Marcel Jouhandeau, le diable de Chaminadour de Jacques Roussillat

Marcel Jouhandeau, le diable de Chaminadour de Jacques Roussillat

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Macréon, le 14 mars 2003 (la hulpe, Inscrit le 7 mars 2001, 90 ans)
La note : 8 étoiles
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L'amateur d'imprudence, détrousseur d'âmes

Marcel Jouhandeau est un écrivain célèbre et pourtant il n’a jamais connu de grands tirages. Il a commencé sa carrière littéraire en faisant paraître les " Pincengrain “ en 1920 dans la prestigieuse NRF (Nouvelle Revue Française ) de Gaston Gallimard. Ce premier livre, suivi de la Jeunesse de Théophile, a été salué par des écrivains comme Gide Léautaud, Cocteau, Il fut ensuite accompagné, aidé et protégé par la fameuse éminence grise de la NRF, Jean Paulhan. Son oeuvre est considérable, 130 livres publiés de 1920 à 1978.

Né en 1888, Jouhandeau a été professeur de latin, grec et français de 1913 à 1949 au pensionnat catholique de Saint-Jean de Passy. "Un homme grand, mince, vêtu d'un costume croisé clair, au milieu des années trente. Chapeau, canne, porte une serviette, pochette de soie blanche. Quelle allure ! Il glisse, superbe. Un regard de mandarin transperce les lunettes rondes." (Roussillat) Excellent pédagogue, vénéré par ses élèves, ce qui ne l'empêchera pas de vivre intensément une seconde vie de littérateur prolixe et très talentueux, aux oeuvres souvent sulfureuses ,( voire audacieuses). Doté d’une sexualité très exigeante, jusqu’à un âge avancé, dragueur impénitent de garçons allant jusqu'à fréquenter, à une certaine période de sa vie, des lupanars à Paris.
Sa mère, “sage et pieuse, lui écrivait tous les jours, tout en tenant la caisse de la boucherie de son mari, à Guéret. Il était croyant, et même fervent, fréquentant les prêtres, Gide parlait de la “ qualité indéfinissable de son mysticisme".
Pour tenter de renoncer à ce qu'il appelle son vice, il se mariera en 1929 avec Elisabeth Toulemon, mieux connue sous le nom d’Elise, une artiste dont Jacques Roussillat brosse parfaitement le parcours. En 1900, elle est admise à l'Opéra de Moscou pour devenir danseuse. Elle revient en France et est admise avec sa soeur au pensionnat des soeurs de Châteldon. A Paris, apprentie dans une maison de couture. Elise gardera de cette adolescence une virtuosité, un savoir-faire étonnants dans les travaux d'aiguille. En 1910, elle s'inscrit au cours de Staats, un maître de ballet des meilleurs sujets de l’Opéra, qu’elle fréquentera jusqu'en 1925.
Elle prend part à la création de nombreux spectacles-ballets vers les années 20, sous le nom de Caryathis,et notamment des oeuvres de Poulenc, Auric, Ravel et Satie (le groupe des six). Pendant ce temps, Elise connaît des amours diverses et passe même pour une danseuse entretenue, une demi-mondaine. L'auteur de ce livre la décrit comme ayant un caractère excessif et entier, extravagante dans ses choix, coiffures changeantes, avec un penchant pour l'accoutrement, souvent drapée dans une robe aux coloris criards. Mais Elise est une femme qui ne s'en laisse pas compter et qui sait compter. " Brune, de taille moyenne,très beau visage. Belle, gentille et douce; Tout au moins elle apparaît comme telle à Marcel qui est amoureux." A l'annonce de son mariage avec Jouhandeau, elle va jusqu’à brûler ses chaussons, affiches, toutes les reliques de son passé." Un incident révélateur survient pourtant au début de leur union: à la suite d'un faux mouvement, Marcel laisse tomber une lampe qui se brise. Elise se dresse sur son lit, saisie d’une colère folle. Elle écume et couvre le pauvre Marcel d'insultes ordurières. Jouhandeau ne retrouve pas le sommeil et, au petit matin, il prend la porte. Quelques jours plus tard, elle revoit Marcel." Tragique, elle lui annonce qu'elle va se retirer dans une communauté religieuse. La voici aux pieds de son cher écrivain. Elise se fait douce, câline, Elise roucoule, pleure, et Marcel, vaincu tombe dans ses bras."
Leur vie conjugale n'en dura pas moins jusqu'à la mort d'Elise(1971), au milieu d'invraisemblables et homériques disputes qu'il relate d’ailleurs, sans ménager sa femme, dans ses " Chroniques maritales “ ou les neuf volumes des " Scènes de la vie conjugale." Ces démêlés sont la meilleure partie de son oeuvre. Ou en tous cas la plus accessible. Elise savait que son mari écrivait des horreurs sur elle et elle en prenait parfois partiellement connaissance. Il y avait un modus vivendi en la matière: : tu me laisses travailler à mon oeuvre, dans le calme de mon grenier, je t'offre ma notoriété et je renonce à te quitter en dépit des pires algarades.
, Jouhandeau aimait profondément sa femme. Il écrivait à Gide: "je suis entièrement pris, je l’espère pour toujours, par l’amour de ma femme qui satisfait en moi des puissances insoupçonnées et m'a fait connaître un équilibre de l’âme et du corps nouveau et si heureux pour moi."
Mais l’écrivain, "catholique torturé et moraliste libertin" ne renoncera guère, au contraire, aux pulsions homosexuelles qu'il avait essayé de refouler par le mariage.
Jouhandeau ne manquait pas d'une audace teintée d’inconscience en décrivant crûment, par exemple la vie quotidienne et intime des habitants de son village natal de Guéret ( baptisé Chaminadour) Le livre(Pincengrain) provoqua une violente réaction et une rancune durable de ses habitants?
Son style: une solidité qui tenait du métal, les mots, la syntaxe, les aphorismes qui venaient de sa connaissance du latin, langue sobre et élégante. "L'allusion est ma figure de rhétorique préférée." Les phrases lui glissaient tout naturellement de la plume . Maître dans l'introspection et l’aveu. Paradoxes de l'écrivain:dans “Algèbre de valeurs morales “(1935), il soutient que " le vice peut atteindre à une grandeur qui l’égale à la sainteté." Les interdits de l’Eglise, bien qu’il croie et pratique, le laissent sans repentir ( Bertrand Poirot-Delpech).
L’antisémitisme de Jouhandeau ( le Péril Juif , 1937): son voyage en Allemagne, en 1941, en compagnie de Brasillach, Drieu La Rochelle, Chardonne, sous les auspices du lieutenant Heller dont il était amoureux.
" J’ai cru un moment être antisémite, parce que ma femme, elle seule, l’était foncièrement." Il exprima plus tard sa honte et ses regrets.
Venons en au livre passionnant de Jacques Roussillat, médecin de Montluçon ayant connu l’auteur. Nous avons affaire à une précision sans précédent, visuelle, phrases courtes ,une somme anecdotique dans le très noble sens du terme. Roussillat donne au surplus de pertinents conseils de lecture afin d’apprivoiser une oeuvre abondante mais parfois étirée.
Jouhandeau portraitiste, chroniqueur, mémorialiste. Jamais hypocrite à l'inverse de Montherlant qui dissimulait ses turpitudes. Son rêve était d’entrer dans la bibliothèque de la Pléiade, promise de son vivant comme Simenon espérait d’obtenir le prix Nobel.






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Les éditions

  • Marcel Jouhandeau, le diable de Chaminadour [Texte imprimé] Jacques Roussillat
    de Roussillat, Jacques
    Bartillat
    ISBN : 9782841002924 ; 15,85 € ; 29/08/2002 ; 500 p. ; Broché
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