Un fléau si rentable: Vérités et mensonges sur l'huile de palme de Emmanuelle Grundmann

Un fléau si rentable: Vérités et mensonges sur l'huile de palme de Emmanuelle Grundmann

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Critiqué par Monoeuilcritique, le 10 septembre 2013 (Inscrit le 10 septembre 2013, 54 ans)
La note : 2 étoiles
Moyenne des notes : 6 étoiles (basée sur 2 avis)
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Grundmann : la foi avant les faits

Le dernier livre d’Emmanuelle Grundmann n’est pas un simple pamphlet. Il n’est pas dénué de recherche, ni de sources. Pour une écologiste, comme l’auteur, cela semble suffisant pour se permettre de parler d’une enquête « documentée, rigoureuse et impartiale ». Toutefois, dès le titre, particulièrement racoleur, « Un fléau si rentable : Vérités et mensonges sur l’huile de palme » on est amené à douter. Et cela se confirme bien vite, dès l’introduction au cours de laquelle l’auteur fait un amalgame incroyable en posant cette question : « L’huile de palme serait-elle le tabac des années 2010 ? ». Le ton est donné et l’ambition non dissimulée.

Journaliste scientifique, mais aussi primatologue, Emmanuelle Grundmann est une habituée de la déforestation (Ces forêts qu'on assassine, 2007, Calmann-Lévy). Elle sort néanmoins ici de sa zone de confort pour s’intéresser aux débats nutritionnels sur l’huile de palme.
En lisant l’auteur et en regardant son parcours, on ne peut que penser qu’elle croit en ce qu’elle dit et écrit. Mais n’est-elle pas intoxiquée par des lobbyistes ? Cela ne serait pas la première fois que des associations et des journalistes furent intoxiqués, rappelons le précédent fameux du poisson chinois Panga1.
Malheureusement pour elle, contre-vérités, approximations et exagérations sont souvent au rendez-vous. L’auteur est vraisemblablement de bonne foi dans la démonstration qu’elle entend donner du « fléau » que représente selon elle l’huile de palme. Mais la foi ne suffit pas.

Inventaire…

Approximations et confusions sur le bon et mauvais gras

Depuis des décennies, les spécialistes de la santé s’intéressent à la question de l’obésité et en particulier à l’un de ses facteurs : le gras. L’OMS souligne que deux types de gras concourent à l’augmentation du taux de cholestérol, qui peut à son tour contribuer aux maladies cardiovasculaires :
les acides gras saturés (AGS), contenus naturellement dans l’huile de palme (à hauteur de 50%), le beurre (à 65%), la graisse de coco (à 85%)… les acides gras trans (AGT), obtenus par hydrogénation d’huile insaturée (soja, colza, tournesol...) dans le but de transformer les acides gras insaturés (AGI) en AGS.
Si Grundmann laisse penser que l’huile de palme est hydrogénée (p37), elle se contredit par la suite, fort heureusement, pour rectifier que ce sont bien les huiles insaturées qu’on transforme afin d’obtenir les mêmes qualités que celles des AGS (relative solidité à la chaleur et conservation) (p91) 2. Or, les AGS sont connus pour faire augmenter le taux de cholestérol globalement. En effet, ils accroissent le « mauvais » (LDL, qui dépose le cholestérol dans les artères), comme le « bon » (HDL, qui récupère le surplus pour éviter la formation de plaques graisseuses).

Dans le cas de l’huile en question, sans être une situation idéale, il y a un équilibre. Et ce n’est pas le cas avec les AGT, qui font également augmenter le « mauvais », mais ont un effet inverse sur le « bon »3 et provoque sa diminution. C’est une particularité, qui a incité des pays (comme le Danemark) à les interdire. L’OMS a par ailleurs souligné ce succès4.

Alors, lorsque l’auteur pose la question « Vaut-il mieux donc consommer des huiles végétales riches en acides gras saturés telles que l’huile de palme ou de coco, plutôt que des huiles hydrogénées et riches en acides gras trans ? » (p101) il est impensable de lire une réponse alambiquée où l’auteur fait un amalgame douteux entre les deux types de gras (« remplacer un mal par un autre mal » (p102)).
C’est une occasion (volontairement ?) manquée d’expliquer objectivement en quoi les AGS de l’huile de palme ont permis de remplacer les AGT des margarines, qui en contenaient jusqu’à 20 % il y a encore quelques années5.
De même, aucune mention n’est faite quant aux objectives qualités des AGT. Loin de ne servir qu’à engraisser nos enfants, une de leur propriété est la « solidité », essentielle pour de nombreux aliments. Qui voudrait d’un biscuit qui graisse les mains ?
On remarquera d’ailleurs que l’auteur est de mauvaise foi lorsqu’elle propose de remplacer l’huile de palme, par du beurre de cacao (p91), sans indiquer qu’il contient entre 60 et 65% d’AGS. Ce manquement est d’autant plus étonnant qu’elle liste quelques pages plus tôt la part d’AGS dans 12 produits (p87)6.
Nous ne sommes désormais plus loin du « healthwashing » des industriels qui remplacent l’huile de palme par un mélange d’huile de tournesol (13% d’AGS) et d’huile de coco/coprah (87%).

L’Huile de palme abusivement désignée comme responsable de l’obésité mondiale

Dans cette partie, le livre développe sur une quinzaine de pages les principaux facteurs de l’obésité : excès manifeste de gras ou de sucre dans la population. De façon étonnante et contrairement au message marquant des publicités « manger bouger », elle ne liste pas le sel.7
Evidemment, sans originalité, elle réaffiche tous les classiques : les menu XXL du MacDo ou ses portions de frites (une portion de frites en 1960 = 200 calories, aujourd’hui 610), les distributeurs de soda dans les écoles, les prédispositions génétiques, la sédentarisation, l’environnement familial, le marketing etc.
Tout y passe… sauf la réponse qu’on souhaiterait à la question : qu’elle est la responsabilité de l’huile végétale dans cette épidémie ?
Si le chapitre se conclut sur le fait que la consommation d’huile de palme en France est de 5,5g/jour (p120), cela ne permet pas de vraiment juger l’ampleur des dégâts.
Dans une émission sur France Inter8 début septembre 2013, elle apporte quelques éléments de réponse : « quand on regarde la consommation d’acides gras, la majorité sont ceux qui sont issus de l’huile de palme ».
Au-delà du fait qu’elle aurait dû préciser qu’elle parlait d’AGS et non de l’ensemble des acides gras, le terme « majorité » semble pour le moins abusif.
De façon très simple, si on considère qu’un Français consomme (en arrondissant au supérieur) 6g/jour d’huile de palme, il consomme donc 3g/jour d’AGS (l’huile de palme étant composée de 50% d’AGS). L’information omise est la suivante : le Français adulte moyen consomme 32g/j d’AGS9. Il s’agit donc d’un rapport 1/10. Est-il honnête de parler de « majorité » pour 10% ou de ne pas le mentionner dans ce « livre enquête » ?

La solution de l’étiquetage des huiles végétales

Pour simplifier les étiquettes déjà bien complexes, les industriels n’ont jamais précisé les types d’huiles végétales composant leurs produits.
Mais est-ce vraiment utile de le préciser ? Car au final un AGS d’huile de palme vaut un AGS de soja ou de beurre de cacao. La solution serait donc d’obliger l’affichage du détail des AGS, une information déjà souvent présente.
Lorsqu’elle évoque le cas de la pâte à tartiner sans huile de palme de Casino (p77), elle pourrait également remarquer qu’avec ses 545kcal10 et 6,1g d’AGS, elle fait certes légèrement mieux que le Nutella (543kcl et 10,9g d’AGS)11, mais moins bien que d’autres pâtes à tartiner à l’huile de palme (527kcal et 5,7g d’AGS12).

Le poncif de l’« esclavage moderne », là aussi, abusivement utilisé

Il est primordial, lorsqu’on rédige un « livre impartial », d’être capable de prendre du recul et d’utiliser un vocabulaire neutre.
Selon le livre, les conditions de production de l’huile de palme permettent de dire des employés qu’ils sont des « esclaves modernes ». Les salaires, écrit l’auteur, sont le plus souvent ridiculement bas et indexés sur le rendement.
On peut initialement se demander si ce n’est malheureusement pas le lot des employés pour de nombreuses agricultures dans les pays en développement (soja13, banane14, hévéa15 etc.) et l’auteur le déclare à demi-mots en soulignant que « la situation économique est telle que ces emplois, malgré leurs conditions scandaleuses, sont très recherchés. La demande est bien supérieure à l’offre » (p188).
Par ailleurs, elle fait remarquer qu’un tiers de la production est le fait de petites structures familiales (p56). C’est une part non négligeable, permise par la faible mécanisation, qui donne la possibilité de créer « 30 fois plus d’emplois par unité de surface que d’autres cultures telles que le soja » (p88).
Enfin, l’auteur cite l’expérience de cet agriculteur de coton et de bananes, dont la « dépendance vis-à-vis des entreprises chimiques, où tous les bénéfices de l’entreprise étaient réinjectés dans l’achat d’engrais et de pesticides. » et qui prit « la décision de se tourner vers le palmier à l’huile tout en essayant de se libérer de la dépendance chimique » (p227).

Le principal responsable de la déforestation ?

Les articles de presse et les communiqués de certains industriels adeptes du Greenwashing font porter à la production de l’huile de palme la responsabilité de la déforestation dans le monde, qui est une catastrophe pour la biodiversité et le réchauffement climatique. Ce livre ne déroge pas à ce principe.
La perception de la responsabilité de l’huile de palme pour les dégâts environnementaux cache, au niveau mondial, d’autres types d’agriculture « à problème ». On pensera en particulier au soja en Amazonie16, mais aussi à l’exploitation forestière des bois exotiques puisque 40 à 60% du bois Indonésien est produit illégalement.

L’auteur avoue à ce sujet que « l’huile de palme pourrait devenir une ressource lipidique durable si elle était par exemple cultivée sur des terres dégradées » (p146). Mais « s’implanter sur une zone de forêt amène un double bénéfice puisque les grumes d’essences les plus précieuses peuvent être prélevées puis vendues, ainsi que des bois moins rares mais parfaits pour l’industrie de la pâte à papier en pleine expansion » (p147).
Dès lors, qui est le fautif ? Celui qui exploite le bois ou celui qui s’installe après ces exploitations ? Et si les palmiers à huile ne s’y installaient pas ? Avant le palmier à huile, ne lisions-nous pas des arguments similaires au sujet de l’hévéa ?
On laissera à l’auteur l’évidence que la déforestation des forêts primaires est un sujet sérieux, à prendre en compte dans le combat contre le réchauffement climatique. On lui retirera par contre son sérieux, lorsqu’elle écrit « En 2010, la déforestation pour de nouvelles plantations de palmiers a résulté dans l’émission de 140M de tonnes de CO2. Des taux records qui ont placé l’Indonésie dans le peloton de tête des pays émetteurs de gaz à effet de serre, derrière les Etats-Unis et la Chine » (p143)17. Aurait-t-elle confondu l’Inde et l’Indonésie ?

Et quand bien même, comment sommes-nous légitime pour donner des leçons, alors qu’un Français produit 5,5 tonnes de CO2/habitant ? Par comparaison, un Indonésien produit 1,7 tonne, soit plus de 3 fois moins18.

Ce livre dans quel but ?

Finalement, quel est le but de ce livre ? Est-ce vraiment de faire une enquête impartiale ou plutôt de marteler une vérité écologique révélée ? Comme une tentative de justifier à tout prix la « cause ».
La palme de l’énormité de l’ouvrage est décernée à cette affirmation : « Aujourd’hui, le palmier à huile représente un dixième des terres cultivées de la planète » (p156). C’est à se demander si quelqu’un a relu l’ouvrage.
Nul besoin d’aller bien loin pour retrouver des chiffres fiables, l’ONU ayant mis en place un site de statistiques bien pratique (FAO Stats19). On y découvre ainsi que parmi toutes les cultures, seules 4 dépassent 3% : le blé (14%), le maïs (12%), le riz (11%) et le soja (4%). L’huile de palme représente ni plus, ni moins que 1% des terres cultivés.
Face à la foi militante, les faits sont têtus !


1 http://ecologie.blog.lemonde.fr/2013/08/…
2 L’huile de palme hydrogénée existe en tant qu’agrocarburant
3 http://anses.fr/fr/content/…
4 http://who.int/bulletin/releases/…
5 http://lanutrition.fr/bien-dans-son-assiette/…
6 48,9% huile de palme, beurre 63%, huile de coco 87%, huile d’arachide 20%, huile de colza 5%, huile de noix 9%, huile d’olive 17,5%, l’huile de tournesol 13%, le suif 45%, l’huile de palmiste 82,4%
7 http://who.int/dietphysicalactivity/childhood/…
8 http://franceinter.fr/emission-la-tete-au-carre-ve…
9 http://agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/…
10 http://fr.openfoodfacts.org/produit/322247590919/…
11 http://fr.openfoodfacts.org/produit/3017620425400/…
12 http://fr.openfoodfacts.org/produit/26029115/…
13 http://base.d-p-h.info/fr/fiches/…
14 http://www.camer.be/index1.php?art=25115&rub=11:1
15 http://ailleurs-quelque-part.org/article-5628597.h…
16 http://wwf.panda.org/about_our_earth/…
17 http://www.iea.org/co2highlights/co2highlights.pdf
18 cf page 99 http://www.iea.org/co2highlights/co2highlights.pdf
19 http://faostat3.fao.org

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Les éditions

  • Un fléau si rentable [Texte imprimé], vérités et mensonges sur l'huile de palme Emmanuelle Grundmann
    de Grundmann, Emmanuelle
    Calmann-Lévy
    ISBN : 9782702144459 ; 16,90 € ; 28/08/2013 ; 264 p. ; Broché
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Critique du livre ou de l'écologie ?

9 étoiles

Critique de Tictoc (, Inscrit le 11 septembre 2013, 53 ans) - 11 septembre 2013

Le livre aborde de nombreux sujets qu'il serait bon de ne pas oublier.

Certes une erreur sur les 10% de surfaces utilisée par le palmier à huile s'est glissée.

D'un point de vue de la santé, l'auteur signale bien à la P103 que l'huile de palme fait partie d'un problème global. Il est assez incroyable de voir que ses propos nuancés et argumentés sont repris à tort comme stigmatisants. Son chapitre sur la santé met bien en avant le système de la malbouffe. De plus quand elle parle du beurre de cacao (p91) comme remplaçant possible, elle en parle d'un point de vue technique dans le chapitre "la palme du désir". Il serait honnête de ne pas mélanger les chapitres. Et quand on compare la fameuse pâte à tartiner noisette elle a 40% d'AGS en moins que l'original (ce n'est pas un mieux modeste) ; et le contre exemple quant à lui on ne sait pas s'il est composé d'huile de palme ! Justement car sa mention n'est pas obligatoire. Tout comme les mentions d'AGS ne le sont pas sur les étiquettes. En cela le livre de Mme Grundmann est salutaire.

Une lecture non partisane montre bien que l'auteure parle des bons et des mauvais côtés de l'huile de palme. Ce ne sont pas des contradictions, mais des faits qui sont donnés au lecteur. En cela le livre est bien plus que la caricature qu'on peut faire avec son titre. Le bilan est pour elle négatif, d'où le titre.

Il ne faut pas oublier là où veut en venir l'auteur : la déforestation inutile dont le palmier à huile est la cause (p. 149). En cela elle donne un certain nombre de pistes.

Enfin comment oublier la fin de l'ouvrage p225; RSPO, palme en Colombie tout est passé en revue. Elle démonte bien son point de vue qui est tout sauf anti-huile de palme, mais que sa culture actuelle force à la méfiance. Et parce que la culture de la palme peut se faire de manière correcte, elle ne la condamne pas comme culture. En cela elle est très responsable.

A aucun moment elle ne dit que l'huile de palme est une cause principale de déforestation dans le monde, mais elle parle bien du cas de l’Indonésie et de la Malaisie. (voir
http://plosone.org/article/… -
http://vivresanshuiledepalme.blogspot.com/2013/01/…)

Malgré quelques coquilles Emmanuelle Grundmann nous livre un tour d’horizon non partisan et argumenté. Sa lecture par des défenseurs de l'huile de palme y verront des contradictions de par l'objectivité de ce livre.

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