Console-moi de Marie Gagnier

Console-moi de Marie Gagnier

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 19 avril 2003 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 10 étoiles
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Une enfance marquée au fer rouge

Marie Gagnier vient d'écrire un petit chef-d'oeuvre avec Console-moi. Si ce roman n'est pas sélectionné par les membres des différents jurys qui attribueront les prix de fin d'année au Québec, on aura raté l'occasion de récompenser une auteure qui le méritait. Et pourquoi pas le prix Fémina pour cette enseignante de Trois-Rivières née en Angleterre?
De toute façon, c'est une oeuvre solide qui attend le lectorat. L'auteure l'entraînera dans une aventure palpitante, inspirée en premier lieu par le peuple acadien du 18e siècle, qui fut déporté par les Anglais, mais qui pousse encore ses ramifications le long de l'Atlantique en l'an 2001. Ce périple temporel sert à la compréhension de ces «nâmes de géants», dont le mauvais sort s'est acharné sur elles comme un vautour. Un pêcheur de Chéticamp quitte la Nouvelle-.cosse après avoir perdu son frère, sa femme et son bateau. Pour fuir ses malheurs, il s'établit avec son fils de quatre ans dans l'arrondissement de Pointes-aux-Trembles à Montréal. Croyant y trouver le bonheur, il s'enlise encore davantage en exerçant un métier qui n'apporte qu'un salaire de famine. Pour oublier sa faillite humaine, il sombre dans l'éthylisme, qui a finalement raison de son âme de géant, tel un albatros qui aurait reçu du plomb dans une aile.
Cette défaite aura des répercussions sur le fils. Abandonné à lui-même, il garde quand même un morale exemplaire, mais sa tache de vin, qui lui recouvre tout le visage, et son manque de scolarité freinent considérablement ses ambitions.
Heureusement, la tentative de son père pour reconstituer une famille lui sert d'occasion pour s'initier à la photographie avec une belle-mère compatissante qu'il désire. Fort de son nouveau savoir, il veut retourner dans son village natal puisque Montréal ne lui sourit pas plus qu'à son père. Avec son vieux camion, sur lequel on peut lire en grosses lettres «because of sorrow», il quitte sa vie navrante en suivant la route qui longe le fleuve Saint-Laurent. Une panne d'essence le mettra en contact avec un couple d'étudiants qui se portent à son secours. Et le voilà mandaté pour accompagner la jeune femme afin de repertorier les légendes et les chansons de l'Est du Québec tandis que le jeune homme poursuit sa route jusqu'à la mer pour terminer un soi-disant essai. Comme dans un road novel, le nouveau tandem parcourt la province à la recherche de gens âgés qui détiennent encore des bribes de notre patrimoine folklorique.
Il s'acquitte de sa tâche avec soin. Il est bien payé en plus de jouir des faveurs intimes de cette compagne inespérée. Mais ce qu'il ne sait pas, c'est tout ce qui se trame dans son dos. Pourquoi ces jeunes, croyons-nous être des étudiants, se consacrent-ils à ce travail? Et c'est ce qui compose la deuxième partie de l'oeuvre. Nous entrons au coeur de ce qui a formé leur personnalité. Le remords et la violence en ont fait des êtres retors et démoniaques. Après avoir eu une enfance aussi marquée par le destin, nous comprenons qu'ils aient sombré dans l'abîme du désespoir, qui est à l'origine de leurs vengeances pathologiques. Dans un dernier volet, un éclairage psychanalytique explique leurs dérapages. Cette auteure privilégie toujours cet angle pour ses oeuvres, mais ça reste un chaînon agaçant. Il n'est pas nécessaire d'appuyer autant sur l'origine des malaises existentiels pour faciliter notre compréhension.
En gros, elle nous promène dans le temps pour établir des liens entre l'âme des héros et des événements du passé. La déportation des Acadiens en 1755 se vit dans tous ces départs des jeunes qui quittent leurs familles à cause des malheurs qui se sont abattus sur eux. Si les incidents du FLQ de 1970 sont rappelés, c'est davantage pour marquer l'inefficacité d'un terrorisme sauveur. Tous les personnages sont aux prises avec un destin défavorable. Tous réagissent pour se libérer : certains y trouvent la mort, d'autres fuient et d'autres récoltent enfin le bonheur. Mais chacun traîne une peine bien difficile à consoler. Le grand nombre de personnages ne nous égare pas. Même s'ils sortent de nulle part comme Juliette, ils sont tous membres d'une même famille ou le deviennent. C'est une histoire noire, pénible, voire insupportable par moment. Les meurtres et les suicides se succèdent à un rythme accéléré, sans conduire cependant vers un dénouement apocalyptique. Le cynisme des uns est compensé par la générosité sans bornes du héros acadien qui a le sens des autres. Ce que les personnages vivent arracheront des larmes aux sensibles, car ce sont des victimes qui ne sont pas sans rappeler l'univers de Chaplin.
L'écriture est à la hauteur de cet ambitieux projet romanesque, construit à la manière d'un vitrail dont l'auteure s'inspire pour illustrer la grisaille et la lumière de la vie. L'atmosphère sombre qui prédomine n'affecte en rien les accents poétiques, accompagnés par Les Yeux d'Elsa d'Aragon. Même «si le monde sévère a roulé l a tête à l'envers», les survivants tentent de valser comme Elsa «au bal des hasards».

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