Le garçon incassable de Florence Seyvos

Le garçon incassable de Florence Seyvos

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Paofaia, le 23 octobre 2013 (Moorea, Inscrite le 14 mai 2010, - ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (27 303ème position).
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Les deux garçons

C'est l'histoire... c'est l'histoire, sur une photo en noir et blanc, d'un garçon en T-shirt rayé; les mains sur les hanches, qui sourit en regardant l'objectif. La petite fille a 8 ans , et quand elle met les mains sur ses hanches, elle se sent presque invincible. C'est la photo du premier Henri, son oncle , dont le cerveau, qui avait déjà souffert à la naissance, a de nouveau été endommagé par deux encéphalites successives. Il est mort à 33 ans. Une vie pour rien, a dit sa mère qui disait aussi devant l'autre Henri, que ces enfants-là, il ne faudrait pas les laisser vivre.

C'est l'histoire d'un autre Henri, donc, il a neuf ans, la petite fille en a 11. Il est lui aussi handicapé, il va devenir son "frère ".

Le père d'Henri dit: " Les enfants, il faut les casser." Il pense sincèrement qu'on ne peut élever un enfant sans le casser , qu'il n'y a pas d'autre solution. Pas simplement plier, casser. Il faut entendre le craquement de la tige de bois que l'on ferme sur elle-même, à deux mains, d'un coup sec.

Henri s'est cassé tout seul, quelques heures après sa naissance. C'était un beau bébé dodu de plus de trois kilos. Et tout à coup, un vaisseau s'est rompu dans sa tête.....
Le père d'Henri pense qu'il a cassé son fils et qu'il a bien fait, car ainsi il pourra exercer un métier, se marier et avoir des enfants.
Henri marche, mais ne deviendra jamais professeur de tennis.
Ce matin, le maçon ,qui s'appelle Yacouba et qu'Henri et son père connaissent depuis des années, est venu réparer la palissade. Henri, de mauvaise humeur, a refusé de lui dire bonjour. Son père s'est mis en colère et lui a ordonné de dire bonjour. Henri s'est obstiné dans son refus. Son père l'a obligé à se mettre à genoux dehors, sur le ciment, en lui disant qu'il resterait là, jusqu'à ce qu'il se décide à saluer poliment Yacouba. Henri est resté là une heure, il hurlait, pleurait de rage et refusait de céder. Henri est un petit saligaud de roseau qui plie mais ne rompt pas.


C'est l'histoire d'un autre enfant, prénommé Joseph. Qui tout petit tombe dans des escaliers , ne pleure pas, ne se casse rien. That sure was a buster dit son père.
Dans le monde du spectacle, "a buster", c'est une chute, une chute spectaculaire. Joseph vient de changer de nom, il s'appellera Buster.
C'est l'histoire de Buster Keaton.


De ces histoires parallèles, Florence Seyvos tire un récit ( ou un roman, mais ce n'est pas précisé) que j'ai beaucoup aimé. Une écriture très simple , une construction très travaillée, aucun pathos, un regard plein de tendresse sur des personnages un peu décalés.

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Deux garçons

8 étoiles

Critique de Poet75 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 68 ans) - 31 janvier 2023

Il y a deux histoires dans ce court roman de Florence Seyvos, un roman qui narre les destinées de deux personnes bien réelles : d’une part, Buster Keaton (1895-1966), le célèbre acteur et réalisateur de films burlesques au temps du cinéma muet ; d’autre part, Henri, le demi-frère de la narratrice (dont on peut supposer qu’il s’agit de Florence Seyvos elle-même), né gravement handicapé et élevé à la dure par un père qui avait pour objectif premier de faire en sorte que ce fils soit le plus autonome possible.
Mais pourquoi dresser les portraits, en alternance de courts chapitres entremêlés, de ces deux personnes, éloignées géographiquement et temporellement, dans le même livre ? Eh bien, parce que tous deux peuvent être désignés, comme l’indique le titre, comme des « garçons incassables ». De ce fait, Florence Seyvos parvient, sans que ce soit tiré par les cheveux, à suggérer des rapprochements qui font sens.
Buster Keaton, né Joseph, fut affublé de son nouveau prénom après une chute dans un escalier et devint, très jeune, le partenaire de ses parents qui se livraient à des numéros comiques sur scène. En fait, il fut un partenaire très particulier puisqu’il servait de projectile à son père. Or, il se relevait toujours indemne et c’est ainsi que commença sa réputation de « garçon incassable ». Plus tard, lorsque, jouant de son visage toujours impassible, il devint l’inimitable acteur de cinéma que l’on connaît, il prit d’incroyables risques sur certains de ses films, car il ne se faisait jamais doubler. Il fut parfois blessé, mais jamais au point de devoir mettre fin à sa carrière. Ce fut l’arrivée du cinéma parlant qui coïncida avec son déclin, non pas par un soudain défaut de talent, mais parce que, dans l’industrie du cinéma, on ne sut plus que faire de lui, de son génie comique.
Henri, lui, le garçon abimé dès la naissance, avec sa mâchoire prognathe et son impressionnante maigreur, la narratrice le raconte avec une tendresse particulière, sans cependant ignorer ses petits côtés, son obstination, par exemple, à ne pas vouloir demander pardon à une femme qu’il a fait tomber sur un trottoir. Henri n’en est pas moins attachant, lui qui ne se considère pas lui-même comme handicapé puisqu’il parvient, malgré tout, à marcher, même péniblement. Devant un cinéma, alors que s’étire une file de spectateurs, il préfère attendre, plutôt que de se servir de sa carte de personne handicapée qui pourrait le faire passer à la caisse en premier. Mais non, il attend en silence, placé à un mauvais endroit, ce qui lui fait rater encore la séance suivante. Il y a de la solitude chez Henri, comme il y en avait chez Buster Keaton. Mais il y a aussi et surtout de la force et de l’amour et, chez l’un comme chez l’autre, un profond mystère que la narratrice respecte scrupuleusement.
Sans nul besoin d’artifices, Florence Seyvos met en parallèle ces deux êtres finement reliés l’un à l’autre à la fois par leur fragilité et par leur force, mais aussi, tout simplement, par le regard de celle qui tient la plume, si l’on peut dire, la narratrice.

Trop court

6 étoiles

Critique de Killing79 (Chamalieres, Inscrit le 28 octobre 2010, 45 ans) - 8 février 2015

C’est extrêmement difficile d’avoir un avis tranché sur ce livre. Effectivement l’écriture est belle et les thèmes abordés sont particulièrement attendrissants. La manière dont est traitée chaque histoire, sur un ton neutre, réussit à dégager de ces récits une grande humanité. Le comportement et la destinée de ces deux personnages m’ont évoqué autant de compassion que d’admiration. Devant leurs malheurs respectifs, ils font preuve d’une persévérance et d’une résistance hors normes.
Seulement le livre est très court et le lien entre les deux histoires est infime. Ainsi bien lancé dans une des aventures, je me retrouvais brusquement frustré à chaque changement. Le fait que les histoires se succèdent par alternance, casse le rythme mais aussi l’empathie qui commençait à se créer avec les protagonistes. Chaque récit m’a réellement intéressé. La vie de Henri m’a bouleversé et impressionné. Le destin de Buster Keaton est passionnant et surprenant. Mais globalement, je ne garderai sûrement aucun souvenir de cette lecture dans l’avenir tant le nombre de pages est restreint et l’approfondissement des personnages quasiment illusoire. Deux livres distincts et plus étoffés auraient peut-être été nécessaires pour rendre justice à ces deux héros de leur temps.

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