Un si fragile vernis d'humanité : Banalité du mal, banalité du bien de Michel Terestchenko

Un si fragile vernis d'humanité : Banalité du mal, banalité du bien de Michel Terestchenko

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Essais

Critiqué par Paofaia, le 27 octobre 2013 (Moorea, Inscrite le 14 mai 2010, - ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (2 208ème position).
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Plusieurs fois relu..

Lu à la suite du Journal d’Etty Hillesum, car je savais qu’il en parlait .
Si, depuis la brillante étude d’Hannah Arendt et tout ce qui a suivi comme réflexion , on en sait plus sur la banalité du mal, sur ces hommes tout à fait ordinaires et absolument pas , pour la plupart, dénués de sens moral ( cf Franz Stangl , commandant du camp de Treblinka, qui a eu l’occasion de s’expliquer, et surtout le livre de Christopher Browning au sujet du massacre de Josefow pour lequel chacun avait la possibilité de refuser sans sanctions -seule une dizaine d’hommes sur 500 qui formaient le bataillon refusa.. sans commentaire..-) qui ont massacré leurs semblables , et continuent où que ce soit, on ne sait finalement pas grand-chose de ces figures qui sortent elles, finalement hélas rarement, de l’ordinaire , comme cette Etty Hillesum, ou Sophie Scholl et son frère, tous ceux qui ont été nommés les Justes en Israël et bien d’autres donc, mais aussi beaucoup d’autres personnages cités dans cette étude à titre d’exemples.

Raoul Wallenberg ou l’extraordinaire Giorgio Perlasca , homme d’affaire italien qui s’est fait passer pour un diplomate espagnol à Budapest et a permis de sauver des milliers de personnes. Des gens très ordinaires aussi, le plus souvent. Comme dans le village de Haute Loire de Chambon- sur- Lignon, où tout le village d’environ 3000 habitants s’est mobilisé derrière le pasteur André Trocmé et son épouse Magda, et ont sauvé plus de 5000 Juifs.. Mais pour lesquels « l'action altruiste jaillissait du plus profond de leur être comme une obligation à laquelle ils ne pouvaient se soustraire, porteuse sans doute de dangers considérables, mais qui n'avait rien de sacrificiel », et qui, en s’engageant de la sorte,ne renonçaient ni à leur être ni à leurs intérêts profonds : « Ils y répondaient, tout au contraire, dans une parfaite conformité et fidélité à eux-mêmes. »

En fait, la rencontre entre une situation, celle d’un être en détresse qui appelle à l’aide, et une personnalité, un caractère qui s’est construit, constitué de longue date et qui trouve là l’occasion d‘exprimer, de mettre en œuvre l’être qu’il est avec soudain une énergie , une efficacité, une détermination qui commandent toutes ses facultés.

C’est-ce que M.T appelle la « présence à soi » qui n'exige en rien l'abandon à un autre - Dieu, la loi morale ou autrui.

Et qui s’oppose à la "déprise de soi" qui est au contraire l'un des chemins qui mène le plus sûrement à l'obéissance aveugle et à la servilité.

Dans ses démonstrations il reprendra bien sûr les expériences et travaux bien connus de Milgram et ceux de Zimbardo , l’expérience de la prison de Stanford

http://fr.wikipedia.org/wiki/…
En passant aussi bien sûr par Abou Ghraib..

Une part de cet ouvrage est consacrée à l’évolution des idées sur égoïsme-altruisme, de La Rochefoucauld à Levinas, c'est loin d'être simple.

Passionnant, de bout en bout.

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Les éditions

  • Un si fragile vernis d'humanité [Texte imprimé], banalité du mal, banalité du bien Michel Terestchenko
    de Terestchenko, Michel
    la Découverte / La Découverte-poche. Sciences humaines et sociales
    ISBN : 9782707153265 ; 29,88 € ; 18/09/2007 ; 301 p. ; Poche
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Comment des êtres humains se transforment-ils en Bourreaux ? !

10 étoiles

Critique de Anonyme11 (, Inscrit(e) le 18 août 2020, - ans) - 19 août 2020

Cet Essai de Michel Terestchenko (maître de conférence de philosophie à l’université de Reims) est crucial, car il TENTE d’analyser et de comprendre l' »âme humaine », à travers différents ouvrages et exemples de personnages ayant prodigué le Bien, ou accompli le Mal.

L’auteur étudie donc les motivations qui conduisent certains êtres humains à agir pour le Mal absolu, et d’autres, à réagir contre ce Mal par altruisme et/ou héroïsme individuel ou collectif.

Ici, Michel Terestchenko nous convie à descendre dans les abysses insondables de l’horreur.
En effet, l’auteur présente, entre autres, le cas devenu tristement célèbre de Franz Stangl, chef des centres d’extermination Nazis de Sobibor puis de celui de Treblinka situés en Pologne, et par conséquent, responsable de l’extermination d’environ 900 000 Juifs innocents : enfants, femmes, vieillards, hommes…

La première déduction tirée des analyses étudiant ce bourreau, est que contrairement à l’idée communément admise, cet homme (comme tant d’autres tortionnaires) ne semble pas être un : psychopathe, un sadique, un pervers, un dément, un fou ; mais en réalité, il s’agit plutôt d’un « homme ordinaire », dans ce cas : égoïste, faible, lâche dans sa « mission » destructrice et complètement indifférent au sort de ses innombrables victimes.

Michel Terestchenko reprend alors des passages de l’essentiel et désormais classique ouvrage de référence de la journaliste Gitta Sereny interviewant Franz Stangl, dans sa cellule entre avril et juin 1971.
Etrangement Stangl accepta de sortir de sa réserve et des habituels poncifs de tous les autres bourreaux Nazis qui furent condamnés et emprisonnés, pour se livrer profondément à Gitta Sereny.
L’auteur compare et différencie le comportement de Rudolph Höss qui fut le discipliné et OBEISSANT commandant d’Auschwitz à celui de Stangl, qui fut plutôt guidé dans son immonde action meurtrière « à la chaîne », par : sa lâcheté, sa soumission, sa compromission délibérée et sa peur pour lui et pour sa famille.
Voilà comment Michel Terestchenko décrit Stangl, page 72 :

« Au terme de cette lente et pénible reconstitution, le portrait qui se dégage de Stangl n’est pas celui d’un homme docile et monolithique, comme pouvait l’être Rudolph Höss, le commandant d’Auschwitz ; pas davantage celui d’un officier sadique ou d’un doctrinaire soucieux de mettre en application les principes de l’idéologie raciale nazie. La figure ambiguë qui apparaît est celle d’une conscience passive, tenue par la peur, qui se soumit progressivement à un enchaînement de compromis lui ôtant toute possibilité d’échapper à des fonctions qu’il se vit ou se crut contraint d’accepter pour assurer sa propre survie et celle des siens.
Durant son procès, à la différence de la plupart des anciens criminels nazis, Stangl était apparu, aux yeux de Gitta Sereny, comme un être « moins primitif, plus ouvert, sérieux et triste ; le seul homme ayant à son actif des actions aussi terrifiantes qui manifestât un semblant de conscience ». »

Ensuite, l’auteur décortique l’infâme processus de lâcheté développé par les bourreaux, sous prétexte des soi-disant menaces de représailles de la part de leur hiérarchie Nazie, page 73 :

« Il y eut probablement dans l’Allemagne nazie moins de « génies » du mal que de simples « fonctionnaires » du mal – c’est ainsi que, mis en cause pour leur participation à l’extermination des Juifs, de nombreux criminels nazis refusèrent de se considérer eux-mêmes comme responsables, arguant de l’obligation dans laquelle ils avaient été d’obéir aux ordres et clamant en dernier ressort l’innocence de leur conscience. Ainsi parla Eichmann durant son procès. Ainsi également Stangl. Grâce au travail de Gitta Sereny, il est possible d’entrer dans une interrogation complexe de ce « fonctionnariat du mal ». »

Plus loin, l’auteur revient sur la personnalité finalement « ordinaire » de Stangl, page 86 :

« Quels enseignements pouvons-nous tirer de cette confession de Franz Stangl ? A l’évidence, il n’était pas l’homme que nous attendions à rencontrer s’agissant du commandant de Treblinka. Peut-être sommes-nous déconcertés parce que Stangl n’était ni un sadique, ni une personnalité primaire, ni un doctrinaire aveuglé par sa haine des Juifs. Il n’a aucun des traits du psychopathe que l’on prête parfois à Himmler ou à Hitler. Ce n’est pas non plus un fonctionnaire, comme Eichmann qui organisa la logistique du génocide des Juifs depuis ses bureaux sans avoir de contact direct avec ses victimes, même si, comme Eichmann et tant d’autres criminels nazis, Stangl s’est réfugié derrière l’obéissance aux ordres pour justifier sa conduite.
L’image qui se dégage des entretiens avec Gitta Sereny est plutôt celle d’un homme « pris au piège » : pris au piège des circonstances et de sa propre lâcheté, peu à même de prendre conscience des obligations éthiques correspondant à sa situation. Mais cela n’en fait pas un meurtrier, ni un criminel au sens habituel du terme. Sa culpabilité est plus complexe, plus dérangeante. Tenter de l’analyser nous introduit dans un univers qui ne présente pas les bornes étanches et rassurantes du manichéisme. Nous sommes bien plus proches de cette troublante « zone grise » qui estompe les frontières entre le bien et le mal et que décrit Primo Levi dans « les Naufragés et les rescapés ». »
Sa faute n’est pas tant le mal qu’il a commis de ses propres mains que celui, effroyable, qu’en raison de son absence de force d’âme, de lucidité morale et de courage, il a laissé se perpétrer et dont il était tout à la fois le responsable officiel et l’instrument. »

L’auteur complète son explication par l’exemple des bataillons exterminateurs SS (les Einsatzgruppen), qui ont perpétré des fusillades en masses de CENTAINES DE MILLIERS de Juifs et qui n’étaient pourtant pas tous antisémites, mais pour beaucoup : obéissants, soumis aux ordres, endoctrinés idéologiquement ce qui engendrait une vision, chez eux, déshumanisée de leurs victimes, et la volonté de ne pas faire « bande à part » du groupe.
Parmi ces MILLIERS de bourreaux, certains écoeurés par leurs crimes ignobles, essayèrent de trouver des échappatoires pour sortir de cette spirale exterminatrice infernale.

Au final, dramatiquement, quelque soit le mode d' »adhésion » volontaire ou non des tortionnaires à l’idéologie Nazie, le résultat a été le même pour ces MILLIONS de victimes Juives : la MORT systématique et généralisée !

Heureusement, pour contrebalancer cette face « obscure » et montrer la face positive de la nature humaine, Michel Terestchenko nous présente aussi des cas : d’héroïsme, d’altruisme et de détermination Morale humaniste.
Comme l’exemplaire démonstration de courage du pasteur André Trocmé et de tout son village de Chambon-sur-Lignon situé en Haute-Loire, qui ont caché des MILLIERS de Juifs durant la Seconde Guerre Mondiale.

Pour ma part, j’ai ressenti en filigrane de ce fondamental ouvrage de réflexion sur la Nature Humaine, la traumatisante question suivante :
Dans ce terrifiant contexte Totalitaire Nazi, comment me serais-je comporté à leur place ?

Hormis l’adhésion totale d’une partie de ces bourreaux à l’idéologie antisémite et raciste, aurais-je été :
– D’emblée, viscéralement opposé à cette inhumanité, à cette barbarie et donc courageusement en combat contre le régime Totalitaire Nazi, au risque de me retrouver marginalisé par ce « système », voire de risquer d’être moi-même déporté en camp de concentration ou éventuellement d’être fusillé ;
OU ;
– Obéissant, lâche, peureux, faible, voire discipliné et zélé dans l’implication et l’application de cette Terreur de masse ?

Espérons ne jamais devoir être confronté, un jour, à l’obligation Morale de se poser cette terrifiante question…

Confer également d’autres ouvrages aussi passionnants sur le même thème, de :
– Gitta Sereny : Au fond des ténèbres, un bourreau parle, Franz Stangl, Commandant de Treblinka ;
– Hannah Arendt Le système totalitaire : Les origines du totalitarisme ;
– Hannah Arendt Eichmann à Jérusalem ;
– Tzvetan Todorov Face à l’extrême ;
– Tzvetan Todorov Mémoire du mal, Tentation du bien : enquête sur le siècle.

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