La triste histoire des frères Grossbart de Jesse Bullington

La triste histoire des frères Grossbart de Jesse Bullington
(The sad tale of the brothers Grossbart)

Catégorie(s) : Littérature => Fantasy, Horreur, SF et Fantastique , Littérature => Anglophone

Critiqué par Numanuma, le 6 mars 2013 (Tours, Inscrit le 21 mars 2005, 51 ans)
La note : 2 étoiles
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L'originalité ne suffit pas

Jimi Hendrix disait qu’il n’existe que deux types de musiques, la bonne et la mauvaise. Avec une certaine paresse, et un certain bon sens aussi après tout, je me suis dit qu’il en est de même de la littérature. Sauf que rédiger des critiques de lecture impose d’aller un peu plus loin. Il faut expliquer le pourquoi et le comment.
Donc, il existe deux types de livre : ceux que j’ai lus et les autres, qui attendent de passer dans l’autre catégorie. Mais là encore, c’est insuffisant. Il y les livres que j’ai aimés, ceux que je n’ai pas aimés et ceux qui m’ont laissé indécis, sans trop savoir où les ranger. Je pensais en avoir fini de ma classification qui commence à ressembler à une hiérarchie digne de la biologie avec ses familles, genres, classes et autres strates de classement.
Malheureusement, je viens, avec ce bouquin, de tomber sur autre chose, une catégorie que j’appellerais « what the fuck » ? L’anglais possède une capacité à résumer les sentiments en peu de mots assez remarquable.
La Triste histoire des frères Grossbart est un roman plus qu’improbable écrit par l’américain Jesse Bullington et publié chez nous Eclipse.
Les frères Grossbart vivent dans un petit village allemand au milieu du Moyen Age. Un jour, ils décident de suivre les pas de leur grand-père en Egypte où ce dernier aurait fait fortune comme pilleur de tombes. Dans la famille Grossart, le métier se transmet de génération en génération… Avant de partir, il leur faut régler une petite affaire de voisinage qui se transforme en massacre de toute une famille de fermiers, bébés y compris…
Avouez que le pitch est assez inhabituel et on comprend mieux les citations du Guardian et du Daily Telegraph ajoutées en 4ème de couverture : « imaginez Tarantino croisé avec Rabelais » et « plus sombre que la plus sombre histoire des frères Grimm ».
Je me demande si j’aurais choisi ce bouquin sans avoir lu les contes de Grimm il y a peu de temps…
Bref ! Voici donc l’histoire de deux ordures intégrales pour lesquelles il est absolument impossible de ressentir la moindre sympathie, ce qui est quand même un coup de force. Les frangins tuent, étripent, éviscèrent, découpent, tranchent dans le vif au nom de la Vierge mais se moquent franchement de cette petite frappe de Jésus qui s’est laissé faire par les Romains. D’ailleurs, le roman est rempli d’élucubrations théologiques qui constituent l’essentiel des discussions entre Hegel et Manfred. C’est sur ce point, je suppose, que le Guardian a cru bon de rapprocher Bullington de Rabelais. Voyons :

« …, les frères étaient pris par une discussion à bâtons rompus sur Marie et Sa lopette de fils. Hegel semblait incapable de comprendre comment une demoiselle aussi merveilleuse avait pu engendre un marmot aussi pusillanime.
- C’est pourtant simple, théorisa Manfred. Après tout, M’man était une souillon de putain, mais nous, on est comme qui dirait immaculés.
- Tu causes vrai, admit Hegel, mais c’est régulier que de jolis drageons sortent d’un cul merdeux, donc c’est pas autant une anomalie que si une dame précieuse et honnête mettait bas un capon plutôt qu’un héros.
- N’empêche qu’il a morflé, le bougre, et sans jérémiader.
- Et pis après ? Rien faire alors qu’on te cloue sur une croix, ça parait pas très probe. Il aurait pu au moins leur filer un petit coup de pied, rien qu’un, juste pour dire.
- Ca je remets pas en cause.
- Seulement passque t’oses pas, corniaud contrarieur. Chuis sûr que tu voudrais dire qu’il s’est montré bien hardi en les laissant le torturer à mort, mais on sait tous les deux que c’est des enculetteries. »

Je crois que le mot « édifiant » s’impose, non… Edifiant de bêtise crasse et vulgaire. Mention spéciale au traducteur qui a dû s’amuser pour transcrire tout cette merde. Certes, Rabelais prenait de large liberté de ton avec les normes de son temps mais il avait du talent, pas simplement une idée marrante.
Le plus étrange dans tout ça est que l’idée d’un roman avec comme personnages principaux des types que tu ne peux que haïr est géniale. Moi qui rêve encore d’un film américain avec une ordure intégrale comme héros, sans morale à la noix à la fin, j’aurais dû être plus que satisfait de ce roman qui met à mal tous les codes du conte de fées, qui ne moralise pas et qui présente la violence comme unique voie de survie. Je suppose que ce dernier point justifie la comparaison avec le brillant Tarantino.
Sauf qu’ici, tout est plat. Tout s’enchaine sans temps mort et pourtant, on s’emmerde à force de voir venir le truc suivant, à attendre le prochain massacre plus ou moins justifié, la prochaine discussion sans queue ni tête entre les frangins et le prochain flashback sur leurs ennemis.
Parce que oui, les deux jumeaux, en plus d’avoir le lecteur pour témoin effaré de leurs agissements, ont des ennemis. Des ennemis du même niveau d’ignominie, évidemment, faut bien ça. Mais là encore, on tombe dans la surenchère et, on s’y attend très vite, ce ne sont même pas eux qui mettront fin à leurs agissements.
La fin est finalement le point le plus intelligent de ce bouquin qui ressemble plus à une grosse pochade qu’à un véritable roman. Et pourtant… La couverture est parfaite. Il y a de quoi lire, plus de 450 pages et une interview de l’auteur, une bibliographie, une préface. Sur ce point, le lecteur n’est pas volé. Et commence la lecture et là…
Et là commence l’interrogation. Impossible d’aimer un truc pareil et pourtant impossible de ne pas aller au bout. C’est mal écrit, ou mal traduit, je ne sais, mais les épisodes de combat sont toujours confus. L’idée de départ est excellente, le travail ne l’est pas, ce qui gâche tout mais on veut comprendre. Encore maintenant, alors que je rédige, je ne sais pas s’il s’agit d’une des plus grandes escroqueries de la littérature ou d’un coup de génie. Les deux se ressemblent beaucoup au fond. Rejet du cœur mais interrogation de la raison d’autant plus grande que les recherches que j’ai faites sur le Net arrivent plus ou moins à la même conclusion : original, surprenant, prenant. Que du positif !
Le guitariste Ted Nugent disait, « si c’est trop fort c’est que t’es trop vieux ». Serais-je trop vieux ?
What the fuck ?

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Les éditions

  • La triste histoire des frères Grossbart [Texte imprimé] Jesse Bullington [traduit de l'anglais (États-Unis) par Laurent Philibert-Caillat]
    de Bullington, Jesse Philibert-Caillat, Laurent (Traducteur)
    Panini / Eclipse (Saint-Laurent-du-Var)
    ISBN : 9782809428391 ; 10,58 € ; 23/01/2013 ; 467 p. ; Broché
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