«Grand-Père n'était pas un nazi»: National-socialisme et Shoah dans la mémoire familiale de Sabine Moller, Karoline Tschuggnall, Harald Welzer

«Grand-Père n'était pas un nazi»: National-socialisme et Shoah dans la mémoire familiale de Sabine Moller, Karoline Tschuggnall, Harald Welzer
("Opa war kein Nazi": Nationalsozialismus und Holocaust in Familiengedächtnis)

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Essais

Critiqué par Paofaia, le 19 octobre 2013 (Moorea, Inscrite le 14 mai 2010, - ans)
La note : 8 étoiles
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Mémoire familiale

En fait, il y a deux livres sortis récemment en France, le premier est intitulé Soldats- Combattre, tuer, mourir: procès-verbaux de récits de soldats allemands, comptes-rendus des écoutes de prisonniers de guerre allemands analysées par l'historien Sönke Neitzel et le psychosociologue Harald Welzer. J'en ai lu quelques extraits dans les critiques de ce livre , par exemple:

" Les chevaux me faisaient de la peine. Les gens, pas du tout », dit un lieutenant de la Luftwaffe qui a mitraillé un convoi de civils en Pologne. « Qu'est-ce qu'on s'est amusés », dit un sous-marinier racontant comment il a coulé un convoi transportant des enfants. « Rattata » est l'interjection utilisée par le caporal parachutiste Büsing pour expliquer comment sa compagnie, à l'aube, a assassiné au pistolet-mitrai­l­leur tout un village « près de Lisieux-Bayeux », en 1944."

Que dire, sinon qu'en lire plus ne me semblait pas utile.

Par contre Gallimard a fait paraître en même temps cet ouvrage sociologique qui date de 2002, et la mémoire familiale est un sujet qui me passionne.
A partir d'entretiens avec des familles qui comportaient toutes au départ des membres, à un titre ou un autre, du parti national socialiste, les chercheurs ont tenté de cerner ce qu'avaient retenu les générations suivantes .
C'est un ouvrage complexe, difficile à lire et qu'il me serait quasi impossible de résumer.
Je préfère copier la quatrième de couverture qui le fait assez bien:

Qu’on ne s’y trompe pas : cet ouvrage va bien au-delà de son sujet immédiat – la manière dont on parlait de l’époque nazie et de la Shoah, dans les années 2000, au sein des familles allemandes. Il concerne, par ses méthodes, son cadre d’analyse, voire ses conclusions, tous ceux qui, en France ou ailleurs, ont à réfléchir aux mécanismes de la transmission de la conscience historique d'une période d’exception, soit à la confrontation de la mémoire sociale et de la mémoire familiale.
Au fil de quarante-huit entretiens familiaux et de cent quarante-deux interviews individuels sur les histoires vécues du passé national-socialiste et transmises entre les générations, il apparaît, en effet, qu’à «la mémoire culturelle» (celle qu’une société institue à une époque donnée sur un certain passé à travers célébrations, discours officiels et enseignement) s’oppose «la mémoire communicative», non plus cognitive mais émotionnelle, ciment de l’entente des membres d’un groupe (parents et proches) sur ce qui fut leur passé vrai, et qui est constamment réactivée dans le présent d’une loyauté et d’une identité collectives.
Ainsi se transmettent dans les familles d’autres images du passé national-socialiste que celles diffusées à l’école : romantiques et enjolivées par l’intégration de scènes cinématographiques, par exemple, elles sont avant tout relatives à la souffrance des proches, causée par le mouchardage, la terreur, la guerre, les bombes et la captivité.
Paradoxalement, il semble que ce soit justement la réussite de l’information et de l’éducation sur les crimes du passé qui inspire aux enfants et petits-enfants le besoin de donner à leurs parents et leurs grands-parents, au sein de l’univers horrifique du national-socialisme, une place telle qu’aucun éclat de cette atrocité ne rejaillisse sur eux. Transmis sous forme non pas de savoir mais de certitude, ces récits, pour finir, convainquent chacun qu’il n’a pas de «nazi» dans sa propre famille : «Grand-Père n’était pas un nazi.»





En gros, donc, plus on s'éloigne de l'individu d'origine, plus on assiste à des excuses ( s'ils l'ont fait, c'est parce que ils n'avaient pas le choix), un déni ( personne n'était de toutes façons antisémite) ou même une " héroïsation" cumulative ( beaucoup de Juifs ont été cachés, nourris, non dénoncés, etc) afin de bien pouvoir extraire ses propres aïeux de la conscience historique et permettre ainsi de faire coexister pacifiquement le " mal" du pouvoir national- socialiste et le " bien" représenté par ses propres grands-parents et arrières grands-parents.
On est bien loin de la banalité du mal de Hannah Arendt, par contre la banalité du bien est de règle...
Et ceci d'autant plus qu'il s'agit d'individus éduqués dans la conscience historique, les commémorations et nourris de fictions mettant en spectacle cette période.

A ce niveau, comme ce n'est pas du tout un ouvrage de psychologie et que les auteurs ne nous expliquent pas pourquoi il en est ainsi, j'aurais moi tendance à penser qu'après tout, ceci est très humain. Grand-Père n'a pas dû trop se vanter de certains actes , et les générations suivantes n'ont voulu retenir que ce qui leur convenait sans se poser plus amples questions?

Plus surprenant, enfin, pour moi, est la persistance de " clichés "liés la plupart du temps aussi pour les jeunes générations , à toutes les images qu'ils ont vues : le Russe est un violeur, l'américain est toujours sympa, le Juif est toujours riche à millions ( et donc aurait dû pouvoir partir...) et le petit fils interrogé? Et bien, écoutons un jeune homme né en 76: " Parce qu'ici , je n'ai pu voir que ça dans les films , l'enthousiasme des gens, c'était tout de même la classe, la manière dont ils ont fait ça! Comme ils criaient tous: Heil Hitler, ou Sieg Heil! Et cet enthousiasme des gens, c'est ce qui est fascinant d'une certaine manière, la force qu'avait ce peuple à ce moment -là. Parce qu'ils ont tous eu peur de nous! "

... Que l'on n' accepte pas que son grand-père ait pu être un nazi, pourquoi pas. Mais qu'on en arrive à souhaiter qu'il l'ait été, et, finalement, en être très fier, c'est peut être un petit peu plus inquiétant?

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