L'éphémère vérité de Marcel Peltier

L'éphémère vérité de Marcel Peltier

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Lucien, le 26 février 2003 (Inscrit le 13 mars 2001, 69 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (12 784ème position).
Visites : 6 730  (depuis Novembre 2007)

L'éphémère et l'éternel

C'est Georges Perec qui disait : "Je cherche à la fois l'éphémère et l'éternel". Outre un exercice oulipien, l'expression (elle ne contient qu'une voyelle : l'E) me paraît convenir tout à fait à la démarche poétique de Marcel Peltier. L’éphémère et l’éternel… ou la tension qui préside à l'élaboration (je serais tenté de dire « à la capture ») des haïkus, ce genre auquel s’adonne aussi Marcel Peltier, curieux de tout ce qui permet d'insuffler un peu d’esprit dans la glaise, un peu de sens dans le son, un peu du Tout platonicien dans le fragment, dans le fugace, dans le présent.
L’éphémère et l’éternel… ou le zéro et l'infini. Une perspective mathématique de la poésie qui ne peut se comprendre que comme une quête du nombre d'or. Le Nombre d'Or, une constante, une fraction, un rapport d'harmonie suprême entre longueur et largeur, qui confère à l'architecture grecque une Mesure à l'épreuve du temps. Un rapport vers lequel tend aussi le travail de Marcel Peltier : équilibre entre règles et anarchie, stricte composition et automatisme, lois et jeu, nécessité et hasard. Trente-quatre textes. Trente-quatre fragments d’éternité libérés dans l’éphémère d'une lecture qui leur donne vie. Trente-quatre sensations éphémères figées dans le tissu du texte, la trame de la pâte à papier, les entrelacs de l’encre & fragile éternité de l’Art. Cet Art (plastique) alimente aussi l’Art (poétique) de Marcel Peltier qui, non seulement nourrit son oeuvre aux expériences de son œil (Magritte, Klimt ou ses amis du groupe Reg’Art), mais aussi propose à ses textes l’aspect quasi rectangulaire du « cadre » : ni vers, ni ponctuation, ni majuscules pour ces tableaux d'une exposition que n’altère nulle coupe autre que celle – naturelle – des mots ; des mots captés par une typographie. Calligrammes non figuratifs où se mêlent le sensible et l'intelligible, le « réel » et l’« idéel », le Destin et le Temps, la tentation du charnel et la sagesse du détachement. Amélie Nothomb ne s’y est pas trompée, qui préface sobrement ces textes sobres : « Les scandales véritables ne sont pas tapageurs. "L’éphémère vérité" de Marcel Peltier est un scandale de poésie. » Ainsi ouvre-t-elle un recueil qui se referme sur le texte : « sk comme scandale »… Cohérence. intelligence et cohérence… Entre l'incipit et l’excipit ? Une pierre acérée (« le silence ce silex taillé à vif ») qui tranche dans l’onde sonore ; le galet des mots qui fait des ricochets sur l'onde de la phrase – sur le courant de la pensée : « sans vergogne elle cogne », « aux confins du sabre clair cinabres de solitude aux confins du désert », « nous étions ce vertige cette passion ces retrouvailles d'éternité ces entrelacements dans le désir ces résonances près de la source claire ces promesses colorées ces fraisiers de chair nous étions ces brasiers allumés par l’orage », « dans quelle autre nuit irais-je me promener au creux du silence ? », « quelle fragilité morte au champ du déshonneur », « cinq silhouettes fragiles cinq pirouettes acides […] cinq silhouettes trop noires trop vertes avides d’amour cinq girouettes outragées dans l'inutile nuit de Noël »… « Est-il sage de lire les palindromes du vent ? » demande Marcel Peltier. Certes, il est sage de le lire à l’envers, le vent qui nous apporte tant de textes « à la mode ». Il est sage de nager à contre-courant vers le scandale, vers le silence, vers l'autrement. C’est à quoi nous invite ce petit recueil. Il est de moins jouissives ascèses.

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Si la vérité est éphémère, qu'en est-il de la poésie?

8 étoiles

Critique de Bluewitch (Charleroi, Inscrite le 20 février 2001, 45 ans) - 29 février 2012

Loin des haïkus minimalistes qu'il propose aujourd'hui sur son blog (http://haiku-minimaliste.blogspot.com/), ce recueil de Marcel Peltier se lit dans un souffle, les pauses autorisées ne se trouvant qu'entre les textes eux-mêmes.

Point de ponctuation ni de structure classique en strophes, mais l'écoulement dense et rapide, voire primitif, d'un sentiment, d'une sensation, d'une idée qui irait peut-être trop vite pour laisser ralentir le rythme de l'écrit.

Un recueil "sensationnel" au sens, je dirais, "premier" du terme. Qui fait sensation. Qui fait image. Qui fait musique et qui fait corps.

Tout a déjà été dit dans les précédents chroniques.

Il est plaisant de découvrir chaque jour la poésie sous un autre œil.

Une poésie du grand large

9 étoiles

Critique de Kinbote (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans) - 2 mars 2003

Sous des faux airs d’une poésie débridée qui laisserait courir au galop ses images sur une plage de sable fou, Marcel Peltier pratique une poésie classique, certes traversée des embruns du grand large.
« J'entends des voix me parler de tes lèvres la mer les transforme en fleurs »
Ses vers étirés, d'une grande liberté, sont tels des lassos à enrouler autour d'un bonheur toujours à portée de langage. Les textes coupés au carré figurent des plans, des jardins à la française, propres à faire germer les mots dans leurs parterres de lettres. Mais chacun expose une variété de plantes ou de fleurs particulières : il ne faudrait pas croire que c'est un fourre-tout! A chaque texte son thème, et, si on veut, son histoire ou son tableau!
La question du temps hante ces textes ; son destin clownesque,...et l'idée qu'il faut être dément pour s’opposer à lui.
« L’espace-temps est trop vaste pour un simple d'esprit »
C'est une poésie à lire à voix haute, qui se mesure au silence, clameur proférée jusqu’à l’inflexion, le changement de genre.
Ecoutons plutôt : "livrant ivre ce coeur ce bateau battu par la marée livrant cette demeure cette route cette plainte livrant ma fureur ce livre." Son lyrisme d'un seul souffle ne souffre aucune chaîne, aucune entrave soumise au regard. C ’est par l’oreille que la scansion s’opère ; retenues et reprises...
Pourquoi dans plusieurs de ces textes les pronoms personnels sont-ils récurrents ? Car c’est d’eux que partent la parole ; quelle surprise y aurait-il alors au fait qu’elle y retourne, y reprenne son élan ?
« Je fais scandale je grimpe aux arbres je rue je chaise je table sur la bonne volonté. « Marcel Peltier défend la « petite erreur au coeur du savoir », « cet écart par rapport aux normes habituelles » dont on devine qu'ils vont ébranler les dogmes, faire dévier la route des absolus et, derrière l'imprévisible de chaque vie, faire jaillir mille feux.
Amélie Nothomb, dont Peltier dresse un portrait sensible pour commencer le recueil (« Tête de jeune fille »), écrit dans sa préface que l'auteur « connaît la splendeur dont il parle et nous la donne à voir ». C’est une poésie qui roule ses métaphores en cascade dans un engrenage sans fin, un mécanisme bien graissé, et qui renferme un petit goût de paradis (bonjour Sollers !).
Picasso disait : « La ponctuation est le cache-sexe qui sert à dissimuler les parties honteuses de la littérature »
Une poésie qui ne se pare d'aucune règle, exposée au bon gré du lecteur, qui peut, le chanceux, la retourner comme il veut, lui faire prendre toutes les figures, en jouir, mais sans honte, comme avec la permission de son auteur. Un scandale ? Non, une réjouissance.

Réservez sans crainte dès à présent le prochain opus de Marcel Peltier à paraître aux éditions du G.R.I.L: "Le Carré rouge 1", chez Paul Van Melle, 11 avenue du Chant d'Oiseaux, B 1310 La Hulpe.

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