme de Pangloss -.
Il devient lecteur aux éditions Plon. Il reste le pamphlétaire vigoureux qu’il a toujours été. Il publie divers livres ou des trilogies remarquées comme Contre l’amour,(1962), Contre la jeunesse (1963), Contre la plèbe (1967), L'enfer-ciel (1952), Ce n'est pas une vie (1976), J'accuse la bourgeoisie (1978) etc. Il sera considéré comme l'un des meilleurs critiques de littérature française.
Jacques Chardonne disait de lui : “Robert Poulet dans ses critiques, prenait toujours le roman par un biais particulier. Il ne voit pas tout , mais il voit ce que les autres ne voient pas."
Le livre de Delaunois est d’une grande densité, très détaillé, fouillé, bien écrit, d'une étonnante richesse documentaire et historique. Surtout d'une parfaite honnêteté . L'auteur ne dissimule pas , loin de là, les erreurs , les défauts et les fautes d'un journaliste-écrivain capable de démesure .

Hautain, orgueilleux dans son comportement et ses idées , mais intègre.
Robert Poulet meurt à l'âge respectable de 96 ans.
Quelques mois après, sa veuve mit fin à ses jours.

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