Sagesse et illusions de la philosophie de Jean Piaget

Sagesse et illusions de la philosophie de Jean Piaget

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Philosophie , Sciences humaines et exactes => Scientifiques , Sciences humaines et exactes => Psychologie

Critiqué par Elya, le 17 août 2013 (Savoie, Inscrite le 22 février 2009, 34 ans)
La note : 9 étoiles
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Philosophie et sciences : définitions et distinctions

Ce livre m’a définitivement convaincue que Jean Piaget était un chercheur, philosophe, épistémologue, logicien et biologiste d’exception. Certes, son style n’égale pas à mon goût celui de son contemporain (par l’époque et les idées) Bachelard, qui régale son lecteur de sa prose poétique et de ses métaphores aguichantes (quitte à nous perdre un peu). Mais quelle classe dans le choix des questions auxquelles répondre et des réponses tentées, avec pincettes, rigueur, références, objectivité.

Après une brève autobiographie de son parcours d’étudiant et de chercheur (chapitre I), Piaget se consacre à l’exposé de sa thèse (chapitre II), de son argumentaire (chapitre II) et de ceux qui ne pensent pas comme lui (chapitre III).

« La thèse en est simple et, en certains milieux, banale : que la philosophie, conformément au grand nom qu’elle a reçu, constitue une « sagesse », indispensable aux êtres rationnels pour coordonner les diverses activités de l’homme, mais qu’elle n’atteint pas un savoir proprement dit, pourvu des garanties et des modes de contrôle caractérisant ce qu’on appelle la « connaissance ».

Contrairement à ce que pourraient rétorquer des philosophes s’opposant à sa thèse, loin de Piaget l’idée de dénigrer la philosophie et la place qu’elle devrait occuper dans notre société. Cependant, il regrette et rejette le système scolaire et universitaire français, qui par son héritage du siècle des Lumières se consacre tant (et trop comparativement aux autres pays Européens) à la philosophie. Il s’affole devant le contenu des études de philosophie, dont ceux qui suivent les cours ont depuis longtemps déjà abandonné les sciences et surtout tout recours à une démarche expérimentale ou algorithmique. Scientifiques comme philosophes, tous deux gagneraient à ce que ces deux « disciplines » s’unifient plus.

Dans le chapitre II, il s’attarde à bien définir la philosophie, qu’il oppose aux positions de tout un chacun dans la vie quotidienne admises sans nécessairement de réflexion comme la morale ou la foi. Il distingue bien différentes philosophies, comme par exemple le matérialisme dialectique ou le positivisme, qu’il dénonce fortement. Il rappelle qu’il n’y a pas de différence de nature entre les problèmes philosophiques et scientifiques, mais surtout une différence dans la façon dont ils sont traités.

Le chapitre III interroge les philosophies d’Husserl et de Bergson qui postulent indirectement une « connaissance suprascientifique » et met en évidence leurs contradictions alors qu’ils s’intéressent tous deux à l’ « intuition philosophique de l’être ».

Le chapitre IV dans son entier se consacre au domaine de la psychologie qui, dans les années 70 encore, se voit divisé en deux branches principales, particulièrement en France : la psychologie scientifique et la psychologie philosophique. Piaget souligne le caractère incongru de cette dernière qui compte « simplement sur sa propre honnêteté et sur sa virtuosité d’analyse à titre de garants de vérité, comme si la sincérité et le talent permettaient d’éviter les erreurs systématiques ». Je ne connais pas la situation de la psychologie française à l’heure actuelle, mais gageons qu’il doit rester au moins quelques bribes de ce clivage néfaste.

Ce qui irrite Piaget, c’est surtout cette propension que possèdent certain philosophes à s’exprimer sur des faits (donc scientifiques) dont ils ne connaissent même pas les bases des sciences dont ils sont issus. Pire, leur formation les prépare seulement à user de la réflexion ou de l’intuition, alors que l’étude d’un fait nécessite une méthode. C’est le chapitre V qui rapportera des paroles et écrits de philosophes comme Mueller s’exprimant sur la psychologie ou Bergson en physique.

On ne peut qu’admirer la modestie de la position de Piaget qui nous dit au sujet de son livre :

« Il n’est que le témoignage d’un homme qui a été tenté par la spéculation et qui a failli s’y consacrer, mais qui, en ayant compris pour lui les dangers, les illusions et les multiples abus, veut communiquer son expérience et justifier ses convictions laborieusement acquises ».

En effet, ce livre n’est paru qu’en 1965 pour sa première édition. L’auteur avait donc déjà l’âge d’avoir terminé sa carrière, et on peut supposer que sur un sujet aussi délicat, il ait souhaité avoir suffisamment de recul pour s’exposer aux brimades et incompréhensions. Dans cette édition (la troisième), il a rajouté une postface dans laquelle il répond justement aux retours, qu’il juge assez nombreux et plutôt positifs.

Cet essai pourrait encore servir de base de discussion et d’alimentaire à des débats d’aujourd’hui. Pour quiconque s’intéresse à l’épistémologie des sciences, cette lecture devrait être un régal et permettre de resituer sa position.

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Les éditions

  • Sagesse et illusions de la philosophie [Texte imprimé] Jean Piaget
    de Piaget, Jean
    PUF / Quadrige (Paris. 1981)
    ISBN : 9782130443735 ; 10,14 € ; 01/07/1992 ; 320 p. ; Poche
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