Danse noire de Nancy Huston
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Je t'aime Milo. Je t'aime...
Trois personnages : Neil Kerrigan (ayant changé son nom pour Noirlac) un avocat dublinois forcé de s’exiler au Québec suite à son implication dans l’insurrection de Pâques de 1916, Awinita Johnson, une jeune femme d’origine indienne Cri droguée et prostituée exerçant son métier à Montréal et finalement, Milo un scénariste homosexuel renommé. Nancy Huston nous raconte le parcours chaotique et rempli de drames de ces trois êtres humains victimes de leur identité nationale et de leur race.
Excellent roman dont le narrateur, Paul Schwartz, riche réalisateur new-yorkais et amant de Milo, imagine le scénario d’un film racontant la vie du scénariste agonisant. Donc, le roman est construit, vous l’aurez deviné, comme un scénario avec scènes alternant les différentes étapes du parcours de ces trois personnages étroitement apparentés.
Nancy Huston nous entraîne en Irlande, à Dublin lors des révoltes menées par les Volontaires Irlandais contre l’occupant britannique et les féroces répressions de celui-ci envers les rebelles. Ensuite, nous nous rendons au Québec dans les années cinquante alors que la population autochtone indienne voit ses plus belles femmes devenir des prostituées s’évadant de leur enfer grâce à l’héroïne et faisant d’elles des êtres humains fragilisés voués à une déchéance inévitable. Puis nous voilà en Amérique du Sud, au Brésil plus précisément, où Milo filme la fameuse danse folklorique nommée « capoeira » et arpente les quartiers pauvres, les favelas, où il fait une étrange découverte.
Roman très riche axé sur l’histoire plutôt que sur les arts cette fois. Cependant, la littérature est bien présente grâce au personnage de Neil Kerrigan, aspirant écrivain, dont les amis sont William Butler Yeats et James Joyce. À mon avis, il est le personnage le plus intéressant des trois enfin, c’est celui que je préfère.
Les nombreux dialogues en langue anglaise sont traduits en notes de bas de page et cela devient un peu lassant. La parlure québécoise française des années cinquante est bien rendue et m’a fait penser à l’écriture de Michel Tremblay. Le roman est assez dur et comporte des scènes de violence révoltantes. La domination de l’establishment anglophone de l’époque sur la population francophone québécoise est bien présente et soulève le cœur.
« Je t’aime Milo. Je t’aime. J’aimerais tellement faire l’amour avec toi, là, tout de suite. Ôter mes habits, arracher ton pyjama d’hôpital, décrocher doucement les différents tuyaux et t’embrasser partout pendant que tu glisses tes mains dans mes cheveux et tire dessus… Poser des baisers sur tes paupières, tes joues et tes lèvres, embrasser ta gorge offerte, lécher ta poitrine sans poils, sentir lever dans mes mains et durcir dans ma bouche ton magnifique pénis, te retourner pour embrasser la peau brune et lisse de ton dos musclé, et pendant que tu gémis, te mouiller de mes doigts et te pénétrer… »
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L’enfant de l’absence
Critique de Alma (, Inscrite le 22 novembre 2006, - ans) - 25 avril 2014
Agacement car sa lecture m’a semblé déstabilisante, imposant au lecteur une gymnastique constante. Gymnastique de l’esprit causée par les allers-retours entre les 3 pays : l’Irlande, le Canada, le Brésil ; puis entre quatre générations de personnages ( par chance l’arbre généalogique de la famille est d’un secours précieux ) .
Une acrobatie de l’esprit causée aussi par la variété de types de narration : récit de la vie de Milo, projets de scénarisation, de mise en images des scènes racontées, monologue de Paul, évocation des « voyages » d’Awanita sous l’emprise de la drogue. Mais ce n’est rien à côté de celle causée par certains des dialogues, en anglais. Ces dialogues, liés aux scènes où apparaît le personnage d’Awanita, précis comme ceux d’un film, entraînent le regard dans de constants va-et-vient entre la partie supérieure d’une page et sa partie inférieure qui en donne la traduction. On a souvent l’impression d’un film en VO dans lequel certaines tournures des sous-titres sont transcrites phonétiquement. Dur, dur, parfois de se concentrer sur ce récit éclaté, dans lequel se croisent les voix, les lieux, et les époques.
Nancy Huston y joue en virtuose des différentes modalités de la narration, y témoigne d’un indéniable savoir-faire romanesque, mais prend aussi le risque de dérouter et de lasser son lecteur. Si celui-ci n’abandonne pas en cours de route et arrive à la dernière page, c’est là seulement qu’il découvrira tout l’intérêt et la richesse de l’ouvrage.
Un roman aux nombreux personnages. Pour moi, les plus attachants, ce sont Milo, l’abandonné, presque orphelin ; ses parents Declan Noirlac et l’indienne Awinita, incapables d’assumer leur rôle « Deux ratés, oui ! Deux riens ! Fils de rien, de moins que rien , c’est ça qu’t’es ! Fils de l’absence » ; et Neil Kerrigan, son grand père, un Irlandais en exil, qui a fait souche au Québec et souffre de ne pouvoir écrire.
Les passages qui m’ont semblé les plus beaux sont ceux où apparaît cette Irlande, terre d’exil et de misère, ce peuple irlandais, dominé, meurtri que Neil Kerrigan évoque avec lyrisme. « Pauvres Irlandais, Milo ! Gens crédules et ignorants, toujours prêts à courber l'échine devant les professeurs et les prêtres, les rois et les papes, à craindre ceux qu'on leur disait de craindre et à prier Celui qu'on leur disait de prier, à abdiquer leur volonté, à se laisser piétiner, à contribuer indéfiniment à leur propre ruine. Oh, Milo ! comme je rêvais de venir en aide aux Irlandais ! d'écrire un livre qui transformerait leur résignation en une forme inédite d'intelligence ! » . Le roman prend alors une autre dimension, le destin des personnages s’inscrivant dans celui d'un pays. L’autre thème qui parcourt tout le roman me semble être celui du père, qu’il soit absent, présent, biologique, ou de substitution, et qui relie chacun des épisodes.
En menant la double ambition : celle de raconter en mots le parcours de Milo et de sa famille, celle de montrer comment Paul envisage sa transposition en images pour un film, Nancy Huston offre ici un roman éclaté qui déjoue l’espace et le temps, au rythme narratif perturbé, mais qui lui permet d’ « écrire l’oralité », de retranscrire au plus près ce qu’ un personnage dit ou entend, et ce que le spectateur d’un film lui aussi perçoit, au risque de gêner le confort de lecture et de décourager certains lecteurs.
Les zigzags imposés à l’œil et à l’esprit entraînant une stimulation intellectuelle constante, mieux vaut éviter de le lire le soir, si vous voulez vous endormir tranquillement.
Mitigé
Critique de Lolitadu43 (Ardèche, Inscrite le 7 janvier 2014, 47 ans) - 7 janvier 2014
Destins tragiques
Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 66 ans) - 24 novembre 2013
C'est la fin de vie de Milo, scénariste reconnu, auprès de son amant Paul, producteur de cinéma qui imagine le film de sa vie, de celles de ses parents et de son grand-père, qui raconte l'enfance et la vie difficile avec ses crises "d'inexistence".
Milo, fils non désiré d'une mère prostituée indienne toxicomane, a vécu une enfance terrible d'abandons, de cruauté, de solitude, de familles d'accueil en foyers, puis récupéré par son grand-père.
Milo est le fils de Declean et d'Awinata. Eux-mêmes, deux êtres en grande solitude, en souffrance.
"Pour elle (sa soeur), j'suis jus'un bon à rien
-t'es pas pire à quequ'chose."
Declean est l'un des 13 enfants de Neil Immigré irlandais, marié à une québecoise "pure souche"; attaché à sa terre d'Irlande et à ses combats, torturé par les souvenirs de violence et d'injustice, dont la vocation d'écrivain s'est perdue dans les cabanes à sucre.
De beaux destins, mais voilà, si j'avais beaucoup aimé la construction de Lignes de faille, les récits aléatoires m'ont gênée pour adhérer complètement aux héros de cet arbre généalogique. La présentation sous forme d'une ébauche de scénario, avec indications de mises en scènes, les passages racontant les "voyages" sous héroïne en italique, les nombreuses pages où les dialogues écrits en anglais obligent une lecture en bas de page pour une traduction en français ou en québecois (avec quelques problèmes de vocabulaire, "sloche "?) , en alternance avec le récit narratif en français, tout ceci casse le rythme de la lecture et m'a énormément dérangé.
Et ce n'est pas en écrivant "Ta, ta-da Da, ta, ta-da Da... " qu'on peut donner le rythme de la Capoeira à un lecteur qui ne la connait pas...
6° livre de l'auteure dont certains titres m'avait passionnée, je reste déçue par la construction de celui-ci malgré l'écriture toujours aussi agréable. Me Huston est au moins bilingue... moi pas !
Une saga familiale sur fond de capoeira
Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 46 ans) - 3 novembre 2013
Dans cette épopée familiale, tous les fantasmes y passent, de manière plus ou moins sensuelle ou brutale, ce qui demeure assez habituel chez cette auteure, où les trames romanesques sont décrites de manière complète, incluant l'impression des sens.
Le passage au Brésil et l'influence de la capoeira donnent un nouvel élément d'extranéité et d'exotisme en fin de parcours, ce qui tend à offrir à l'oeuvre des rebondissements et transformations permanents.
L'abondance d'effet peut, en effet, donner le tournis, l'impression étant confirmée par un style vif, parfois cru. Mais ce roman est bien conçu, et s'avère fort riche. S'il faut avoir le coeur bien accroché pour l'aborder, il reste à conseiller.
Trop d'effets spéciaux...
Critique de Peche07 (, Inscrite le 22 février 2006, 67 ans) - 6 octobre 2013
Seule la métaphore de la danse en filigrane du roman m’a semblé en revanche lui donner sa cohérence. Nancy Huston tenait pourtant sa trame, ses personnages, une histoire aussi solide que dans son précédent roman « Lignes de failles » sauf … sauf qu’on ne fait jamais deux fois le même parcours ! Entre ces deux romans l’écrivain n’aurait il pas pris trop d’assurance ? N’est-ce pas ce manque d’humilité qui lui fait préjuger de la persévérance du lecteur ?…. Au point de penser que le lecteur non anglophone ( ça existe ?) supportera sur les deux tiers du récit la lecture de minuscules notes en bas de pages ou la traduction dans le texte du parler de l’époque….
Bien sûr, l’écriture ne fait pas défaut, on parcourt quelques belles pages, mais pour ma part, j’ai refermé le livre avec au final l’impression d’une sophistication… complètement inefficace.
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