Remèdes pour la Faim de Deni Yvan Béchard

Remèdes pour la Faim de Deni Yvan Béchard
(Cures for hunger)

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par DomPerro, le 10 août 2013 (Inscrit le 4 juillet 2006, - ans)
La note : 9 étoiles
Discussion(s) : 1 (Voir »)
Visites : 2 907 

S'inventer

En raison de la complexité des thèmes abordés, il est périlleux de résumer Remèdes pour la faim, de Deni Y.Béchard, écrivain américain né en 1974 dont le père était québécois.

Si je parle du père, c’est qu’au coeur de ce livre, que l’auteur nous présente comme des mémoires, il occupe une place centrale. D’ailleurs, l’écriture de Remèdes pour la faim débute trois mois après la mort du père, André, qui s’est enlevé la vie près de Vancouver, en Colombie-Britannique, au Canada.

Il aura fallu à Deni Y.Béchard 17 ans de recherche, d'écriture et de réécriture pour compléter cette oeuvre marquée du sceau de l’expérience. Saluons ici la magnifique traduction de l’anglais par Dominique Fortier. Les sensations, les nuances de la mémoire ou la complexité des relations entre les personnages, tout y est superbement écrit, comme en témoigne ce passage : ''J’ai fermé les yeux, les moteurs en train de refroidir cliquetaient faiblement derrière les syllabes de mon discours, comme si la machine effrénée du temps était redevenue chant de création.''

Malgré son étrangeté, Deni Y.Béchard réalise avec le recul avoir eu une belle enfance, même si son père réagissait souvent violemment, même s’il braquait des banques, même s’il avait renié son Québec natal ; et même si la mère de Deni était une hippie ésotérique avouée avant le temps, même si elle encourageait ses trois enfants à parler avec leurs amis imaginaires, même si elle les mettait en garde contre les aliments transformés.

À travers cette famille atypique, toujours en mouvement, il y a aussi la pêche au saumon, la peur, la colère incontrôlable du père, la misère, la déchirure, le Viêt Nam, une vieille Vandura, les Livres dont vous êtes le héros que dévore Deni, avant de découvrir Steinbeck, Kerouac ou d'autres grands romanciers.

''Cette nuit-là, j’ai essayé de me rappeler le visage de mon père, en vain. Incapable de trouver le sommeil, j’ai allumé une chandelle comme ma mère le faisait pour moi quand, enfant, je voulais m’essayer à méditer sur la lévitation. Je l’ai posée sur une chaise en bois au milieu de ma chambre et me suis assis pour la regarder, les faibles vacillements de la flamme semblables aux frissons d’une plume qu’on tient entre les doigts. Quelque chose était attendu de moi, et je saurais me montrer à la hauteur.

Je dois m’être endormi. Quand j’ai ouvert les yeux, la chandelle avait disparu et la chaise était en feu. À cet instant précis, avant d’être gagné par la panique, j’ai su que c’était l’une des plus belles choses que j’avais jamais vus.''

Si, à l’origine, c’est la criminalité du père qui attire Deni, alors jeune enfant, ce sera le passé obscur d’André qui intriguera plus tard l'adolescent. Les routes du père et du fils s’écartent ; le premier souhaite voir Deni travailler avec lui dans la poissonnerie, mais le fils rêve plutôt de poursuivre l’école et de devenir écrivain.

Un élément ne changera jamais entre le père et son fils: la parole, les mots. Ce sont ces centaines d’histoires, ces récits des vols commis par le père, ses folles aventures qui s’étendent jusqu’au Mexique, ces mises en scène avec des voitures, plusieurs métiers et la police qui n’est jamais bien loin qui alimenteront l'imaginaire de Deni. Pour un adolescent qui souhaite devenir romancier, c’est le contexte idéal pour évoluer.

Mais aussi, raconter des histoires permet au père de s’inventer à chaque fois, négligeant tel souvenir douloureux, esquivant telle question gênante sur le Québec, faisant de fausses promesses, etc.

Autre extrait : ''Je pourrais peut-être écrire tes histoires'', ai-je dit, comme si je n'avais rien d'autre à offrir.'' , annonce le fils à son père.

Et lentement l’idée germera dans la tête du père qui s’était alors toujours moqué des ambitions littéraires de son fils.

Remèdes pour la faim, au-delà de la relation père-fils, peut également se lire comme l’apprentissage du métier d’écrivain; du pouvoir de la révélation de la littérature à un moment décisif de sa vie; d'un jeune homme qui sauve la vie de son père en quelque sort, et la sienne du même coup.

Dernier extrait : ''Il me semblait, en entendant ses paroles, que la vie d’un père est la première histoire d’un fils.''

Remèdes pour la fin est donc une sacré belle histoire de plus de 500 pages!

Lire Remèdes pour la faim paru en anglais en 2012, rappelle aussi beaucoup le très beau Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan, qui met plus en scène une relation mère-fille. Ces deux titres sont de la même famille littéraire.

Enfin, Deni Y.Béchard a signé en 2007 Vandal Love ou perdus en Amérique, un premier roman qui a attiré l'attention d'Oprah Winfrey et remporté le Commonwealth Writers' Prize 2007.

Connectez vous pour ajouter ce livre dans une liste ou dans votre biblio.

Les éditions

»Enregistrez-vous pour ajouter une édition

Les livres liés

Pas de série ou de livres liés.   Enregistrez-vous pour créer ou modifier une série

Forums: Remèdes pour la Faim

  Sujets Messages Utilisateur Dernier message
  Un grand écrivain américain 2 Libris québécis 14 août 2013 @ 02:08

Autres discussion autour de Remèdes pour la Faim »