La haine et le pardon de Jean Mialet
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Dora, ou l'enfer c'est les autres.
En août 1943, Hitler avait ordonné, après une réunion avec Himmler et Speer, la construction d'une vaste usine souterraine, creusée dans la montagne, afin de remplacer la base de Peenemünde, anéantie par les bombardements alliés. Cette nouvelle base, c'était Dora. Il était impératif, pour l’Allemagne , dont la situation militaire devenait précaire, de continuer à produire, sous la houlette de Werner von Braun, des armes nouvelles, des fusées, soit l'arme absolue comme les V1 et les V2 porteuses d’ogives éventuellement nucléaires. On sait qu'heureusement von Braun était loin d'être prêt en ce domaine. L’objectif , néanmoins, était de renverser, in extremis, une situation militaire compromise.
La gestion de ce nouveau camp fut confiée à la SS . Des milliers de travailleurs passèrent par Dora . Objectif principal : le rendement, la rapidité d'exécution (le temps pressait) par tous les moyens et sans aucune considération d'humanité.
Les conditions de travail de ces pauvres hères étaient atroces:
les bagnards de Dora ont souffert du froid et de la faim, d'une extrême fatigue due aux cadences infernales, de longues stations debout, dans le vent glacial, pour l'appel, de la détérioration rapide et très grave de leur santé. Dans les tunnels de Dora, les déportés inhalaient de la poussière ammoniacale qui brûlait les poumons, souffraient d’insuffisance de repos, devaient encaisser le vacarme des marteaux piqueurs, des explosions fréquentes, de l’hygiène épouvantable, de l'humidité, de la vermine et on en passe.
Les déportés dormaient dans le tunnel. On creusa des alvéoles : 1000 prisonniers affalés sur des alvéoles sur 4 hauteurs. L’équipe de jour chassait l’équipe de nuit.
Jean Mialet connut cet enfer .Jeune candidat à Saint Cyr, futur officier sportif, athlétique, il a pratiqué le rugby et consacre à ce sport une page vibrante et enthousiaste. L'enfer, c'était aussi les Kapos (chefs d’équipe) désignés par les autorités du camp, les déportés eux-mêmes de toutes les nationalités qui se déchiraient souvent à mort, jouaient des coudes avec férocité pour le pain et la soupe, insultaient ou moquaient les prisonniers maladroits manuellement. Pour eux, la pierre angulaire de la valeur était l'aptitude à manier la pelle, à se battre ou à voler. Quand l'un riait, tous éclataient en rires homériques qui faisaient mal. Dans les premiers mois, Mialet encaisse et supporte mal la haine de son groupe qui déteste tout ce qui est militaire. Ce livre est d'ailleurs aussi une confession, une autocritique méritoire, émouvante de l'auteur qui se reproche son côté autoritaire, ses erreurs , ses plaintes et ses gémissements constants.
Pour maintenir la pression et respecter les délais, les Kapos frappaient et insultaient avec rage.
“Les SS, eux, nous montraient qu’ils iraient au bout de leur doctrine: celle du gouvernement des hommes par la violence pure."
Mialet rencontre dans le camp des individus très peu recommandables, comme Karl, intelligent et cultivé, polyglotte. Un monstre, sans doute un fou. Pour une vétille , il se mettait à cogner avec son gros gourdin dans une sauvagerie qui faisait flamboyer ses petits yeux métalliques. Il frappait à coups de botte au bas-ventre, c'était sa spécialité.
On lui connaissait une centaine de victimes qu'il avait tuées à coups de bâton ou de talon, ou par le travail à mort.
Par contre, un français nommé Sesmaisons devient son ami et l'aide à supporter l'innommable. Comme il était bon ouvrier, les Allemands le respectaient. Au travail en extérieur, il chantait toujours et ne s’arrêtait de chanter que pour souffler sur ses doigts gelés. Quand il faisait très beau, il disait: “on ne peut pas mourir par un temps pareil". Et si le froid revenait, il lançait joyeusement: “ dernière contre- attaque de l'hiver."
Le 11 avril 1945, les soldats Américains délivrent les bagnards à Bergen Belsen où ils avaient été transférés par marches forcées.
L'heure de la vengeance sonna et la chasse aux SS commença. Plusieurs Kapos, aux visages livides qui suaient la peur, s'étaient réfugiés sous les toits et s'étaient barricadés dans une chambre. Les prisonniers libérés se mirent à cogner. " Quand il n’y eut plus qu’une pâtée de chair de Kapos, les justiciers empoignèrent les cadavres et les jetèrent par la fenêtre du troisième étage. Ceux qui n'étaient pas morts furent achevés par un tourbillon de déportés qui fondit sur ce qui ne devait rester qu'un tas informe , rouge et blanc."
Le massacre dura deux ou trois jours.
Sans avoir participé à cette tuerie, Jean Mialet, à la fin de son séjour forcé, exigeait à l’encontre des Allemands, une impitoyable dureté. Un colonel, sous l'uniforme de bagnard, vint lui parler, le houspiller, le détourner de ses intentions de vengeance.
Finalement, il pardonne aux autres, à tous les autres. Aux étrangers avec lesquels il ne s’est pas bien entendu. " J’ai pardonné, je crois sincèrement , aux Allemands, j’ai pardonné à mes compatriotes ( qui ne l’ont pas toujours ménagé ). Ai-je bien pardonné aux SS ?Je me sens incapable de répondre avec certitude. Je me dis qu'après tant d’efforts faits sur moi-même pour dompter ma violence, j’ai le ferme propos , comme on dit dans les catéchismes, de pardonner aux SS. Mais c'est une phrase difficile à écrire que celle-là."
Les éditions
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La haine et le pardon [Texte imprimé], le déporté Jean Mialet
de Mialet, Jean
R. Laffont
ISBN : 9782221085288 ; 19,16 € ; 06/03/1997 ; 312 p. ; Broché
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