La lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson
Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone
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"L'amour le plus ardent est l'amour impossible"
A Kolkustadir, le 29 août 1997, Bjarni Gislason, qui sent sa fin proche (il flirte avec les quatre-vingt-dix ans), écrit une longue lettre à Helga, la femme qu’il n’a cessé de désirer toute sa vie mais à laquelle il a dû renoncer.
Et il revisite leur histoire, le qu’en dira-t-on d’abord, alors qu’il ne s’est encore rien passé, mais qui laisse presque déjà présager ce qui semblait finalement être une espèce d’évidence…
Rapidement le désir monte entre eux, et c’est Helga, la première, qui dévoile le sien :
« Je palpais les brebis pour évaluer l’épaisseur de leur chair comme il incombe au contrôleur des provisions de fourrage. J’enfonçai les doigts dans la toison aux longs poil, tâtai le gras de la poitrine et sans trouver le moindre ceux, le long des côtes. Je m’attaquai ensuite au dos et palpai l’échine, pour voir si les vertèbres faisaient saillie. Puis, suivant des doigts le cartilage costal, je remontais l’épine dorsale pour redescendre en frôlant les protubérances transverses. Sans me quitter des yeux, tu frottais le bout de tes seins – ces beaux cônes de pin sylvestre- contre la barre de la mangeoire. Empoignant les cuisses fournies et musclées, je les palpai jusqu’au jarret afin de m’assurer que les bêtes étaient grasses et bien nourries, écartant ainsi le moindre doute qu’elles ne puissent passer l’hiver. A ce moment, penchée en avant de réelle sorte qu’on voyait juste un de tes seins, tu as dit tout tranquillement que j’étais un expert palpeur. Tu m’as demandé si je savais m’y prendre avec autant de douceur avec les femmes.[…]
Je vis la rougeur envahir tes joues. Ce n’était pas la honte, mais le désir pur et simple- c’était la chaleur du désir. »
Mais Bjerni tient bon. Il ne craque pas. Il tente de s’apaiser dans l’eau glacée de la vallée, et vit ses fantasmes dans la nature, avec laquelle Helga se confond :
« Il n’y a sûrement que moi par ici qui sache où se trouvent les Mamelons d’Helga, et, à ma mort, j’emporterai ce lieu-dit dans la tombe. Ces éminences, sur le versant sud de la butte de Göngukleif, sont comme le moulage terrestre de tes seins, en plus grand bien sûr, mais leur forme –cette pente douce en dessus et le renflement abrupt en dessous- a dû être modelée sur ta gorge par les mains mêmes du Créateur. Combien de fois me suis-je couché là, sur les Mamelons d’Helga, dans la brise solaire du sud-ouest, la tête entre tes seins, avec l’impression d’être au creux de tes bras ».
Car Helga est (mal) mariée, a deux enfants, et Bjarni appréhende de blesser Unnur, son épouse fragile qui ne le comble pas mais pour qui il éprouve une profonde tendresse.
Mais, fatalement, il succombe malgré tout à cette femme aux seins lourds, aux chairs opulentes, – « Alors un barrage s’est rompu »- lors d’un ébat assez bestial qui lui fait connaître une extase qu’il ne retrouvera jamais plus ailleurs.
Après une période de grand bonheur, (« La saison des amours de ma vie ») arrive, fatalement aussi, le douloureux moment du choix et de l’émergence du problème, toujours insoluble, de l’amour impossible.
Bjarni ne peut renoncer à ce qu’il est, à être autre chose qu’un éleveur de mouton et un contrôleur des fourrages, il ne conçoit pas de vivre cet amour hors du cadre auquel il est indissociablement lié, dans cette Islande rurale où palper une brebis ou encore la mener au bélier contribue à éveiller les sens, où le foin d'une grange est une invitation à l’amour, où les courbes de la nature évoquent celles de la femme aimée.
Thème ô combien cher à la littérature, l’amour impossible, celui où on ne parvient pas à trouver de solution parce qu’aucune issue ne se profile, est abordé ici sans que rien ne soit convenu.
Il s’inscrit dans un lieu, à une époque, à travers le tempérament tout personnel de Bjarni.
L’histoire qu’il vit avec Helga est absolument unique, bien que des milliers d’hommes et de femmes aient vécu la même chose.
Elle est là, la grande réussite de ce livre qu’on peut mettre dans la liste de ceux qui marquent fortement.
L’amour inconditionnel que Bjarni porte à cette femme (mais également à un pays, à un mode de vie, à une époque désormais révolue) dont il a eu « soif » tout au long de son existence, est à la fois plein d’animalité- certains passages sont extrêmement crus-, plein de poésie –Bjarni cite souvent les vieux poètes islandais et les héros ou héroïnes de saga-, plein de contradictions et plein de passion, de douceur et de dureté.
C’est une cruelle mais magnifique histoire entre deux êtres que la vie a séparés. Déchirante mais en aucun cas larmoyante.
Que serait-il advenu d’Helga et de Bjarni s’ils avaient choisi une trajectoire différente ? C’est ce que le lecteur ne manquera pas de se demander, sans trouver de réponse.
La seule chose dont il puisse être sûr, c’est que si ça avait été le cas, jamais Bjarni n’aurait écrit cette superbe lettre.
Alors le lecteur est heureux... tout en étant immensément triste. Comme Bjarni l'a été.
Les éditions
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La lettre à Helga
de Birgisson, Bergsveinn Eyjólfsson, Catherine (Traducteur)
Zulma
ISBN : 9782843046469 ; 4,77 € ; 22/08/2013 ; 131 p. ; Broché -
Lettre à Helga (La) [Texte imprimé]
de Birgisson, Bergsveinn
Points
ISBN : 9782757840795 ; 6,50 € ; 19/02/2015 ; 1 vol. (144 p.) p. ; Poche
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Les critiques éclairs (15)
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Avant la grande nuit
Critique de Monocle (tournai, Inscrit le 19 février 2010, 64 ans) - 28 octobre 2018
Un texte brut qui parle d'une vie rude et simple. L'Islande a ses valeurs et ses codes, ses gens y sont durs à la tâche.
Dans ce livre il y a une espèce de candeur et de simplicité qui contredit l'image que nous nous faisons de ces "zombies" du grand froid, qui s'embrassent gaiement alors que le thermomètre frôle l'implosion et se jettent dans ces bains de glaçons en rigolant !
Lettre simple qui relate une vie tout aussi simple, ses erreurs et ses choix mal négociés.
La destinataire, Helga, est déjà dans l'autre monde donc on ne peut accorder aucun but de rédemption.
Une lettre, c'est déjà mieux que rien.
"J'ai deux amours..."
Critique de Pieronnelle (Dans le nord et le sud...Belgique/France, Inscrite le 7 mai 2010, 76 ans) - 10 avril 2016
La puissance de ce récit vient de la fragilité avouée de cet homme ; c’est un point de vue masculin assez rare qui m’a beaucoup touchée. Sans cette lettre cet homme aurait-il pu faire cet aveu sur lui-même avec autant de lucidité ? Sa lecture donnera la réponse à cette question jusqu’au dernier mot de la fin.
Il y a bien sûr Helga, auprès de laquelle il a désiré revenir par écrit alors qu’il est “un vieillard impossible qui prend plaisir à raviver de vieilles plaies”.
“Bientôt ma belle, j’embarquerai pour le long voyage qui nous attend tous. Et c’est bien connu que l’on essaie d’alléger son fardeau avant de se mettre en route pour une telle expédition”.
Mais il y a surtout la nature, celle de cette Islande de la fin d’après guerre, avec ses montagnes, ses fjords, ses fermiers et surtout ses moutons avec leurs si belles toisons...
L’amour de cette nature, très sensuel, transpire à toutes les pages . C’est la grande rivale de Helga, celle qui a fait balancer le fermier de son côté, celle qui lui a fait trahir, abandonner son bonheur d’aimer Helga.
J’ai senti cet amour beaucoup plus profond que celui pour la femme car enraciné dans l’histoire, les générations, les légendes, les superstitions encore très fortes dans ce pays et dont il est fait référence tout au long du livre ; les grandes sagas du nord, les poésies qu’on reprend sans les avoir forcément apprises à l’école et qui rythment la vie de tous les jours apportant une sorte de philosophie simple et tendre , assez unique car perpétuée par des hommes rudes unis par le corps et l’esprit à cette nature d’exception.
L’auteur de la lettre, qui est parfaitement écrite, possède manifestement une certaine culture ; c'est d'ailleurs un homme actif dans ce domaine et celui du social puisqu'il s'occupe de bibliothèques et du Mouvement coopératif islandais ; d’autres transmettent une tradition orale ; les deux leur permettent de discuter entre eux pendant les longues journées d’hiver et réfléchir sur la question du choix :
“Histoire de dire que l’existence se ramenait à devoir toujours choisir comme sur un menu. Les discussions étaient de cet ordre. Il s’agissait là d’hommes qui avaient eux-mêmes forgé le sens qu’ils donnaient à leur vie ; ils avaient l’intelligence dont la nature les avait dotés car aucune école ne leur avait inculqué comment penser. Ils pensaient tout seuls”.
Cette phrase résonne encore en moi car je la trouve énormément chargée de sens dans la société dans laquelle on vit actuellement où le rapport à la nature et à l’effort qu’il faut faire pour la protéger ou la dompter semblent avoir été oubliés...
Il y avait-il réellement un choix entre les deux amours ?
Helga n'a pas eu le courage d'affronter les ragots et elle a choisi de renoncer à son amour. Comme lui avait le sentiment que vivre en ville détruirait le sien...
C’est l’amour humain qui a détruit cet homme à un certain moment, mais c’est aussi celui qui lui a permis de vivre les bonheurs et tourments de ces deux passions. Sans Helga aurait-il réalisé la puissance de son amour pour sa ferme, ses moutons, la beauté de la nature habitée de récits et légendes qui font frémir :
“Je jetai un coup d’oeil au Récifs des enfants où des aigles femelles dévoraient jadis en toute tranquillité les bébés sur lesquels s’étaient refermées leurs serres dans les prés des fermes, tandis que les mères hurlaient sur la grève et que le ressac empêchait leur bateau de sortir. Qui n’a entendu les pleurs déchirants de ces enfants s’élever des écueils par temps de brouillards et de vent du nord ?”...
En fait il n’a jamais choisi, puisqu’il a été heureux et malheureux, comme Helga sans doute... Il n’y avait pas à mon avis de choix possible et on sait à la fin, très émouvante, pourquoi cette lettre a été écrite...
Une bien belle lecture...
Une lettre d’amour, vraiment ?
Critique de Ludmilla (Chaville, Inscrite le 21 octobre 2007, 69 ans) - 7 avril 2016
L’amour de la campagne et des moutons, certes, mais pour Helga Bjarni a plus du désir que de l’amour, me semble-t-il.
Très belle écriture qui compense – partiellement- le rejet que j’ai éprouvé pour le comportement de Barni vis-à-vis d’Helga.
Attention, spoilers dans ce qui suit.
Je peux comprendre le premier refus de Bjarni : « Quitter la campagne où mes ancêtres avaient vécu depuis un millénaire, pour travailler dans une ville où l’on ne voyait jamais l’aboutissement du travail de ses mains, en métayer ou serf des autres », qui refuse donc ce que propose Helga : divorcer et partir à la ville.
De là à prétendre que ce n’est pas lui qui a choisi : « Il n’a jamais été question de choix pour moi. C’est à toi qu’il appartenait. Et tu n’as pas voulu de moi »...
Plus tard, Helga divorce d’avec Hallgrimur. Et là, que fait Bjarni? Il imagine qu’Helga va s’installer à la ville et qu’il pourra la retrouver– tout en restant marié à Unnur - sans même en parler avec Helga. Un beau jour, après le déménagement d’Helga, Bjarni va se présenter à sa porte, comme si Helga n’attendait que LUI… Franchement !
Encore plus tard, Helga lui écrira qu’elle voulait qu’il vienne, qu’elle lui avait pardonné. Et là, que fait Bjarni ? Il « garde [la lettre] contre sa poitrine » et se garde bien d’y répondre !
D’ailleurs, Bjarni ne prend aucun risque avec cette « lettre à Helga », qu’il écrit à la mort de sa femme Unnur : « Bien que tu sois morte et ne puisse la lire, ça m’aura comme réconforté de griffonner ces lignes »
Une forme de roman épistolaire.
Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 18 février 2016
Bjarni revient sur leur histoire. Cette lettre est un long plaidoyer pro domo pour tenter de se justifier auprès d’Helga. C’est qu’il y a eu occasion, possibilité, de donner un tournant commun à leurs vies pour qu’elles se rejoignent, se confondent. Il y avait un tournant qu’ils auraient pu prendre ensemble mais Bjarni est allé tout droit. Il est resté sur les rails de son mariage et leur destin a divergé.
Pour autant Bjarni n’a jamais oublié Helga et cette lettre en est une preuve magnifique.
Le contexte de ces deux vies est le milieu le plus rural d’une Islande profonde. Où l’on élève des moutons pour survivre du moins mal possible. L’essentiel se déroule sur l’après-guerre, lorsque Bjarni et Helga sont encore jeunes - disons en état de procréer - même s’il est raconté beaucoup plus tard puisque Bjarni est nonagénaire au moment de l’écriture de la lettre.
Bjarni et Helga ont été amants un court espace de temps. Suffisamment néanmoins pour qu’Helga conçoive une fille, de toute évidence fille de Bjarni. Mais voilà, Bjarni était – mal – marié. Mais marié néanmoins. Et Helga encore plus mal mariée. Et Bjarni va refuser de quitter sa femme pour partir avec Helga et sa future fille. Il vivra la jeunesse de celle-ci sans pouvoir réellement communiquer avec elle, observant de loin Helga et sa fille, se consumant dans le regret.
C’est poignant tout ceci et décrit fort bien en quoi les « liens » du mariage peuvent s’avérer au sens propres de véritables liens, au sens carcéral du terme.
De beaux aperçus sur la vie rude des éleveurs de nulle part en Islande dans la seconde moitié du XXème siècle et sur une nature islandaise qui nous est largement étrangère. La nature, oui. Le dilemme qui traverse Bjarni et Helga, non. Il se connait partout. Et Bergsveinn Birgisson en parle très bien.
Passer à côté de sa vie
Critique de Aaro-Benjamin G. (Montréal, Inscrit le 11 décembre 2003, 55 ans) - 24 janvier 2016
J’ai beaucoup aimé la sincérité du personnage principal. En même temps, il m’est apparu dissonant qu’un paysan d’une contrée isolée d’Islande puisse avoir une plume aussi belle…
Habiter avec une femme et en aimer une autre
Critique de Dirlandaise (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 69 ans) - 23 janvier 2016
Audio
Critique de Koudoux (SART, Inscrite le 3 septembre 2009, 60 ans) - 1 janvier 2016
Lecture faite par Rufus.
Cela donne très bien, je pense avoir mieux apprécié que si je l'avais lu moi même.
Une expérience à faire!
Testament amoureux
Critique de Sundernono (Nice, Inscrit le 21 février 2011, 41 ans) - 3 juillet 2015
Certes Bjarni Gislason nous parle de cet amour là, avec ses mots à lui, de cette Helga qui hante encore les pensées d’un homme qui finalement aime tout autant, si ce n’est plus, sa terre.
Quand je dis que je m’attendais à de la poésie, à de l’émotion, je suis sévère en disant cela car ce petit roman en comporte, mais je n’ai tout simplement pas été touché. Du coup la lettre à Helga devient moins intéressante. Il m’a fallu presque deux mois pour achever une lecture de 125 pages là où d’habitude il ne me faut que quelques jours, voire une seule journée si le jeu en vaut la chandelle.
Assurément une déception.
Testament d'amour
Critique de Killing79 (Chamalieres, Inscrit le 28 octobre 2010, 45 ans) - 11 mai 2015
Ce texte est aussi un prétexte pour nous narrer la campagne islandaise. On y découvre les paysages atypiques de la région et les comportements caractéristiques de ces milieux retirés. Une fois le décor et le contexte posés, on comprend alors les raisons profondes qui ont poussé Bjarni à agir comme il l’a fait. Sa lettre ressemble finalement plus un mot d’excuse qu’à un véritable regret tant les circonstances ne semblaient propices à une concrétisation de cette relation.
La plume de Bergsveinn Birgisson est très belle. Elle est à la fois précise et délicate. Elle fait ressortir toute la passion d’hier et toute la nostalgie d’aujourd’hui. J’ai passé un moment chargé d’émotion et de tendresse. Courte mais efficace, voilà comment je définirais cette belle déclaration d’amour en forme d’épitaphe.
Une perle islandaise
Critique de Laugo2 (Paris, Inscrit le 30 octobre 2014, 58 ans) - 2 novembre 2014
Pour ce roman, " La lettre à Helga", le BB local -dont on ne sait pas si il a un attachement particulier avec les animaux, oublie quelque peu son sujet de prédilection, à savoir la mythologie nordique.
Ce livre est juste une lettre, une longue lettre qui est écrite par un vieil homme de 90 ans, Bjarni Gislason. Une lettre qui retrace sa vie, une lettre adressée à Helga, l'amour de sa vie, une lettre trop tardive et inutile aussi...mais si belle, si émouvante et c'est peut-être parce qu'elle est inutile qu'elle est si belle. Il est rare que je sois atteint par autant de sincérité dans une fiction. Touché, presque coulé sous la puissance et la beauté du discours sentimental, celui-ci juxtaposé à la description de la rustique vie d'un fermier islandais et d'une nature sauvage. Pour finir avec ce panégyrique élogieux, voici une lettre que chaque homme amoureux devrait pouvoir écrire.
Toute sa vie Bjarni Gislason a élevé brebis et moutons dans la campagne islandaise dure à vivre. Il y a vécu avec sa femme Unnur, une femme malade qu'il a soutenue tout le long de sa vie. Helga, elle, habite la ferme juste en face celle de Bjarni; elle vit avec un dénommé Halgrimur, un homme rustre passionné par les chevaux et qu'elle suspecte d'aimer encore plus les pouliches de toute l’ile...
Bjarni le vieil homme plonge dans ses souvenirs, raconte et explique comment il est devenu amoureux d'Helga. Un simple hasard. C'est lors d'une recherche de moutons que les gens les ont vus ensemble...et qu'ils ont commencé à jaser. " J'en ai eu gros le coeur quand la médisance a fait son chemin dans la contrée, ou plutôt, comment dire, la médisance a gonflé sa grosse bulle autour de mon coeur." Bjarni alors ne contrôle déjà plus, l'amour est en lui:" On eût dit qu'une grosse bestiole s'agitait en moi, s'évertuant à imbiber de suc gastrique l'incident suave qui était sur toutes les lèvres et que je n'avais pas eu la chance de vivre, bien qu'il me fût imputé."
Les visites de Bjarni à la ferme voisine sont fréquentes, (de plus en plus fréquentes), Bjarni en plus de son travail sur sa propre terre, occupe l'emploi de contrôleur de fourrage (!) pour la coopérative; il procure des remèdes et du vermifuge pour les animaux d'Helga, trop seule pour gérer la ferme. Bjarni vient également mener son bélier Kutur aux brebis d'Helga. Tout un symbole. Bjarni découvre alors le corps d'Helga. Le ver est dans le fruit. " Tu mis à vif en moi une attirance qui ne fit que s'exacerber et qui pouvait se transformer en brasier à tout moment, sous le moindre prétexte. Si je voyais une bosse de terrain rebondie ou une meule bien ronde, leurs courbes se confondaient dans ma tête avec les tiennes, de sorte que ce n'était plus le monde extérieur que je percevais, mais toi seule dans toutes les manifestations du monde." C'est beau, un vieux paysan qui parle d'amour.
Libéré après tout ce temps du poids de l'adultère, Bjarni , le vieux paysan au seuil de sa vie, livre alors ses souvenirs de l'acte charnel avec Helga. "Réputation et respectabilité, je m'en contrefiche. Qu'est-ce qu'on peut en avoir à foutre quand tout est fini? Tout bien considéré, il faut que j'avoue n'avoir jamais connu d'extase terrestre comparable à nos rapports, là, dans la grange, en ce jour de printemps, éternel dans mon souvenir. Lorsque je pus enfin pétrir tes formes généreuses et me noyer dans la plénitude de tes lèvres en cette brève et bienheureuse saison des amours de ma vie. Ce qui devait arriver arriva..." La suite est très animale, les phrases sont magnifiques, brûlantes d'un amour amour sauvage et brute, pleines de rusticité.
L'auteur s'attache également à narrer la vie du vieil homme qui se remémore quelques moments de sa vie de paysan. Des phrases décrivant la nature environnante offrent au lecteur de superbes passages; on y voit la mer tourmentée et le fjord, on y sent le vent de la tempête sur la colline, on voit les moutons brouter ou se serrer dans les enclos, on découvre la vie des hommes sur cette terre hostile qu'ils tentent d'apprivoiser et qu'ils ne peuvent quitter.
Mais l'amour est toujours en toile de fond. Bjarni revient toujours vers le souvenir d'Helga, et même parfois avec ironie. " Te voir nue dans les rayons de soleil était revigorant comme la vision d'une fleur sur un escarpement rocheux. Je ne connais rien qui puisse égaler la beauté de ce spectacle. La seule chose qui me vienne à l'esprit est l'arrivée de mon tracteur Farnall. (...) Tu vois comme ma pensée rase les mottes, chère Helga...".
Inutile d'en dévoiler plus en ce qui concerne le récit, juste dire qu'un exceptionnel roman l'est aussi par son dénouement. Ce livre renvoie aux événements que l'on vit, aux choix que l'on fait pour tout dans sa vie et l'amour n'y échappe pas.
Bjarni, à l'heure du bilan, délivre sa confession et ses mots avec une totale sincérité. L'auteur lui fait délivrer son message avec une poésie brute, animale. C'est magnifique d'émotion et de "littérature".
Voilà pour moi une bien belle découverte et je crois que sans un conseil avisé, je ne me serais jamais lancé dans ce texte. Un livre qu'on aurait aimé écrire et qu'on se contentera d'acheter pour le posséder.
Et Bjarni de terminer par ces mots.
" Je le vois bien à présent, dans la clarté du dénouement, que je t'aime moi aussi."
Ce livre existe en livre audio, lu par Rufus...sans doute très bien.
http://audiolib.fr/livre-audio/…
Voyage poétique
Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 66 ans) - 16 avril 2014
Effectivement, beaucoup de poésie, de tendresse dans cette lettre que Bjarni écrit à Helga, l'amour de sa vie alors que son épouse Unnur vient de mourir. Lui-même, attend "son tour" dans une maison de retraite et ce sont les vacances qu'il passe chez son neveu qui feront remonter en lui tous les souvenirs de son unique histoire d'amour et de sa vie de contrôleur de fourrage dans les terres inhospitalières d'Islande.
"Même si l'on dit souvent que c'est dur de vivre là-haut, dans le nord, en hiver, c'est encore bien pire d'y mourir."
C'est très beau même s'il n'est parfois pas évident de partager les émois du héros.
"Mais moi, je dépendais de toi. Je l'ai compris, là, à te voir dressée dans la lumière de la lucarne blanche comme la femelle du saumon tout juste arrivée sur les hauts-fonds, embaumant l'urine et les feuilles de tabac." (L'urine étant la base d'un traitement anti-parasitaire des moutons entre autres utilisations)
On est emporté par le destin pourtant si simple de cet homme magnifié par l'écriture de l'auteur, alliant poésie... et humour avec tant de talent.
"Te voir nue dans les rayons du soleil était revigorant comme la vision d'une fleur sur un escarpement rocheux. Je ne connais rien qui puisse égaler la beauté de ce spectacle. La seule chose qui me vienne à l'esprit est l'arrivée de mon tracteur Farmall."
Un très beau roman, et une très belle conclusion:
"Oui, peut-être ai-je vécu avec l'amour et pas contre lui."
Parce qu'il n'a pas voulu se perdre...
Critique de Nathafi (SAINT-SOUPLET, Inscrite le 20 avril 2011, 57 ans) - 3 mars 2014
On peut juger Bjarni, le trouver bien lâche, car après avoir connu tant d'amour et de volupté, il finit par refuser l'inacceptable pour lui. On peut aussi le trouver égoïste, il aimerait poursuivre son histoire, mais là, sur place, chez lui, pourquoi donc partir ?
Cette longue lettre qu'il écrit à celle qu'il a tant aimée est un aveu qui arrive bien tardivement, mais il lui faut, pour partir en paix, délivrer sa conscience.
C'est une histoire intense, une véritable passion charnelle, violente et dévastatrice, il m'aurait plu de connaître l'état d'esprit d'Helga, qui avait tout planifié pour vivre son amour en toute liberté, et qui n'a pas pu accepter le renoncement de Bjarni ; une sorte de réponse, en somme, à cette lettre qui révèle tous les secrets de son cher amour.
Très belle écriture, beaucoup de poésie, d'images et de métaphores, qui assemblent à merveille le récit de scènes parfois bestiales, qui offrent une véritable ode à la nature que chérit tant cet homme, celle qui a eu raison de son grand amour pour la belle Helga...
"Mieux vaut n'aimer personne"
Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 29 janvier 2014
« La terre où l’on a vu le jour
N’est-elle pas chère à notre cœur ?
Où la lumière est pleine de vie,
Où le petit devient grand. »
Encore une histoire d’amour impossible comme la littérature nous en livre régulièrement, cette fois le héros ne peut pas épouser sa belle qui est déjà mariée et refuse qu’elle divorce pour l’arracher à sa terre, à son milieu, à son histoire. Une belle évocation de l’Islande la plus austère, là où le climat est très rude, la mer très souvent hostile et la terre peu généreuse mais elle est la terre du héros, il l’aime autant qu’il aime la belle Helga. Dans ce texte empreint de l’esprit des sagas islandaises, les esprits, les êtres et les animaux vivent dans une très grande proximité et les rapports entre les humains ne sont pas très éloignés de ceux qu’ils ont avec les animaux. Mais sous ces apparences rustres, les sentiments entre les amoureux n’en sont pas moins tendres et affectueux comme dans toutes les belles histoires d’amour. Et les belles histoires d’amour sont toujours contrariées.
« L’amour le plus ardent
Est l’amour impossible.
Mieux vaut donc n’aimer personne. »
Si le narrateur, l’amoureux, l’auteur de la lettre, évoque avec tant de conviction la nostalgie du temps passé, les traditions, les méthodes agricoles des ancêtres, ce n’est pas pour rester figé dans le temps des sagas mais tout simplement pour dénoncer avec véhémence le manque de respect actuel pour la nature, la malnutrition, la recherche du profit pour le profit, la puérilité qui s’installe au détriment de l’authenticité... Un cri de rassemblement pour réunir tout ceux qui croient encore en l’avenir de la planète, en Islande comme ailleurs. Même si son amour a été déçu, le vieil éleveur pense avoir eu une belle et honnête vie et nous laisse ce message d’espoir avant de rejoindre le pays de ses ancêtres.
Regrets sans amertume excessive
Critique de Isad (, Inscrite le 3 avril 2011, - ans) - 24 novembre 2013
Ce récit court et sans fioriture explique que le devoir et le qu’en dira-t-on prime sur les sentiments personnels quand on n’est pas protégé par l’anonymat des grandes villes ... et la protection sociale qui distend les obligations réciproques d’échanges les uns vis à vis des autres lorsque les conditions sont difficiles. Le style est simple, sans pathos et c’est ce qui en fait la justesse de ton. Il s’agit de l’exposé de ce qui a été sa vie et de ce qu’il pense qu'elle aurait pu être s’il avait fait d’autres choix à certains moments.
IF-1113-4119
L'amour est dans le pré
Critique de Ndeprez (, Inscrit le 22 décembre 2011, 48 ans) - 10 septembre 2013
Voyant ses derniers jours arriver un vieillard écrit une longue lettre à la femme qu'il a toujours aimée et avec laquelle il n'a jamais vécu. Attaché à sa terre et à sa ferme , il a fait le choix de ne pas s'enfuir avec celle qu'il aimait éperdument.
Choix qu'il regrettera toute sa vie... En est-il si sûr ? N'est-ce pas plus facile de regretter quand le retour en arrière est impossible ?Qu'aurait donné leur histoire s'il avait décidé de se donner une chance ? L'amour qu'on rêve est forcément plus puissant que celui que l'on vit car l'Homme a une fâcheuse tendance à le sublimer.
A titre personnel je trouve le personnage de Bjarni un peu frileux se retranchant derrière des idéaux légers pour justifier son choix de vie.
Quelle belle déclaration d'amour à cette femme mais aussi à sa région à son pays et à sa population.
Exquis !
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