Vie et destin de Vassili Grossman
( Jizn'i soud'ba)
Catégorie(s) : Littérature => Russe , Littérature => Romans historiques
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Une fresque à faire frémir !
Ce roman est présenté comme un des chef-d'œuvres du XXième siècle. Il raconte le peuple russe et l’armée russe au moment de la bataille de Stalingrad. Mais il raconte aussi les goulags, les épurations, les commissaires politiques aux armées qui coiffent les généraux, l'antisémitisme latent, le poids perpétuel du politique et l’adulation obligatoire du « Petit Père Des Peuples »
Ce livre est d'autant plus crédible que Vassili Grossman était un écrivain et journaliste considéré comme « orthodoxe », qu’il a vécu cette période et a été à Stalingrad avant de suivre les armées soviétiques jusqu'à Berlin. Il publie son livre seulement en 1960. Celui-ci sera de suite saisi par le KGB et ne paraîtra pour la première fois en russe qu’en 1980.
Ce qui y frappe le plus, c'est l'énorme similitude entre la machine étatique nazie et russe. Aucune des deux ne fait l'ombre d'une place à l'homme, l’individu, dans le monde qu'elles créent et entendent imposer pour des siècles.
Certains des personnages osent même parler, tout bas, des épurations d'avant-guerre ainsi que de la terrible extermination des koulaks (paysans propriétaires de leurs terres et qui ne pouvaient accepter la mise en commun de celles-ci et de leur bétail). Les familles sont séparées pour un rien et on ne se déplace pas sans autorisation.
Un des chapitres poignants est celui dans lequel on retrouve, au goulag, de nombreux anciens cadres de la révolution mêlés à de hauts fonctionnaires déchus. Certains ont perdu toute illusion, alors que d’autres restent aussi convaincus par le système et n’attribuent leur présence là-bas qu'à une simple erreur ou une dénonciation malveillante.
L'historien anglais, Antony Beevor, qui a écrit « Stalingrad » et « La Chute de Berlin » fait souvent allusion à des articles de presse publiés à l'époque par Vassili Grossman.
Ce livre fait huit cent vingt pages et est vraiment des plus intéressants mais je le trouve quand même trop long. Jamais quand l’auteur se laisse emporter par le souffle de son histoire, mais ses descriptions sont souvent longues et pas toujours utiles. D'autre part, à mon avis, il accumule beaucoup trop de détails. Il a également une indiscutable difficulté de lecture qui réside dans les noms des personnages. Ils sont incroyablement nombreux et les noms sont difficiles à assimiler. Mais pour corser le tout, tantôt il utilise des noms propres, tantôt leurs petits noms. On finit vraiment par avoir des difficultés à s'y retrouver. Surtout qu'un très grand nombre d’entre eux font des apparitions très espacées.
Axionov, dans son roman « La Saga Moscovite » aborde la vie et le régime de Staline de 1925 à sa mort, en ce compris Stalingrad, en mille deux cents pages, il est tout aussi passionnant, si pas plus, et est beaucoup plus facile à lire. Alors qu'Axionov se dévore, il m'est souvent arrivé de vraiment vouloir voir la fin de ce livre, aussi touchant et aussi vrai soit-il !
Les éditions
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Vie et destin [Texte imprimé], roman Vassili Grossman trad. du russe par Alexis Berelowitch, avec la collab. de Anne Coldefy-Faucard préf. par Efim Etkind
de Grossman, Vassili Ètkind, Efim Grigorʹevič (Préfacier) Berelowitch, Alexis (Traducteur)
l'Âge d'homme / Au coeur du monde (Lausanne)
ISBN : 9782825105955 ; 20,00 € ; 04/05/1995 ; 821 p. ; Broché
Les livres liés
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Les critiques éclairs (8)
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Soleil trompeur
Critique de Falgo (Lentilly, Inscrit le 30 mai 2008, 85 ans) - 2 novembre 2017
- le siège de Stalingrad,
- le haut commandement soviétique,
- le haut commandement allemand,
- des lieux de guerre,
- un camp de concentration nazi,
- un institut de recherches nucléaires,
- le bureau d'un juge d'instruction à la Loubianka,
- divers lieux privés en Union Soviétique.
Et, à chaque fois, Grossman est capable de concrétiser, de manière violente ou calme ou poétique ou humoristique, les accords ou les désaccords entre les innombrables protagonistes. Tout dans l'homme est passé en revue, du mal le plus extrême à son humanité la plus pure en passant par toutes les nuances de gris. Je me demande si l'enseignement le plus fort n'est pas contenu dans la fin des écrits de son personnage Ikonnikov: "Mais si, encore maintenant, l'humain n'a pas été tué dans l'homme, alors jamais le mal ne vaincra".
Un grande et douloureuse page de l'histoire russe
Critique de Elko (Niort, Inscrit le 23 mars 2010, 48 ans) - 3 juillet 2013
Vassili Grossman décrit admirablement bien cet État oppressant et arbitraire, basé sur le renseignement et la désinformation, sur la servilité et la peur, sur la négation de l'individu au profit de la ligne du Parti. Il développe de nombreux aspects à travers les trajectoires des divers personnages : scientifiques, prisonniers, militaires, ... Si l'on est souvent révolté de la mécanique implacable du système soviétique, Vassili Grossman apporte néanmoins une touche d'espoir avec la survivance de la bonté humaine que rien ne semble pouvoir anéantir.
Ce roman est la suite de "Pour une juste cause" qui reprend ses nombreux personnages en cours de route. Au début il peut être parfois difficile de s'y retrouver sans compter la particularité des patronymes russes qui complexifie l'ensemble. Dans l'édition de poche figuraient des cartes du front en annexes (parfaitement inutiles : les lieux cités dans le livre n'y apparaissent pas pour la plupart) et j'aurais largement préféré un index des noms propres pour m'y retrouver. Il ne faut pas non plus s'attendre à une fin fermée, nous quittons chacun des protagonistes dans une période de transition qui laisse de nombreux points de suspension...
Malgré tout ce livre intense et vrai mérite sa place dans toute bibliothèque qui s'intéresse au genre humain. La finesse des analyses psychologiques et politiques ainsi que la justesse de l'écriture en font un excellent roman.
De la guerre et d'autres batailles
Critique de SpaceCadet (Ici ou Là, Inscrit(e) le 16 novembre 2008, - ans) - 28 janvier 2013
Bien qu'elle ne soit nécessaire à la compréhension de cet ouvrage, la lecture de 'Pour une juste cause' permet d'une part d'observer l'évolution personnelle de l'auteur, ce qui constitue un élément essentiel dans cette oeuvre, et d'autre part, elle permet au lecteur d'aborder ce second volet avec une connaissance plus précise du contexte ainsi qu'une meilleure appréciation du parcours des personnages que l'on retrouve ici.
D'un style moins descriptif que le premier livre, cet ouvrage propose une approche plus synthétisée et un peu plus romancée des événements qui y sont relatés. On y retrouve les personnages principaux du premier volet, de même qu'un certain nombre de nouvelles figures, des personnages qui dans l'ensemble, sont ici plus approfondis, plus près de leur expérience, de leur humanité devrais-je dire, tandis que les faits historiques forment la toile de fond sur laquelle ou au gré de laquelle ils évoluent.
Au niveau de la thématique, contrairement au livre précédent, l'auteur s'exprime ici plus ouvertement. Ainsi, si l'on sent la passion et la douleur qui animent l'homme, on peut également deviner qu'il tente, par la voie de l'écriture, de régler ses comptes. De ce fait, plutôt que d'avoir intégré au corps du récit les thèmes abordés, il a choisi de les développer d'une manière discursive, ce qui, non seulement porte atteinte à la continuité du récit mais aussi à l'uniformité de la langue. Du reste, il va sans dire que ces cassures, ajoutées aux multiples déplacements de perspective, ont pour effet d'effriter l'attention du lecteur.
Résultat d'un travail minutieux et documenté, cet ouvrage, oscillant entre documentaire et commentaire le tout bien ficelé à coup d'éléments fictifs, n'est jamais tout à fait 'roman'. Il constitue à la fois un témoignage exceptionnel et une lecture exigeante.
Voyage aux enfers
Critique de Poignant (Poitiers, Inscrit le 2 août 2010, 58 ans) - 15 juin 2012
Pendant ce temps, le vieux bolchevik Mostovskoïe, fait prisonnier, découvre l'enfer des camps de concentration nazis...
Pendant ce temps, le zek Abartchouk, apparatchik victime des purges de 1937, essaie de survivre dans l'enfer du goulag...
Ce roman est exceptionnel, son histoire également. C'est la deuxième partie de « Pour une juste cause », paru en URSS en 1952, qui évoque Stalingrad avec une indispensable prudence pour échapper à la censure.
« Vie et destin », écrit dans les années 50, incarne l'illusion de la liberté d'expression après la mort de Staline et les révélations du XXème congrès. Terminé en 1961, il est saisi par le KGB, transféré clandestinement en occident et finalement publié en 1980.
Vassili Grossman, écrivain officiel, correspondant de guerre couvert d'honneurs, évolue à travers ce roman vers la dissidence et la dénonciation implacable du système soviétique. Il est mort en 1964 sans savoir que son oeuvre lui survivrait...
En 1100 pages, la saga de la famille Chapochnikov devient la dissection comparée de deux monstres totalitaires jumeaux, le nazisme et le stalinisme.
Ce pavé est un amoncellement de chapitres tous plus puissants les uns que les autres, traités avec des références historiques de première main :
- la lettre à son fils d'une mère juive qui va être tuée par les nazis
- la confrontation d'un vieux bolchevik et d'un vieil opposant démocrate
- la libre fraternité des défenseurs de Stalingrad
- les commissaires politiques et la délation
- la détresse des parents des soldats tués
- l'incompréhension des « bons soviétiques » face à la répression
- le sort des familles injustement déportées
- le dialogue surréaliste entre un officier SS et l'une de ses victimes
- les doutes du commandant de la contre-attaque de Stalingrad
- les chambres à gaz
- l'abattement d'un grand physicien juif face à l'antisémitisme stalinien
- l'injustice aveugle qui frappe les héros ...
Certes, le style est très classique, avec certaines longueurs. On peut facilement se perdre dans la multitude de personnages, surtout si l'on n'a pas lu la première partie.
Mais l'ensemble est d'une telle richesse et dégage tant d'émotion, que l'on ne peut plus s'en extraire.
Un des 10 romans essentiels du XXème siècle, inoubliable.
A lire absolument et à faire lire, sans avoir peur du nombre de pages.
Un grand roman russe
Critique de CptNemo (Paris, Inscrit le 18 juin 2001, 50 ans) - 30 juin 2010
Vie et Destin comme son nom l'indique nous raconte la vie de plusieurs personnes plus ou moins unies par des liens de parenté durant l'année 42 et le début de 43. Le pivot du livre est la bataille de Stalingrad. Le roman nous raconte l'affrontement titanesque de deux systèmes totalitaires, la Russie stalinienne et l'Allemagne nazie. La grande thèse du livre étant la proximité des deux systèmes totalitaires qui se livrent bataille.
On passe par les goulags, les labos russe, Moscou, les camp de Treblinka avec quelques scènes terriblement poignantes et bien sûr Stalingrad. On vit l'absurdité du système soviétique, la suspicion généralisée, la peur de l'arrestation, les communistes fervents condamnés....
Les personnages ne sont ni des héros, ni des salauds, simplement des gens dépassés par un combat qui les dépasse et des états qui les écrasent.
La langue est admirable, souvent poignante mais jamais boursouflée.
L'auteur se fait le chantre de la bonté individuelle et de la vie qui doit continuer malgré les malheurs, la guerre, les massacres..... Un grand roman sur ce qui fait de nous des êtres humains quand nous sommes confrontés au pire.
Un témoignage incontournable
Critique de Tanneguy (Paris, Inscrit le 21 septembre 2006, 85 ans) - 11 janvier 2010
Mais ce roman a une histoire : il a été refusé par les éditeurs et saisi par la police politique sous Khrouchtchev. Grossman aura beau plaider en sa faveur en expliquant qu'il voulait seulement décrire la Vérité, les officiels lui rétorqueront que ce n'était pas bon pour le peuple soviétique...
Tout ceci est remarquablement expliqué dans l'édition de la collection "Bouquins" (Robert Laffont), qui comprend, outre les textes complets de "Vie et destin" et de "Tout passe" plusieurs documents inédits, dont une lettre à Khrouchtchev et le compte-rendu d'un entretien avec Souslov, et plusieurs nouvelles courtes, souvent émouvantes. Dans la préface Tzvetan Todorov, ami de Grossman, explique le parcours complexe de cet écrivain qui abandonne le confort d'une situation officielle pour dénoncer le système en place (parallèles avec ses contemporains Pasternak et Soljénitsine).
Une remarquable lecture...
Témoignage d'un repenti
Critique de Romur (Viroflay, Inscrit le 9 février 2008, 51 ans) - 1 juin 2008
Le roman mêle les aspects narratifs et événementiels avec des réflexions et analyses livrées sous forme de dialogues entre les personnages ou carrément de brefs chapitres autonomes. Plus facile à lire que « Les origines du totalitarisme », mais au moins aussi instructif pour qui fait attention aux détails et se plonge dans l'ambiance de peur, de défiance, de manipulation, de chantage. « A chaque jour, à chaque heure, année après année, il fallait lutter pour le droit d’être un homme, le droit d’être bon et pur ». « L’homme qui a péché connaît la toute puissance d’un état totalitaire : elle est incommensurable. Cette force énorme emprisonne la volonté de l’homme au moyen de la propagande, de la solitude, du camp, d’une mort paisible, de la faim, du déshonneur… ».
Le parallèle entre les deux formes de totalitarisme fait l’objet d’un dialogue inoubliable entre un haut responsable de la gestapo et un bolchevik détenu. « Il n’y a pas de gouffre entre nous. C’est une invention. Nous sommes des formes différentes d’une même essence : l’Etat-parti ». « Les communistes allemands que nous avons incarcérés dans les camps l’ont été par vous aussi en 1937 ». On perçoit seulement une différence de traitement entre les deux systèmes : le nazisme est décrit de l’extérieur, « à plat », avec des scènes et propos relativement conventionnels si on excepte le dialogue mentionné ci-dessus. Le communisme est présenté de l’intérieur, par petites touches, et c’est à travers les propos et les souvenirs des personnages qu’on découvre les purges staliniennes, la déportation des koulaks, les famines orchestrées par la collectivisation avec leurs millions de morts, la déportation des juifs et autres minorités en Sibérie…
Le témoignage et l’analyse sont d’autant plus précieux qu’ils sont livrés par un écrivain soviétique reconnu et honoré (il a réussi à échapper aux procès de 37, avec tout ce que cela peut impliquer de lâcheté et de silence alors qu’on arrêtait ses amis et sa famille) et que la mort de Staline a libéré de la peur de s’exprimer. Témoignage bouleversant aussi venant d’un juif : la lettre que Victor (Vitia) reçoit de sa mère est celle que Grossman aurait pu recevoir de sa mère, morte elle aussi dans un ghetto en Ukraine.
Sans rapport avec le contexte politique, il y a aussi de très belles pages sur l’amitié et sur la recherche scientifique.
Je mets seulement 4,5 à ce livre car, inexplicablement, il a manqué un petit quelque chose. Je n’ai pas réussi à établir un lien affectif avec cet ouvrage et je l’ai lu plus comme un documentaire et une réflexion philosophique. Peut-être parce que j’ai mis du temps à m’y retrouver entre les personnages. Peut-être à cause de la longueur. Peut-être parce que j’ai refusé inconsciemment une implication affective dans un tel univers.
Je recommande l’édition Bouquins même si elle est un peu coûteuse car, outre d’autres nouvelles écrites par Grossman à la même époque, elle contient une excellente préface sur la vie de Grossman et sur cette période de l’histoire.
Autopsie d'un leurre
Critique de Jlc (, Inscrit le 6 décembre 2004, 81 ans) - 12 mai 2007
Epoustouflé pour le courage de ce journaliste « dans la ligne du parti » qui devient un écrivain iconoclaste avec tous les risques que cela comportait et notamment ce déchirement, cette humiliation de se voir confisquer son manuscrit, y compris les rubans de sa machine à écrire. Le « dégel », consécutif à la mort de Staline, avait des limites ! Ce roman est un roman d’urgence pour dénoncer l’intolérable en décrivant le régime stalinien, effroyable machine à broyer les individus, machine que plus rien n’arrête et qui sombre, par la volonté d’un seul et de ses sbires, dans l’antisémitisme, après avoir éliminé les koulaks, les anciens camarades. Et ce n’est pas une excuse que de dire que tout ceci se fait au nom du peuple. Grossman a le courage d’aller au bout de sa logique en ne voyant plus aucune différence entre nazisme et stalinisme. Ce qui est une évidence en 2007 était une révolution intellectuelle majeure dans la Russie soviétique de la fin des années 50. Il ose dénoncer le réalisme socialiste, bible de l'art de l'époque. Il affirme la supériorité de l'individu en ces temps de collectivisme. Et finalement pour lui "c'est dans l'homme, dans sa modeste particularité, dans son droit à cette particularité que réside le seul sens, le sens véritable et éternel de la lutte pour la vie."
Enthousiasmé plus encore par le talent de Vassily Grossman qui nous emporte dans une histoire polyphonique. Il sait créer une ambiance (l’atmosphère étrange de la ville de Stalingrad après la capitulation allemande où flotte un sentiment de bonheur et de vide, tristesse devant la victoire), décrire en journaliste un évènement (l’enterrement de Lénine), imaginer l’indicible et le rendre réel (la mort dans une chambre à gaz de Sofia Ossipovna, femme sans enfant qui au cours du dernier voyage « adopte » un petit David, et dont la dernière pensée fut « Je suis mère ».), suggérer la naissance d’un sentiment entre deux êtres si dissemblables (la lente cristallisation de l’amour de Strum et Macha), raconter la vie dans ces appartements partagés où l’on s’épie, se jalouse, se dénonce (les démêlés d’Evguenia Nikolaievna), dire la solitude quand les autres se détournent de vous, la peur d’être arrêté et plus encore le sentiment d’être ennuyeux, sans talent (la lente dérive de Strum), avant la culpabilisation qui conduit à l’auto-accusation (l’histoire de Krymov, communiste solide que la police politique va vouloir détruire méthodiquement). Et tant d’autres choses encore !
Grossman a bien perçu et remarquablement évoqué le trait de génie de Staline qui va faire de la guerre un moyen d’associer le soviétisme au patriotisme, sorte de « russitude » du vingtième siècle. « A l’heure actuelle, un bolchevik est avant tout un patriote russe » proclame le « petit père des peuples ». Mais ceci ne l’absout en rien de ses crimes. Staline a été un leurre, un leurre monstrueux qui a trompé des centaines de millions de gens en leur faisant croire en sa sagesse, sa bonhomie, son génie scientifique, culturel ou moral alors que ce n’était qu’un dictateur sanguinaire qui fut parfois stratège. La conversation téléphonique de Staline et Strum est un véritable morceau d’anthologie.
A l’inverse des « Bienveillantes » qui est un roman paroxystique, « Vie et destin » est le roman de la dictature ordinaire, ce qui lui donne encore plus de force de dénonciation. C’est aussi le constat d’autopsie de ce leurre ignoble.
Si je partage certaines remarques de Jules, plus sur la complexité liée à la manière russe de nommer les personnages, leur nombre que sur la longueur, « Vie et destin » est un roman magistral dont on peut entrecouper la lecture en écoutant des pièces de Chostakovitch par Rostropovitch, un autre artiste de génie qui était lui aussi un homme devenu libre.
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