Pietra viva de Léonor de Récondo

Pietra viva de Léonor de Récondo

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par TRIEB, le 22 septembre 2013 (BOULOGNE-BILLANCOURT, Inscrit le 18 avril 2012, 72 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 6 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (2 103ème position).
Visites : 6 421 

PIERRE VIVE POUR UN ARTISTE

Quelle est la nature de la relation existante entre un artiste et sa discipline ? Une voie salutaire, une ascèse, l’accès à l’absolu ?

Dans son nouveau roman, Léonor de Récondo tente d’apporter un commencement de réponse . Nous sommes en 1505, Michelangelo Buonarroti quitte Rome . Il est bouleversé car il vient de découvrir le corps d’Andrea, jeune moine dont la beauté l’attire, le séduit. Jules II, le pape, lui a commandé les marbres de son tombeau. Michelangelo part donc pour Carrare, pour extraire les meilleurs blocs de marbre et vivre parmi les carriers, ces artistes tout autant qu’ouvriers, pendant près de six mois.

Michelangelo a soif : de beauté, de perfection, d’accomplissement dans l’exécution de son art : le taillage dans le marbre. Il est tout d’abord marqué par une citation d’un livre de Pétrarque offert par Lorenzo de Medici, l’un de ses amis. La compagnie de ce livre, croit-il, l’aidera à résoudre le mystère de la mort de ce moine, ses causes exactes : maladie, épidémie ? Une citation le frappe : « La mort fait l’éloge de la vie comme la nuit celle du jour. »
Michelangelo rêve, beaucoup ; sa vie intérieure fait place à de nombreuses visions, à la fantasmagorie : « Michelangelo dévale le chemin tant il est exalté. L’idée de ces sculptures lui plaît .Il ne doute pas un instant qu’elle soit excellente. (…) Il faudra trouver les blocs justes et les déshabiller afin qu’apparaissent, dans leur nudité première, les esclaves de la pietra viva. »
Au final , l’artiste semble réconcilier les impératifs de son art avec ses sentiments nourris vis-à-vis de ses proches, les carriers, de son correspondant resté au Vatican , Guido ,avec lequel il échange des correspondances argumentées et passionnées ; il découvre une justification à son art : « Il ne veut plus les entraver de sa maîtrise , ne plus être l’arbitre, simplement dégrossir le marbre afin que s’en échappe le premier souffle . »

Ce roman est écrit dans un style simple, précis ; il laisse parfaitement entrevoir les dilemmes et tourments auxquels les artistes, en tout temps et en tout lieu, sont sujets .Illustration éloquente du statut de l’artiste et de l’omniprésence des questionnements relatifs à la place de l’artiste dans la Cité.

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Se souvenir des belles choses

10 étoiles

Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 65 ans) - 11 août 2019

Michelangelo Buonarroti est dans un couvent à Rome où les moines lui apportent les corps à "ouvrir". Il pressent que le corps qu’on lui apporte ce jour là, n’est pas un inconnu et devine avant d’enlever le drap qu’il s’agit d’Andrea. "Quand il l’a vu la première fois, il a cru à une allégorie du Christ. Sa jeunesse, sa beauté lumineuse, sa force à soulever si franchement la mort ne pouvaient faire de lui que le fils de Dieu. Et puis, il y avait son regard. Bleu sans peur. Direct comme la foudre du Jugement dernier. Michelangelo est venu disséquer dans la morgue de ce couvent romain pour le simple plaisir de contempler Andrea."
Le choc est si grand, que Michelangelo fuit Rome et se rend à Carrare, pour y choisir les blocs de marbre qu’il sculptera pour le Pape Jules II.
Dans ce village où il est connu et respecté pour son génie par tous, même par les carriers, impressionnés par sa connaissance de la pierre, il essaie de s’étourdir dans le travail.
"dormir, oublier, sculpter les vivants et les morts qui peuplent son imagination."

Malgré le travail, malgré la carapace de solitude et d’indifférence qu’il s’est forgée, les souvenirs que Michelangelo a voulu oublier, qu’il a enfouis profondément pour ne plus souffrir de l’absence de ceux qu’il a aimés, vont revenir ; et surtout ceux de sa mère morte alors qu’il n’avait que 6 ans.
La mémoire des sens et la fréquentation des gens de Carrare, et particulièrement celle de Michele, un jeune garçon, vont l’aider à retrouver sa mémoire, à accepter ses souvenirs, se rappeler des moments heureux avec sa mère ; l’odeur de son parfum grâce à la main d’un enfant, le bruit de son rire grâce au rire de cet enfant, la saveur de ses galettes grâce à Maria sa logeuse, la douceur, le soyeux des jupes de sa mère grâce à Cavallino, l’homme cheval…
Et enfin, réconcilié avec son passé, apaisé, il quittera le village, laissant Michele, l’enfant qui a su apprivoiser le Génie.
"Ils se laissent alors envahir par cette gaieté contagieuse qui, en plus de les rendre complices, les entraîne loin de leurs incertitudes et de leurs souffrances."

Ce roman n’est pas une biographie du célèbre sculpteur mais un récit sur les relations humaines, celles qui montrent la valeur de chacun, qu’il soit un enfant, un fou ou un Génie reconnu.
Comme à son habitude, Léonor de Récondo nous livre un roman tout en finesse, en délicatesse, explorant, avec un grand sens du détail et d’observation, d’une écriture fluide et élégante, les âmes humaines, les bouleversements que peuvent provoquer ces rencontres fortuites. Et dans chacun des univers, des époques dans lesquels elle nous emmène, c’est toujours la même émotion, qui me conquiert à chaque fois.
Des romans comme je les aime.

La pierre vive !

7 étoiles

Critique de Monocle (tournai, Inscrit le 19 février 2010, 64 ans) - 8 août 2017

1505, Michel Ange est chargé de la réalisation du tombeau de Jules II, un pape narcissique qui cherche la postérité par un tombeau digne d'un pharaon.
Il va donc pendant six mois quitter Rome pour les carrières de marbre de Carrare afin de choisir les meilleurs blocs qui lui permettront de graver ces statues qui trottent dans son esprit. L'artiste vit avec le souvenir obsédant d'un jeune moine dont la beauté lumineuse le fascinait, et plus encore. Dans ce tourbillon, il faut trouver la place du corps dans le marbre, ou l'inverse... c'est selon !
Léonor de Récondo livre une oeuvre épurée qui mérite sa lecture.

1505, Carrare, Michelangelo Buonarroti

9 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 67 ans) - 13 janvier 2017

Quel casting quand même ! Décidément Michel-Ange inspire diablement les écrivains – de talent,comme Leonor de Recondo - puisque Mathias Enard aussi, dans « Parle leur de batailles, de rois et d’éléphants » mettait il n’y a pas longtemps également en scène un moment de la vie du Maître.
Il y faut sensibilité, intuition, intelligence, et visiblement Leonor de Recondo n’en manque pas. Le roman n’est pas bien long, mais c’est un condensé de finesse et de compréhension de son personnage : le Michel – Ange tel qu’il vécut ou un Michel – Ange fantasmé ? Cela, bien sûr, nous ne le saurons jamais. N’empêche que les analyses de Leonor de Recondo telles qu’elles ont mené à la rédaction de ce « Pietra viva » paraissent bien pertinentes.
1505 donc. Michel-Ange qui vient d’être confronté à la mort d’Andrea, un jeune moine qui le troublait et l’attirait à la fois, se voit chargé par Jules II, le Pape en activité, d’une réalisation de tombeau monumental qui l’amène à quitter Rome pour Carrare, un retour aux sources pour lui (il a été élevé par une nourrice dont le mari était carrier), afin d’aller choisir et acquérir les blocs de marbre qui permettront l’édification de l’œuvre destinée au Pape.
Leonor de Recondo nous fait vivre l’évolution du comportement de l’artiste pendant les quelques mois qu’il va passer là-bas, d’abord hautain et inaccessible aux carriers, au peuple de Carrare, puis lentement apprivoisé, notamment par Michele, un petit garçon hardi qui pourrait être la reproduction de l’enfant Michelangelo, et par Topolino et Chiara, son épouse.
Belle reconstitution de ce que devait être Carrare et la condition des carriers au début du XVI ème siècle et surtout fort questionnement sur l’Art, l’artiste et la création, l’acte de créer, les responsabilités et les affres qui en découlent.
Encore une fois belle sensibilité de la part de Leonor de Recondo.

Michelangelo, Topolino, Cavallino, Michèle et... la montagne de marbre !

10 étoiles

Critique de Frunny (PARIS, Inscrit le 28 décembre 2009, 58 ans) - 19 décembre 2015

Léonor de Récondo (1976- ) est une violoniste et écrivaine française.
Violoniste surdouée, elle est lauréate du concours international de musique baroque Van Wassenaer en 2004.
En 2010, elle entame une carrière d'écrivain en faisant paraître son premier roman, "La Grâce du cyprès blanc". Elle reçoit en 2015, pour son roman "Amours", le prix des libraires et le Grand prix RTL-Lire.
"Pietra viva", parait en 2013.

Un court roman autour de la puissance créatrice d'un génie; Michel-Ange.
Au printemps 1505, le Maestro, qui a déjà produit "la Pietà" et le "David", est au faîte de sa renommée. Il rejoint les carrières de Carrare pour choisir les marbres du futur tombeau du pape.
Une commande comme un révélateur de ce qu'il est au plus profond de lui-même, loin des faux-semblants de Rome.

Une oeuvre magnifique sur tous les plans.
Léonor De Récondo allie poésie, connaissance, magie artistique, émotions humaines, retour à la nature... avec maestria.
J'ai été envoûté, subjugué par tant de beauté, d'intelligence et de sensibilité littéraire.
Cette jeune écrivain est une pépite qui a compris dans son plus for intérieur le sublime et la douleur de la création artistique.
Chapeau bas !!!
Grand merci à Alma pour avoir attiré mon attention sur cette romancière qui a "tout d'une grande" !

Quand la pierre se met à vivre

7 étoiles

Critique de Lit et rature (, Inscrit le 16 septembre 2014, 71 ans) - 18 septembre 2014

Sans grandiloquence, mais avec une grâce empreinte de chaleur, comme le vent tiède qui souffle sur la Toscane, et l’élégance qu’il sied d’avoir lorsque l’on parle des choses de l’art, l’auteure nous prend par la main pour nous mener jusqu’à Carrare. C’est là, qu’habité par une farouche détermination à ne choisir que les blocs de pierre les plus parfaits, les seuls dignes d’accueillir son œuvre, Michelangelo va passer quelques mois de sa vie.
Le sculpteur, arrogant et sûr de son art va se cogner aux choses simples qui rythment l’existence : la poussière qui colle au corps en sueur, la fatigue qui brise les chairs après une journée à la carrière, le goût du pain trempé dans le vin, le vent qui fait frissonner les oliviers, les pieds nus qui foulent le sable humide de la plage.
Délaissant peu à peu ses seuls amis – un livre de Pétrarque et la bible d’un jeune moine troublant - il se laissera lentement approcher par ses compagnons de travail, les carriers, puis par le fou du village qui se prend pour un cheval, par une jeune fille qui chante et par un petit garçon déluré qui aurait pu être lui, jusqu’à s’ouvrir et s’abandonner entièrement à ses propres émotions.
La pierre en se mettant soudainement à palpiter en expulsera toute froideur pour devenir la « Pietra viva » et sous la main du sculpteur, la matière prendra désormais la forme des êtres aimés.

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