Traité de la réforme de l'entendement ; Court traité ; Les Principes de la philosophie de Descartes ; Pensées métaphysiques de Baruch Spinoza

Traité de la réforme de l'entendement ; Court traité ; Les Principes de la philosophie de Descartes ; Pensées métaphysiques de Baruch Spinoza

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Philosophie

Critiqué par Gregory mion, le 1 juillet 2013 (Inscrit le 15 janvier 2011, 41 ans)
La note : 10 étoiles
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This must be the place : l'éternité.

Les quatre textes qui composent ce recueil sont élaborés plus ou moins entre 1660 et 1663. Tous pressentent les deux immenses travaux que seront le Traité théologico-politique (publié anonymement en 1670 et d’emblée qualifié de blasphématoire aussi bien par les catholiques que les protestants) et L’Éthique, qui paraîtra à titre posthume, comme d’ailleurs le Traité de la réforme de l’entendement, ainsi que d’autres textes et la correspondance que Spinoza ne refusa jamais d’entretenir.
Le Court Traité, quand bien même son manuscrit fut récupéré dans un état déplorable, peut se lire comme une répétition générale de la doctrine spinoziste. Cette doctrine sera fortifiée et complétée par L’Éthique, mais pour ce qui concerne le Court Traité en tant que tel, il s’agit de proposer une philosophie de Dieu et d’en éprouver les résultats corrélativement à la nature humaine, en montrant comment celle-ci tend à construire ses connaissances en s'appuyant sur les affects. Si les conclusions de Spinoza sur la nature humaine sont parfois sévères, cela s’explique en partie parce que le Court Traité est un texte fragmentaire dont on ne peut inférer le projet terminal, mais aussi parce que l’auteur reviendra sur nombre de ses définitions préliminaires pendant la rédaction de son grand œuvre, où il expliquera de façon plus définitive ce qu’il faut envisager de la connaissance et quels sont les moyens de l’acquérir.
Cet aspect fragmentaire est encore plus évident pour le Traité de la réforme de l’entendement, dans lequel Spinoza pose qu’une connaissance appropriée est bel et bien possible, et que la raison est de ce fait capable d’être droite et scientifique pour peu que l’on accepte de réexaminer concrètement les « occurrences les plus fréquentes de la vie ordinaire ». Parmi l’expérience de la vie quotidienne, on retrouve les conditions trompeuses de la richesse, de l’honneur et du plaisir des sens, toutefois les intentions primordiales qui conduisent l’auteur à rectifier le traitement de nos connaissances, outre que ces intentions finissent par brosser un portrait saisissant des caractères inconstants et futiles, elles n’en restent pas moins lapidaires, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas exactement raccordées à un discours qui permettrait de se les administrer en propre et d’en retirer immédiatement les fruits. C’est que, pour Spinoza, son projet philosophique consiste d’abord à préparer le terrain d’une grande Morale, en l’occurrence une morale à partir de laquelle la multitude des hommes pourra reconsidérer l’ensemble des actions qui donnent une forme à la société civile. Ceci ne doit donc pas être confondu avec une ambition qui serait davantage « physicienne », c’est-à-dire une pensée qui voudrait au premier chef déchiffrer la Nature avant de poser éventuellement les jalons d’une morale. Spinoza est moraliste avant d’être physicien.
La morale transitive de Spinoza est ce qui le différencie de Descartes et de son « cogito » réduit à la pratique d’un seul sujet. À la solitude fondamentale du sujet cartésien, Spinoza substitue la pratique d’une raison collaborative. L’élimination de toute forme de séparation entre les hommes permet de retrouver la valeur d’une existence homogène qui dépend de la substance infinie (Dieu), la seule qui substance qui soit. En effet, contrairement à Descartes qui postule deux substances hétérogènes (la pensée et l’étendue, ou l’âme et le corps), Spinoza n’accorde qu’une substance (Dieu). Il suit de là que la pensée et le corps deviennent des Modes qui expriment Dieu, à savoir la Substance qui contient toute la réalité possible. L’une des conséquences essentielles de l’assimilation de Dieu à la Nature, c’est que les individus, en tant qu’ils sont chacun des expressions de la Substance, sont d’emblée placés dans l’orbite de la seule vérité qui existe. C’est le principe éthique qui nourrit toute la philosophie de Spinoza et qui le dispense de construire une méthode à la manière de Descartes. Mais dans la mesure où les hommes sont des êtres mortels, des êtres de finitude, il est important pour eux de comprendre les pouvoirs dont ils sont les dépositaires et la façon dont ils pourraient les agréger à une conduite perfectionnée de la raison. C’est dans cette perspective que se redéfinit le concept de liberté : Spinoza n’est pas intéressé par les pouvoirs de la volonté, laquelle ne fait que limiter le libre-arbitre au chevauchement de deux substances inaliénables (un esprit infini qui se confronte aux réalités matérielles), il est plutôt préoccupé par les pouvoirs du corps, par ce que le corps peut raisonnablement accomplir ou pas, car la pensée est l’idée du corps, et le corps envisagé de la sorte se dit dans les termes d’une cause adéquate de nos actions. La liberté ne sera alors disponible qu’en vertu d’une connaissance adéquate de ce que peut le corps, de même que sera profitable une connaissance adéquate des affections qui nous transportent.
Ce basculement de la volonté vers le corps pour spécifier la liberté repose évidemment sur les définitions de la Substance. Le Dieu de Spinoza n’est pas un dieu volontariste, en ce sens que tout ce qui est possible se réalise, Dieu ne choisissant pas de suspendre dans un coin de son entendement ce qui pourrait être créé. Ceci exclut toute interprétation finaliste de la Nature, et donc toute volonté d’assigner à la nature des directions qui devraient concourir à nos désirs. Ceux qui s’évertuent à voir en Dieu l’origine de certaines de leurs déceptions, voire de certaines de leurs allégresses, ceux-là ne sont selon Spinoza que les représentants des superstitions, des craintes et des tremblements. La liberté, dans ces conditions, atteint son plus haut degré lorsque nous découvrons quelles sont les ressources du corps que nous avions jusqu’alors négligées en nous adossant aux seuls pouvoirs aveuglants de la volonté. À la suite de quoi, cette requalification du corps peut nous aider à optimiser les idées qui nous incitent à agir.
En bout de ligne, sachant que le désir (conatus) est l’essence de l’homme, que ce désir est guidé par les passions qui nous arrangent, et donc que nous pourrions vouloir persévérer dans notre être coûte que coûte, Spinoza entend donner à l’homme de la hauteur de vue. Plus nous ferons usage de la raison en fonction des meilleurs degrés de connaissance dont l’entendement est capable, (la connaissance la plus adéquate étant « la perception dans laquelle une chose est perçue par sa seule essence ou par la connaissance de sa cause prochaine »), plus nous augmenterons l’opportunité de librement nous réfléchir eu égard à la connaissance de ce qui nous incite à agir. Le désir ne s’en trouve pas pour autant nié ou minoré, il est au contraire réorienté en dehors des passions qui tantôt le restreignaient, en quoi il peut accéder possiblement à la joie, et surtout à ce sentiment d’appartenir à quelque chose de plus noble, de plus élevé et de plus précieux, à savoir le sentiment d’appartenir à l’éternité, parce que tout ce qui s’accomplit de concert avec la joie, et peut-être de concert avec la béatitude qui incarne la récompense ultime, tout ceci a lieu à travers une compréhension de soi qui saisit le monde considéré dans son unité – la Substance et l’infinité de ses expressions.
C’est pourquoi Spinoza ressentit l’urgence de proposer une pensée politique qui puisse s’adjoindre aux principes liminaires de sa morale, car il n'y avait dans ces vues de la nature humaine rien qui fût statique, en cela que l’intérêt de cette philosophie n’était pas tant de postuler une codification serrée de la Nature qu’une base pour amorcer un gouvernement rationnel des hommes. Puisque nous avons la possibilité de valoriser des fins rationnelles sans attenter au désir des individus, la grande Morale esquissée dans le TRE devait se redistribuer dans le Traité théologico-politique, où Spinoza nous introduisit à la tolérance et à l’État laïcisé, un État où chacun aurait la charge de ses pensées et où toute autorité religieuse serait repoussée si jamais elle devait essayer de s’imposer par la force. Autrement dit, le passage de l’éthique au politique réfléchit à la possibilité d’une multitude apaisée, et surtout aux conditions d’élaboration d’un gouvernement qui puisse persévérer avec autant de raison que l’homme persévère quand il se rend libre de comprendre ses actions.

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