La Clôture de Jean Rolin

La Clôture de Jean Rolin

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Paofaia, le 15 novembre 2013 (Moorea, Inscrite le 14 mai 2010, - ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 720ème position).
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Morne plaine parisienne

Quatrième de couverture:

La même année que Napoléon Bonaparte naît dans une bourgade de la Sarre un enfant roux dont le père, tonnelier, a servi dans les armées de Frédéric II. A la faveur des guerres de la Révolution et de l’Empire, l’enfant roux – au départ, une sorte d’Allemand – est appelé à devenir l’un des plus illustres maréchaux de France, avant de mourir fusillé à l’angle des jardins de l’Observatoire. Entre-temps, il aura été vainqueur à la Moskova et sur quantité d’autres champs de bataille, héroïque lors de la retraite de Russie, indécis ou calamiteux dans d’autres circonstances, déloyal à l’empereur, traître à la monarchie restaurée, défait à Waterloo et indéfectiblement fidèle à quelque chose d’éclatant et d’obscur.
Aujourd’hui, le boulevard qui lui est dédié relie la porte de Saint-Ouen à la porte d’Aubervilliers, à la limite de la ville et de ce qui l’entoure, à travers des quartiers qui ne comptent pas parmi les plus aérés de la capitale. D’autres destins s’y nouent – moins brillants, dans l’ensemble, que celui du maréchal Ney –, d’autres échecs s’y consomment. Celui de Gérard Cerbère, rescapé de nombreuses Bérézinas, désormais retranché avec sa caravane à l’intérieur d’un pilier soutenant le périphérique, celui de Lito, officier des forces armées zaïroises échoué au McDonald’s de la porte de Clignancourt. Ou encore celui de Ginka Trifovna, originaire de Ruse, en Bulgarie, âgée de dix-neuf ans et assassinée dans la nuit du 21 au 22 novembre 1999 sur un talus de la rue de la Clôture.


La première partie est un extrait du livre.

Je pensais que Jean Rolin allait nous parler du maréchal Ney, sur lequel je ne savais que peu de choses . Mais je le connais, il est rusé, et chaque thème abordé lui sert à toute autre chose.
De Ney, qu'ai-je retenu? Que l'un de ses récents biographes relate qu'après avoir fait ses adieux à sa femme, il a eu le temps de se rendormir un peu avant son exécution.. Il devait vraiment être très fatigué.. En tout cas, Rolin n'oublie jamais la documentation, historique et géographique.

Mais son projet ? Assez vaste et confus d'écrire sur le maréchal Ney du point de vue du boulevard qui porte son nom. Ou, ce qui revient au même, ( au moins sous le rapport de l'ampleur et de la confusion), d'écrire sur le boulevard qui relie la porte de Saint-Ouen à la porte d'Aubervilliers, mais du point de vue présumé du maréchal Ney.

Ah. Ca part bien si on aime Jean Rolin, humour et confusion, si on ne l'aime pas, c'est à éviter à tout prix.

Il va donc arpenter ce boulevard, l'observer sous tous les angles, y faire des rencontres, des prostituées, des marginaux, des chats ( comptés!) . Et le 18 juin 2000, 185 ème anniversaire de Waterloo, il va tenter de reconstituer tout seul , sur un petit bout d'herbe, cette fameuse bataille ..:)

( Sans doute ce pré n'offrait-il que peu d'étendue, mais cette circonstance était elle-même conforme, au moins symboliquement, à l'une des caractéristiques de la bataille: " Waterloo, écrit Victor Hugo, est de toutes les batailles rangées celle qui a eu le plus petit front avec un tel nombre de combattants. De cette épaisseur vint le carnage." )Sur le pré se voyaient une souche déracinée, un amoncellement de grands sacs poubelles noirs assez semblables à des chevaux morts..etc..

Que dire de plus? Que bien sûr il fait coïncider dans le récit histoires personnelles et Histoire tout court. Que, comme d'habitude, il s'égare vite. Enfin, apparemment.. Car en fait, pas du tout, et c'est sa grande force. Il nous égare, oui, on se dit mais.. il va nous emmener où, comme cela? Et lui est déjà arrivé depuis longtemps.

Et puis..:

Porte d'Aubervilliers, vers 21 heures 30 , une demi-douzaine de personnes faisaient déjà la queue pour le lendemain matin devant l'entrée du Centre de réception. Il n'y avait parmi eux qu'une seule femme, apparemment africaine, âgée peut-être d'une trentaine d'années, vêtue avec élégance, assise sur une couverture à l'intérieur de cette espèce de tuyau que doivent emprunter les impétrants. Ses lunettes sur le nez, elle était plongée dans un livre, et, même en faisant la part des choses- même en tenant compte de la nécessité , pour la lectrice, de se composer une attitude susceptible de tenir à distance les emmerdeurs- on aurait aimé savoir quel était ce livre, et ce qu'il avait fait pour mériter d'être lu dans des conditions si précaires.

Le mot lui -même est un peu galvaudé, mais pour moi, Jean Rolin est un grand écrivain humaniste.

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Les éditions

  • La clôture [Texte imprimé] Jean Rolin
    de Rolin, Jean
    Gallimard / Collection Folio
    ISBN : 9782070429851 ; 8,60 € ; 01/07/2004 ; 256 p. ; Poche
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Un maréchal et des déshérités

8 étoiles

Critique de Poet75 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 68 ans) - 8 juin 2018

C’est le dernier article paru sur le blog de Bertrand Tavernier qui m’a incité à entreprendre la découverte de Jean Rolin, un auteur dont je ne connaissais jusqu’ici rien de plus que le nom. Sur son blog, en effet, Tavernier, qui écrit beaucoup sur le cinéma, bien évidemment, et, en particulier, sur les films de patrimoine qui sont édités en DVD, évoque aussi, volontiers, ses lectures et, ainsi, commente avec enthousiasme « Le traquet kurde », le dernier ouvrage paru de Jean Rolin, tout en recommandant d’autres livres de cet auteur.
Pour ma part, j’ai donc choisi d’entamer mon exploration de l’écrivain en question par « La Clôture », un livre datant de 2002 qui m’a fait forte impression. L’ouvrage, dont on ne sait s’il faut l’appeler roman, tant il est manifestement imprégné des observations et des rencontres de Jean Rolin avec des personnes bien réelles, mêle audacieusement la grande et la petite histoire, mais en les traitant de la même manière, en les mettant au même niveau. Le regard de l’auteur ne semble jamais condescendant pour qui que ce soit et il traite avec autant d’égards les gens obscurs que les grandes figures historiques.
En l’occurrence, l’écrivain s’aventure dans un mélange des genres qui paraît insolite et presque incongru et qui, pourtant, « fonctionne » à merveille. Tout le livre se construit, en effet, à partir d’une portion des boulevards qui encerclent Paris, précisément celui qui est dédié au maréchal Ney, au nord de la capitale, entre la porte de St Ouen et la porte d’Aubervilliers. Cette dénomination, Jean Rolin la prend en compte en retraçant quelques épisodes de la vie de ce maréchal d’empire, de ses faits d’arme jusqu’à son arrestation, son jugement et son exécution le 7 décembre 1815.
Mais ce qui surprend, à la lecture du livre de Jean Rolin, c’est que, s’il est bien question de ce maréchal d’empire, ce sont aussi et surtout les obscurs et les sans-grades d’aujourd’hui que raconte et décrit l’auteur, autrement dit ceux qui squattent ou qui hantent, d’une manière ou d’une autre, ce quartier déshérité de la capitale, le boulevard Ney et ses alentours, essentiellement des prostituées africaines ou « albanaises », autrement dit provenant de l’est, et des marginaux s’étant retranchés et installés dans ces parages, trouvant refuge dans des piliers soutenant le périphérique par exemple. Rolin prend le temps, dépeint par le menu ces endroits que l’on ignore et ces personnes qui valent autant que tous les maréchaux d’empire. Ces femmes aux destins fracassés, ces hommes aux vies cabossées, l’auteur les a croisés, les a observés, les a parfois rencontrés et leur a parlé. Leur voix se fait entendre dans ce livre, la voix de ceux à qui on ne donne jamais la parole : Gérard, Robert, Roger, Lito ou encore Ginko Trifonova, une jeune bulgare que l’on retrouva assassinée en 1999 sur un talus de la rue de la Clôture. Rolin ose des rapprochements étonnants, celui, par exemple, d’un marginal d’origine algérienne ayant trouvé refuge dans une armoire électrique désaffectée avec les ermites « qui passaient toute leur vie dans une fissure ou à l’intérieur d’un tronc d’arbre » (page 123). Ces hommes, ces femmes, meurtris par les échecs, éprouvés, généreux ou mesquins, l’auteur nous invite à les regarder, simplement, sans jugement, mais à les regarder pour ce qu’ils sont : des frères et sœurs en humanité.

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