Histoire de la philosophie occidentale de Bertrand Russell
(A history of western philosophy)
Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Philosophie
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"Une" histoire de la philosophie.
Nouvellement traduite il y a deux ans après une première parution française en 1952, l’Histoire de la Philosophie de Bertrand Russell n’est pas aussi orthodoxe que celle d’Émile Bréhier (PUF, réédition de 2012), de même qu’elle n’est forcément pas aussi discutée que celle que l’on doit au collectif que dirigea François Châtelet (8 volumes disponibles dans la collection Pluriel). On conseillera donc aux étudiants de n’approcher ces deux volumes imposants qu’en fin de parcours, ne serait-ce que parce que certaines des présentations de Russell sont quelquefois flottantes avec des auteurs qui lui étaient moins familiers (Montaigne, à peine cité deux fois, est réduit à un désordre alors même qu’il fonde avant Descartes la pleine possibilité d’envisager une étude du « Sujet »), quand ce ne sont carrément pas des absences pures et simples que l’on déplore, c’est-à-dire l’omission de figures pourtant majeures de l’histoire des idées – Husserl, Heidegger, Comte, Kierkegaard, etc. Aussi, pour bien faire, il faudrait compléter les approches russelliennes par des traitements méthodologiques davantage conformes, ce que le lecteur qui souhaiterait entrer en philosophie pourrait effectuer en lisant scrupuleusement Bréhier et Châtelet, voire le Gradus Philosophique dirigé par L. Jaffro et M. Labrune (GF Flammarion, réédition de 1996).
Ceci étant, nous ne faisons aucun procès ou excès de zèle à l’attention de Russell, lequel n’a pas manqué dans sa vie de moments compliqués à la suite de quelques-uns de ses engagements ou positions morales. De plus, Russell est une figure incontournable de la philosophie analytique ; on le considère à bon droit comme un des piliers de la logique moderne, son génie en ces matières étant indiscutable. C’est d’ailleurs cette formation à l’esprit mathématique qui permet à son écriture d’être claire et concise, capable de commenter avec sobriété des concepts difficiles tout en ne perdant pas de vue l’évaluation d’une argumentation plus générale – à ce titre, son chapitre sur Leibniz est remarquable. Ce dialogue entre les concepts et des contextes généraux lui permet d’inscrire chacun des auteurs au plus près de son époque. Des chapitres entiers sont exclusivement intéressés par les événements de tel ou tel siècle ; c’est particulièrement tangible pour la rubrique « philosophie catholique » (pp. 357-562). La minutie historique constitue ainsi une des grandes qualités de cet ouvrage. La période antique et les aventures religieuses du Moyen Âge sont tout à fait restituées par Russell. En sus, l’érudition de ce dernier est d’autant plus honnête qu’elle renvoie à des ouvrages dans lesquels il a puisé d’inestimables enseignements – cf. par exemple P.M. Cornford et John Burnet, respectivement pour De la Religion à la Philosophie et pour Philosophie grecque primitive.
Aussi n’a-t-on pas ici le travail classique d’un historien de la philosophie, mais plutôt un livre de philosophie qui a pris le temps de suggérer sa propre conception critique du monde, quitte à se montrer de temps en temps partial. Il ne fait pas de doute que la philosophie est à ce prix, en l’occurrence au prix d’un effort de rumination qui se rend disponible afin de négocier avec l’ensemble des structures théoriques de l’univers. C’est ce qui fait de la philosophie à la fois le lieu classique d’une sagesse (tendre vers la vérité tout en sachant que nous n’aurons que des vraisemblances) et l’entreprise d’une continuelle recherche du savoir. À l’immédiateté de la sagesse succède la longueur d’une réflexion pleine d’effort. Mais contrairement aux publications pseudo-philosophiques de notre époque qui travestissent les auteurs de la tradition en gourous ou en chamanes sortis du chapeau, Russell n’entend pas rallier les opinions à des fins commerciales, ni faire de la philosophie une activité frivole ou tendance. En effet, le manuscrit de son Histoire de la Philosophie était le fruit des cours qu’il dispensa à la fondation Barnes. Ce n’est que lorsqu’il rejoignit l’Angleterre, après une parenthèse américaine, qu’il mit en ordre ses notes de professeur. Par conséquent, quelles que soient les minces réserves qui concernent cette « histoire de la philosophie », on ne saurait que trop la prescrire à ceux qui pourraient être trompés par le chant des sirènes contemporaines. L’outrecuidance des « nouveaux philosophes », durant les années 1970, a malheureusement accouché d’une multitude de monstres qui ont transformé la philosophie en une espèce de science autoritaire, ayant soi-disant réponse à tout, comme si, en définitive, il fallait désormais se dispenser de réfléchir à la connaissance au prétexte qu’on pourrait se contenter d’écouter ceux qui prétendent énoncer les lois, les normes et les vérités utiles. Face à un pareil tableau de désespérance, Bertrand Russell est une porte d’entrée plus accueillante et largement moins péremptoire.
Les éditions
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Histoire de la philosophie occidentale [Texte imprimé], en relation avec les événements politiques de l'Antiquité jusqu'à nos jours Bertrand Russell traduit de l'anglais par Hélène Kern
de Russell, Bertrand
les Belles lettres / Le Goût des idées
ISBN : 9782251200187 ; 35,00 € ; 02/12/2011 ; 1020 p. ; Broché
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