Les fiançailles de M. Hire de Georges Simenon
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Le sacrifice de l'innocent
Un des premiers "romans-romans" (1930) et déjà un chef-d'oeuvre!
En ces temps d'idolâtrie et de médiatisation, il faut relire Simenon pour ce qu'il est, pour ce qu'il a toujours voulu être : un romancier. Un artisan du roman. Un raconteur d'histoires.
Monsieur Hire. Hirovitch. Un Juif russe ou polonais. L'un de ces errants rencontrés par Georges grâce à une mère qui, par peur de "manquer", louait des chambres à des étudiants étrangers.
Monsieur Hire. Sa chair trop grasse, sa peau trop blanche, cette ridicule façon de courir en canard, à petits pas, pour attraper son tramway.
Monsieur Hire et Alice, la servante aux gros seins, aux aisselles rousses, qui se déshabille avec impudeur, à la fenête d'en face.
Et la concierge qui pleure, qui crie, qui gifle ses enfants.
Et cette femme qu'on a retrouvée morte. Saignée comme une bête, dans le terrain vague d'à côté.
Il suffit d'une serviette tachée de sang, aperçue par l'entrebâillement d'une porte, pour que la concierge soupçonne Monsieur Hire. Et, de soupçon en dénonciation, qu'elle remette en scène le sacrifice de l'innocent, avec trahison, foule écoeurante de méchanceté antisémite, mains lavées du sang du juste, mains du juste, enfin, ouvertes sur des traces de sang rouge...
Monsieur Hire qui avait écrit une lettre à Alice où il lui disait "Je vous aime". Monsieur Hire qui lui avait acheté une bague de fiançailles. Monsieur Hire qui y avait cru. Qui avait eu le tort d'y croire.
Et ce langage degré zéro où ressortent sur le tissu banal quelques phrases à faire rêver les amoureux du "beau style" : "Pendant qu'elle se déshabillait en quelques mouvements que l'habitude rendait hiératiques et qui la sculptaient peu à peu jusqu'au moment où s'abattait sur elle la chemise de nuit blanche, la servante évitait d'exposer son visage au regard invisible des trois papiers gris."
Un livre coup de poing en forme de prophétie. Le nazisme n'est pas loin. 1930. De tristes fiançailles...
Les éditions
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Les fiançailles de monsieur Hire [Texte imprimé] Georges Simenon
de Simenon, Georges
le Livre de poche / Le Livre de poche
ISBN : 9782253142959 ; 6,20 € ; 02/01/2003 ; 190 p. ; Poche
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Les critiques éclairs (9)
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Alors, Simenon ou Duvivier ?
Critique de Pierrot (Villeurbanne, Inscrit le 14 décembre 2011, 72 ans) - 9 décembre 2017
Si globalement la trame reste identique, le roman me parait quand même plus sombre encore que dans « Panique ». Et le thème dramatique de la fin, repris magistralement en 1945 dans « L’étrange incident » nous rappelle ô combien, comme les effets de masse sont toujours dangereux …
Un Simenon, comme un poisson dans l’eau, avançant à contre-courant des histoires à l’eau de rose, si souvent en nage, avant d’être tari.
Qui c'est celui-là ?
Critique de Catinus (Liège, Inscrit le 28 février 2003, 73 ans) - 18 août 2013
Encore un excellent de l’ami Georges. Bon suspense. Pour info, on en a tiré un film mais le mieux est de d’abord lire le bouquin. Enfin vous faites encore ce que vous voulez, mais …
Extraits :
* - J’étais vendeur dans un magasin de confection de la rue Saint-Antoine.
- Aboyeur, exactement. Ou racoleur. Vous arrêtiez les passants sur le trottoir pour les décider à entrer.
* Mais son regard ne se détournait pas du commissaire. Il restait rivé à lui, comme celui d’un animal battu qui se demande le pourquoi de la méchanceté des hommes.
Monsieur Hirovitch.
Critique de Hexagone (, Inscrit le 22 juillet 2006, 53 ans) - 10 mars 2011
Parmi la multitude de titres portant l'estampille Simenon, aucun en particulier n'attirait mon regard.
Je me trouvais fort dépourvu et j'ai choisi sans conviction ce titre.
Quel rattrapage!
La quintessence de ce que je recherche dans toutes mes lectures. De la littérature populaire de grand talent.
Simenon parvient en à peine 200 pages à créer une atmosphère, à donner aux personnages une dimension exceptionnelle au regard du nombre de mots employés.
Là où d'autres s'emberlificotent dans des descriptions sans fin, Simenon fait mouche en une phrase.
Il parvient à créer une société au coeur de cette banlieue ouvrière composée de gens différents. Chaque portrait est saisissant de réalisme. Le policier, le brigand, l'ouvrier, la servante et le juif.
Pauvre M. Hirovitch qui ne fait que perdre sa vie sans jamais vraiment avoir gagné une bataille.
S'agit-il du meilleur de Simenon, je l'ignore. Ce qui est certain c'est que Simenon signe un grand petit roman qui n'a pas vieilli, qui fait la nique à tous ces auteurs prolifiques qui ne racontent rien et ne fascinent pas le lecteur comme le fait Simenon.
Un grand roman psychologique, social, noir et fatal, superbe.
Je suis convaincu avec ce deuxième essai qu'il faut toujours donner une seconde chance à un auteur
L'étranger
Critique de Lejak (Metz, Inscrit le 24 septembre 2007, 49 ans) - 2 mai 2010
M. Hire semble en effet complètement hors de la société, et ne rien faire pour s'y intégrer, si ce n'est le club de bowling dans lequel il jouit d'une certaine notoriété ... petite oasis (mirage ?) de socialisation.
Et parce qu'il est différent, la société le rejette. Lorsque cette histoire d'assassinat survient, un rien suffit à attirer les foudres d'une foule plus grandissante au fur et à mesure que progresse l'enquête (surveillance) policière. Parce que son physique est particulier, qu'il marche bizarrement, qu'il vit seul et que ses activités semblent suspectes, les gens ne l'aiment pas.
Face à toute cette tourmente autour de sa personne, M. Hire ne réagit pas de manière sensée : il connaît le véritable assassin mais garde cette information pour lui, il tente en permanence d'échapper aux policiers qui le suivent ... Il reste étranger aux menaces de fausse accusation, tout absorbé par l'amour qu'il croît partagé avec la jeune Alice.
Avant toute chose, je ne suis pas persuadé que ce livre ait pour but premier de parler d'antisémitisme. Je crois simplement qu'il montre à quel point "les gens" peuvent être mauvais vis à vis de leurs congénères, surtout lorsqu'ils sortent de la normalité. Alors oui M. Hire descend d'un père juif pratiquant, oui la scène finale peut ressembler à un épisode de pogrom ... Mais M. Hire n'est tout simplement "pas comme tout le monde". Cette différence déclenchera la haine de la populace, légitimée par l'enquête à charge et sans discrétion de la police.
Simenon nous dévoile grâce à son antihéros le côté sombre de M. Tout-le-monde, qui peut faire irruption à tout moment dans la vie de tous les jours.
Comment un crime change la mentalité des gens
Critique de Killeur.extreme (Genève, Inscrit le 17 février 2003, 42 ans) - 24 janvier 2009
Simenon va à l'essentiel, il arrive à restituer ce quartier de Paris où la psychose s'installe peu à peu. A lire absolument
Le choix de VILLEJUIF...
Critique de Frychar (NICE, Inscrit le 2 mars 2005, 76 ans) - 2 juillet 2007
Du moins selon la traduction de Philippe Lebas et la plupart des traductions…Mais l'interprétation du texte anglais est aujourd'hui l'objet d'une polémique:Shakespeare aurait écrit "basic indian" (indien de base) et non "basic judean".
De même Villejuif ne signifierait pas Ville des juifs, ni évidemment Vil juif. Mais aurait pour origine Villa Judéa du nom d'un gallo romain nommé Juvius et possédant une villa.
Mais c'est bien "vil juif" que devait comprendre M Hire dans la banlieue antisémite de Villejuif !!!
En effet, tristes fiancailles...
Critique de Mieke Maaike (Bruxelles, Inscrite le 26 juillet 2005, 51 ans) - 16 septembre 2005
L'antisémitisme faisant irruption par petites touches dans la vie ordinaire d'un homme ordinaire, locataire ordinaire d'une maison ordinaire, suite à un fait divers somme toute ordinaire...
Du tout bon Simenon.
"des traces de sang rouge dans ses mains ouvertes."
Critique de Lucien (, Inscrit le 13 mars 2001, 69 ans) - 28 juin 2003
Ce qui est prodigieux chez Simenon, c'est l'économie de moyens - qui n'empêche pas de peaufiner chaque détail. Ce n'est certes pas par hasard si l'affaire se déroule à Villejuif.
Ce n'est sûrement pas un hasard si l'innocent sacrifié présente à la fin "des traces de sang rouge dans ses mains ouvertes." Pauvres stigmates d'un crucifié ordinaire...
Le monde est en retard de deux heures.au moins.
Critique de Bolcho (Bruxelles, Inscrit le 20 octobre 2001, 76 ans) - 28 juin 2003
L’impression de solitude totale et définitive des personnages vient sans doute aussi de ce type d’écriture où le factuel recouvre presque tout. Le lecteur est en quelque sorte, lui aussi, isolé, mis dans une position décentrée, extérieure aux personnages dont on ne devine les sentiments que de manière fort indirecte, grâce à quelques signes extérieurs : « M. Hire s’était dressé, tout blanc, sans souffle ».
Macréon le dit dans sa belle critique sur « Le relais d'Alsace » : c’est effectivement un langage très cinématographique. Les personnages sont peu nombreux. Certains d'entre eux sont même à peine différenciés (les policiers). Pourtant, en arrière plan, on sent vivre les gens et ces « à-côtés », en une phrase parfois, sont déjà des sortes de romans : « Le bébé d'en haut devait être malade car il y eut une visite du docteur, des chuchotements sur le palier et même dans l'escalier car le père, pour savoir la vérité, se raccrochait au médecin et le suivait jusqu’en bas. » A propos d'un autre enfant, celui de la concierge, on craint le croup. C'est une époque où l'on perd encore ses enfants comme ça, sur le coup du sort d’une maladie banale et on a là une sorte de mise en perspective de la cruauté du monde : ce n'est pas forcément le crime de sang qui constitue le malheur absolu. D'ailleurs, Simenon ne donne strictement aucun détail sur ce crime. A propos de l'antisémitisme. M. Hire se rend chez le commissaire de police pour avoir une explication « d'homme à homme ». Le commissaire amène M. Hire à dire que son père était juif, puis : « C’en était fini de l'audace, des explications d’homme à homme. Il répondait désormais aux questions avec l'humilité effrayée d'un écolier qu'on interroge ». A cet instant, le livre bascule. L’énigmatique M. Hire devient une victime. Pourtant, on n’a plus alors que des signes très indirects d'antisémitisme : deux femmes se moquent de lui sans raison dans un dancing. Le nom de la localité parisienne où se déroule l'action n’est sans doute pas innocent bien sûr, et la dernière phrase du livre nous le rappelle en ricanant sur les liens qui unissent le grave et le dérisoire : « Et on s’agitait, à Villejuif, parce que tout un petit monde était en retard de deux heures » .
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