Ils feront de toi une ombre

Alain Leblanc écrit-il des romans de gare ? Je ne crois pas enfin, je trouve qu’il réussit à éviter la médiocrité et la mièvrerie par son style et le contexte historique bien présent. Les pensionnaires de Simone Jeannoteau tentent de continuer à vivre alors que la guerre vient tout juste de se terminer. Nous sommes à Paris en 1945. Les Allemands ont quitté la capitale française en laissant derrière eux des gens marqués par les privations et la peur. Comme tant d’autres femmes, Margot se rend tous les jours à la gare dans l’espoir de retrouver son mari Vincent, disparu sans laisser de traces. Chaque jour la laisse en proie à la déception mais un jour, un jeune homme répondant au prénom de Roman, débarque avec un papier sur lequel est noté l’adresse de Margot. Il dit être un ancien camarade de Vincent. Le jeune homme est un Juif hongrois qui n’est plus que l’ombre de lui-même qui a perdu toute sa famille et n’a nulle part où aller. Margot l’accueille à la pension et tente de lui rendre un peu de forces et de santé en espérant en apprendre davantage sur le sort de Vincent.

Ce n’est qu’un petit résumé bien succinct car il survient beaucoup d’autres événements dans la vie de Margot. Alain Leblanc a choisi de situer son récit dans l’année qui suit la fin de la guerre et c’est ce qui rend le roman si intéressant. Cette période en est une de reconstruction et les gens s’efforcent d’oublier le passé mais la mémoire vient les torturer en particulier celle de Roman qui se demande ce qui est le plus difficile entre survivre ou bien reposer maintenant en paix comme beaucoup de ses compatriotes disparus dans les chambres à gaz ou battus à mort dans les camps de travail. Afin d’exorciser ses cauchemars, il peint ce qu’il a vu dans les camps de la mort. Quant à Margot, elle reprend sa vie en donnant des cours de danse dans les anciens locaux de l’imprimerie de son mari.

La création de l’État d’Israël occupe toutes les pensées de ceux qui ont survécu : partir ou rester voilà le choix qu’il leur faudra assumer.

J’ai beaucoup aimé ce roman. L’écriture est fluide et aisée, l’auteur évite les situations convenus et prévisibles la plupart du temps. Il y en a quelques-unes mais cela n’affecte en rien l’intérêt que j’ai pris à cette lecture. J’ai beaucoup aimé également la description des pensionnaires de madame Jeannoteau avec leurs petites manies et leur caractère parfois difficile à supporter. Cela contribue à ancrer le roman dans une réalité parfois sordide et étriquée qui illustre bien les conditions de vie déplorables auxquels les Parisiens ont dû faire face et s’accommoder suite au départ des occupants. Bon roman en somme qui expose aussi les difficultés de refaire sa vie pour une femme un peu âgée avec un homme beaucoup plus jeune qu’elle et former un couple en butte aux commérages et méchancetés des gens dont les remarques acerbes sont comme autant de coups de poignards au cœur des amants.

« La vérité est comme les fleurs. Une fois qu’on l’a semée, elle fleurit et gagne en abondance de saison en saison. Un jour tout le monde saura. Ils ne pourront pas toujours détourner le regard.

- La vérité est difficile à regarder en face, répond Roman. Quand le soleil déclinera et que ceux d’aujourd’hui se fondront dans le silence et dans l’ombre, alors oui, je pense que d’autres pourront regarder la vérité en face. »

• 

  Le séjour des ombres [Texte imprimé], roman Alain Leblanc

  de Leblanc, Alain
  Plon
  ISBN : 9782259191784 ; 7,00 € ; 30/12/1999 ; 320 p. ; Relié

  Go Amazon