Olivier de Jérôme Garcin
Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances
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«La part manquante»
Jérôme Garcin avait un peu plus de cinq ans lorsqu’il vit son frère jumeau, Olivier, fauché sous ses yeux par un conducteur fou qui, précise-t-il dans ce livre, ne s’est même pas arrêté…
Onze ans après, son père Philippe que, tient à préciser l’auteur, le prénom prédestinait selon l’étymologie grecque à l’amour des chevaux, fait une chute mortelle au cours d’une promenade équestre ; cette vocation tardive de cavalier qui après avoir été salvatrice au cours des années suivant le drame, lui fut donc, en définitive, fatale.
Après avoir évoqué dans un précédent ouvrage autobiographique «la chute de cheval» cette mort brutale qui lui enleva son père à 45 ans, Jérôme Garcin revient sur celle de ce frère, son double, la part manquante, après un long travail de deuil de près d’un demi-siècle.
C’est en effet, le jour de son cinquante troisième anniversaire, très précisément le 4 octobre 2009, qu’il entame ce dialogue avec son jumeau disparu, certes douloureux, mais aussi libérateur ; il le conclura le 4 octobre 2010 avec cette ultime phrase :«J’ai avancé, galopé, respiré, ferraillé, aimé, et me suis dédoublé, convaincu que mes hivers d’homme précaire finiraient tôt ou tard par se confondre avec ton printemps d’enfant éternel.»
Une année, jour pour jour pour «coucher sur le papier» ces mots qui l’étouffaient car, déclare-t-il à la page 57 «il n’y a pas de meilleure confidente que la page blanche à laquelle, dans le silence, on délègue ses obsessions, ses fantasmes et ses morts» et, quelque cent pages plus loin «Peut-être même, si tu avais vécu, n’aurais-je jamais eu besoin d’écrire»…
La plus belle apologie du genre autobiographique qui soit et la preuve, s’il en était besoin, que derrière les épreuves les plus dures de la vie se cache toujours un petit pan de ciel bleu, le clin d’œil de la providence.
De même le hasard, auquel Jérôme Garcin ne croit d’ailleurs pas, voulut qu'Anne-Marie sa future épouse perdît son père Gérard Philipe à l’âge où lui-même perdit Olivier et les fît tous les deux orphelins très jeunes.
Ainsi déclare-t-il, «lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois, nous avions le même passif, nous marchions côte à côte sur les traces toutes fraîches de nos pères tombés les yeux ouverts dans la fleur de l’âge. Elle avait choisi en devenant actrice de prolonger le sien. J’avais choisi en vivant parmi les livres, d’entretenir la mémoire du mien»
En fait, on le comprend très vite, ce livre hommage au frère disparu est aussi l’histoire personnelle de l’auteur qui, du fait de la disparition de son double s’est vu contraint de vivre deux fois plus vite, son destin se calquant sur celui que l’absent n’a pas eu le temps de connaître.
Pour renforcer la portée de ce témoignage, touchant aux mystères insondables et inconscients de la gémellité et à l’incommensurable douleur que peut représenter ici-bas la perte d’un enfant, Jérôme Garcin s’appuie sur de nombreuses expériences vécues par d’autres parents éplorés ou des jumeaux que la mort a séparés, beaucoup plus tard au cours de leur existence ; ainsi Jaroslaw demeuré à Varsovie pour veiller leur vieille mère pendant que son frère Lech, le Président polonais, périssait en 2010 dans un accident d’avion. Triste sort pour le survivant de ce couple fusionnel et triste consolation pour l’auteur qui avoue ici au moins n’être plus hanté par la peur de voir disparaître son double, sa moitié et de devoir lui survivre !
Un livre attachant qui sort des sentiers battus du nombrilisme si fréquent dans ce type d’ouvrage.
Les éditions
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Olivier [Texte imprimé], récit Jérôme Garcin
de Garcin, Jérôme
Gallimard
ISBN : 9782070131631 ; 16,50 € ; 02/02/2011 ; 160 p. ; Broché
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Le double
Critique de Paofaia (Moorea, Inscrite le 14 mai 2010, - ans) - 23 novembre 2013
Cette sensibilité exacerbée aux textes des vivants précaires et aux témoignages des survivants figés dans la douleur ne m'a jamais quitté. On ne lit bien que pour se retrouver . On ne veut pas être étonné, on veut être conforté dans ses idées noires et ses frayeurs. Tous les enfants condamnés te ressemblent, Olivier, comme tous les morts jeunes et bravaches ont le visage de notre père, qui galopait vent debout pour se fuir et te rejoindre.
Je crois à la sincère communion de tous ceux qui ont perdu un être chéri, plus particulièrement un enfant, et que relie une abondante littérature de l'infortune. Elle repose sur une illusion capitale: chaque expérience du deuil est unique, irréductible, en apparence incomparable, et pourtant, dès qu'elle est couchée sur le papier, elle devient universelle, chacun de nous peut s'y reconnaître. On y lit ce qu'on a le sentiment d'avoir soi-même écrit.
Jérôme Garcin avait déjà brièvement évoqué dans La chute de cheval la disparition brutale, sous ses yeux , de son frère jumeau, Olivier. Il y revient ici , et si c'est bien un livre sur le deuil, ce n'est pas un livre sur l'absence, mais sur l'omniprésence en lui, survivant, de ce double " amniotique", auquel il parle, qu'il recherche partout , dont il imagine les destins désormais impossibles Ce faisant, il parle bien sûr beaucoup de lui et de ses proches, de ses angoisses , du manque de cet être semblable que personne ne peut remplacer, manque qui lui donne , à mesure qu'il vieillit, un sentiment croissant d’incomplétude, une manière de boiterie, invisible mais récurrente.
C'est un livre fort beau, grave et mélancolique , à la fois impudique et très retenu dans le style , un petit tombeau de papier.. pour un double amputé.
C'est mon défaut, je prends tout au pied de la lettre. Il suffit qu'on me dise: " Tu mets les bouchées doubles", ou : " Ta phrase est à double sens", qu'on me demande, à l'hôtel, si je désire une " chambre double", ou qu'on me prie de bien " conserver un double" par- devers moi pour qu'aussitôt me revienne en mémoire l'aveu d'Ernest Renan " Je suis double, quelquefois une partie de moi rit quand l'autre pleure." L'important est que cela ne se voie pas...
....Après moi, de toi, il n'y aura plus rien. Vouloir te prolonger aura été une illusion. Je ne t'aurai accordé dans ce monde qu'un ajournement dérisoire. A moins que ce soit toi, généreux, qui me l'aies concédé en me soufflant à l'oreille , avant de me quitter: " Va, vis et deviens." Ce sont, dans le film de Radu Mihaileanu, les mots adressés par une mère éthiopienne à son jeune fils qu'elle envoie en Terre sainte pour le sauver de la famine. Manque seulement une quatrième injonction: " N'oublie pas." Tu vois, je t'ai bien obéi. J'ai été sage. J'ai avancé, galopé, respiré, ferraillé, aimé, et me suis dédoublé, convaincu que mes hivers d'homme précaire finiraient tôt ou tard par se confondre avec ton printemps d'enfant éternel.
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