Le général Dourakine de Sophie de Ségur

Le général Dourakine de Sophie de Ségur

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Enfants => 7-9 ans

Critiqué par Macréon, le 30 janvier 2003 (la hulpe, Inscrit le 7 mars 2001, 90 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 8 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (12 701ème position).
Visites : 6 279  (depuis Novembre 2007)

Un tout autre monde ...

Par hasard, je me suis donné le temps de relire “Le Général Dourakine" qui a diverti ma jeunesse, en même temps que Jules Verne, Stevenson et tant d'autres. Le Général Dourakine est un personnage très fortuné, relativement complexe, aux réactions imprévues, truculent, paternaliste et réactionnaire en diable. Il mélange égoïsme et bon coeur et est plus finaud que l'apparence qu’il donne.

De la comtesse de Ségur, j'ai surtout retenu les titres de ses livres, évocateurs et poétiques, parlant à l'imagination, d'excellents titres en somme: Pauvre Blaise, les Mémoires d’un âne, l’Auberge de l'ange gardien, Après la pluie le beau temps, Le mauvais génie, Un bon petit diable.
S’entretenir aujourd'hui de la comtesse est démodé, rétrograde et même complètement ringard. Comme l’indique notre "critique libre" Croquette (à l’origine d’un sympathique débat dans notre site), la description relativement crue de la violence au temps révolu de la noblesse franco-russe, choque indéniablement : menaces de fouet ou de knout, éducation rigide et conventionnelle, esprit de classe ou de condition comme l'écrivait Montherlant.
Croquette le fait remarquer: la violence d’aujourd'hui est partout... Personne ne souhaite revenir aux temps anciens, mais cela ne m’empêchera pas de relire un autre livre de la Comtesse (dont le but premier n'est pas la perfection stylistique),pour essayer d'approcher la magie, l'alchimie et même l’habileté technique de son style, simple mais efficace ainsi que les ressorts cachés de ses récits à la saveur très désuète. L'action change à vue d'oeil, de nouveaux personnages surgissent toutes les deux pages avec leurs colères, leur jalousie, leur mesquinerie. Ces livres doivent être lus comme des documents d’époque.Il y a une certaine fraîcheur , une naïveté , mais aussi un “ métier " littéraire fait de détails concrets, de situations rocambolesques, de personnages bons ou méchants ( le bien l’emporte sur le mal et l’on peut toujours corriger ses défauts) qui séduisent petits et grands.
Il est possible que ce soit la comtesse qui ait inventé le procédé des titres “entre-deux " aérant et entrelardant les dialogues comme dans un texte de théâtre.
Le philosophe René Girard (qui explique la violence du monde par sa théorie du désir mimétique) relit tous les cinq ans “le Général Dourakine". Agacé par les théories “assommantes" sur le sadisme de la comtesse, il vient de déclarer à Marie-Dominique Lelièvre (Libération du 5/1/03): "les punitions enfantines, c'est un sujet très sérieux chez elle. Hostile à la méthode russe, elle voit venir le problème de l'enfant d’aujourd’hui, l'enfant gâté".
...La comtesse de Ségur n’est pas rééditée pour rien, dans la Bibliothèque rose. Par ailleurs, le site Internet Gallica classique publie toute son oeuvre dans le cadre des "grands écrivains de France". Les fillettes qui la lisent encore ont soif de dépaysement, d'anachronisme, de belles histoires légèrement pimentées,de bons sentiments, de tradition et même d’archaïsme.

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Les bons sentiments

7 étoiles

Critique de Catinus (Liège, Inscrit le 28 février 2003, 73 ans) - 13 novembre 2018

Le vieux général Dourakine règne sur un vaste domaine quelque part en Russie. Il héberge les époux Derigny et leurs deux fils Jacques et Paul. Ce sont des Français. Un jour, une de ses nièces, Mme Paofski débarque avec ses huit enfants mal élevés et cruels. Cette dernière n’aspire qu’à une chose : mettre le grappin sur la fortune de son oncle. Une autre nièce, Mme Dabrovine et sa fille Natasha arrivent à leur tour ; elles gagnent l’affection du général. Vint un jour un mendiant qui n’est autre que le prince Romane, un noble polonais qui fut prisonnier durant des longues années en Sibérie. Il raconte d’ailleurs son calvaire dans les pages 280 à 310.

Le récit est truffé de dialogues. Le bien et le mal stéréotypés à l’excès, les bons sentiments sont omniprésents. Ainsi que la violence avec les coups de fouet et de knout dont vous trouverez quelques passages plus bas.


Extrait :

- Dis à ta mère que, si elle s’avise de toucher à un seul de mes Français, qui sont mes amis, mes enfants,... entends-tu ? mes... en... fants ! je la ferai fouetter elle-même devant moi, jusqu’à ce qu’elle n’ait plus de peau sur le dos. Va, petit gredin, petit menteur, va rejoindre tes scélérats de frères et sœurs. Et prenez garde à vous ; si j’apprends qu’on ait maltraité mes petits amis Jacques et Paul, on aura affaire à moi.

- Je les vendrai tous, excepté peut-être quelques enfants que je garderai pour amuser les miens. Il faut bien que mes garçons apprennent à fouetter eux-mêmes leurs gens ; ces enfants serviront à cela. Quand on fait fouetter, on est si souvent trompé ! Entre amis et parents, ils se ménagent ! Vous croyez votre homme puni ; pas du tout ! à peine s’il a la peau rouge ! C’est mon mari qui savait faire fouetter ! Quand il s’y mettait, le fouetté sortait d’entre ses mains comme une écrevisse...

- Les coups de fouet pleuvaient sur nous au moindre ralentissement de marche, au moindre signe d’épuisement et de désespoir. Jamais un acte de complaisance, un mot de pitié, un regard de compassion ne venait adoucir notre martyre.

les deux mots sont lâchés : liberté et espace !

6 étoiles

Critique de Darius (Bruxelles, Inscrite le 16 mars 2001, - ans) - 2 février 2003

Voilà deux mots essentiels lancés par Jules ! Et je l'approuve à 1000 % ! Voilà bien ce qu’on refuse aux gosses d'aujourd'hui. Ensuite, on s’empresse de les traiter de "gâtés", pour ne pas dire "emmerdeurs", car il faut bien le crier haut et fort : notre société est une société "enfants non admis"! Des exemples, j'en ai à foison pour vous prouver à l’envi que les enfants sont persona non grata à peu près partout où il existe un espace public, à commencer par les trottoirs de nos villes. Un automobiliste m’a pris à partie parce que mon fils, deux ans à l'époque, ne rentrait pas suffisamment vite sur mes talons, alors qu’il était sur le trottoir. "La prochaine fois, je l'écraserai comme un crapaud" me fut-il répondu. La semaine dernière, c'est un policier qui m'a dit, gentiment, je vous l'accorde, qu'il était interdit de s’asseoir sur le palier de la porte donnant sur la rue pour y dessiner consciencieusement. "Cela effraie les automobilistes"... Il faut dire que pour les automobilistes qui se sont appropriés tout l'espace public, trottoirs compris, les enfants font peur ! Déjà qu'ils râlent ferme parce qu'ils deviennent responsables des blessures faites aux usagers faibles ! Je viens de lire dans le forum de RTL que les panneaux de vitesse devaient s'adapter aux voitures et non l'inverse ! Et il s'agit du seul avis retenu par cette télé populaire ! Il y a vraiment de quoi se poser des questions sur l’intelligence de ces propriétaires de pare-buffles, pour citer Persée … Alors, je me pose la question, de quelle liberté et de quel espace disposent nos enfants, à part se terrer à l’intérieur ou fréquenter, sous la surveillance obligatoire des parents, ces plaines de jeux aseptisées dont tout brin d'herbe a été écarté pour la facilité des services d’entretien ?

Coïncidence...

9 étoiles

Critique de Isaluna (Bruxelles, Inscrite le 18 avril 2002, 67 ans) - 1 février 2003

Coïncidence amusante, qui me pousse à "commettre" moi aussi une petite bafouille au sujet de ce brave général : je rangeais (par le vide) mon sous-sol quand je suis tombée sur l'édition ancienne du dit bouquin, achetée un jour dans une brocante, en souvenir ému de ma jeunesse.
Le général a sur les images des rondeurs appétissantes, indiquant peut-être par là que sous ses coups de gueule le fond est bon, la comtesse Papofsky par contre y est aussi acérée que les coups de fouet qu'elle aime distribuer avec largesse, comme une dame d'oeuvres d'un nouveau genre. Je suis suis toujours amusée par les flots d'encre socio-psycho-philo que cette chère comtesse a inspiré et inspire encore. Ma fille a lu ses romans, plongeant avec délices dans un monde pour elle totalement imaginaire, qui lui plaisait justement par son "exotisme" , comme l'explique si bien Macréon. Là où elle a "cané" (comme moi au même âge), c'est devant les bondieuseries dans lesquelles se noie ce pauvre Blaise... ce qui a d'ailleurs été l'occasion d'une très chouette discussion sur la religion et ses pratiques au cours du temps! Les propos de Persée et de Jules me renvoient à une enfance qui comme la leur, a bénéficié d'espace et de liberté.
C'est vrai, notre imaginaire avait beaucoup d'espace pour s'épanouir, mais ne versons pas dans l'angélisme ...je ne me souviens pas que mon enfance fut un réel âge d'or, j'ai eu à affronter des difficultés qui sont épargnées à mes enfants qui eux, se trouvent confrontés à d'autres choses qui me furent épargnées. Gâtés, il le sont sans doute, et pourquoi pas? Si l'abondance de biens n'est pas un palliatif à l'absence... Je trouve les discours ambiants sur le monde moderne et ses maux un peu simplistes. Je pense que quelle que soit l'époque, les enfants peuvent "pousser droit" (comme le disait ma grand-mère) lorsqu'on les aime et qu'on les respecte, et que forts de cet amour et de ce respect, on sait leur enseigner le même respect à l'égard des autres et du monde dans lequel ils vivent. A partir de là, tout est possible, et même le meilleur...

Eh, oui !...

8 étoiles

Critique de Jules (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans) - 1 février 2003

Je crois que Darius a bien raison quand elle dit que nos enfants ne peuvent plus faire l'essentiel: jouer en toute liberté ! Moi aussi j'ai eu une enfance pleine d'espace, bien qu'habitant dans un quartier de la ville. Nous étions plein de copains dans les rues ou dans le parc. Nous jouions à cow-boy et indiens, nous faisions du patin à roulettes dans la rue et jouions au hockey en vélo. Mais il n'y avait quasiment pas de voitures et donc très peu de dangers. Nous pouvions aussi aller à l'école et en revenir à pieds malgré qu’elle était au centre ville et nous un rien à l'extérieur. Le trajet prenait trois quarts d'heure, mais qu'est-ce que nous pouvions nous amuser tout au long de ce trajet. Aujourd'hui, tout le monde craint le kidnapping ! La télé, nous n'avions pas, mon père n'en voulait pas ! Mais nous avions une salle de jeux chez nous, où venaient nos copains, avec un vrai kiker de café et un billard à deux trous. La vie était belle et nous n'avions besoin ni de nintendo ni de vêtements à griffes ! Le samedi matin mon père nous emmenait, mon frère et moi, voir des Walt Disney dans un cinéma spécialisé et tout notre dimanche en hiver, nous le passions au hockey avec lui. Lui sur le terrain et nous, un stick à la main au bord du terrain ou sur le terrain d'entraînement, à jouer à une bonne quinzaine de gosses. Aussi, dès que nous en avons eu l'âge, nous avons pu jouer en cadet et gagner trois fois notre championnat national. Quant à l'autorité, elle était bien présente ! Mon père, un homme adorable, ne se laissait jamais beaucoup casser les pieds ! Mais pourquoi l'aurions-nous fait ?... Nous avions notre luxe à nous: la liberté et l'espace !... Ces deux choses là évitent beaucoup de délinquance... Et le soir, je lisais dans mon lit.

relire la comtesse de Ségur

8 étoiles

Critique de Macréon (la hulpe, Inscrit le 7 mars 2001, 90 ans) - 1 février 2003

Darius, si quelque chose t'échappe au sujet de René Girard, fais comme moi: penses à acheter un de ses livres. (peut-être trop philosophique ?) La description de ta jeunesse (un peu spartiate tout de même) est bien faite: une belle évocation champêtre. Elle fera renaître des souvenirs à plusieurs d'entre nous. 100 % d'accord avec ce qui tu dis sur les playstations, la bagnole sacro-sainte et les trottoirs pris d'assaut.
Autour de moi, les enfants sont relativement ou fort gâtés. (quelle surenchère à l'école pour beaucoup de choses).
Frustrés ? Sans doute, tout le monde est frustré et regarde l'assiette du voisin.( et cela de plus en plus). Les enfants manquent très souvent de balises (c'est un peu banal ce que j'écris). Quant à la violence, je t'approuve aussi. Ce sont les gens d'aujourd'hui qui la fabriquent. Un(e) sociologue pourrait peut-être nous en expliquer les raisons. Décidément, que redire à ta critique éclair ?

Des champs et des bois

7 étoiles

Critique de Persée (La Louvière, Inscrit le 29 juin 2001, 73 ans) - 31 janvier 2003

Darius m'a jeté au visage une bouffée de mon enfance. Moi aussi je pouvais jouer au chevalier errant dans les champs et les bois sans qu'un ogre m'agrippe ou qu'une 4x4 avec pare-buffles (car chacun sait que les buffles courent les rues en Belgique, tandis que les muffles, non) m'écrabouille. Et sa réflexion sur les causes d'une certaine violence m'a interpellé. Elle remet pas mal de choses en place. Hélas, les temps ont changé sans que nous l'ayons spécialement voulu. Chacun de nous doit-il battre sa coulpe parce que Nintendo et quelques autres marques sont parvenues à cibler nos enfants, désormais public-cible ? On roulait plus vite il y a vingt ans. Il y avait moins de voitures, voilà. Les routes étaient faites pour tracer au plus vite. Maintenant vient l'ère des chicanes, des "gendarmes couchés", des radars automatiques... Mon père n'avait pas d'auto. Ma grand-mère avait interdit à mes parents d'acheter la télé pour que son petit-fils ne soit pas distrait dans ses études. Si bien que le petit-fils a beaucoup lu. Mais son fils à lui, plongé dans la civilisation de l'image, ne lit plus (bien qu'il y ait des livres à portée de sa main dans presque toutes les pièces). Devons-nous culpabiliser à outrance ? Le monde a changé. Avec nous (un peu). Sans nous (beaucoup).

Qui est gâté ???

6 étoiles

Critique de Darius (Bruxelles, Inscrite le 16 mars 2001, - ans) - 31 janvier 2003

J'ai bien aimé ta critique qui va au-delà des idées du bouquin, qui tente de poser une réflexion et d'établir un parallèle sur l'éducation des enfants en fonction des époques.
Mais lorsque tu cites le philosophe René Girard en dehors de tout contexte, j'en conviens, il y a quelque chose qui m'échappe sans doute, mais ce quelque chose me fait réagir. Voici la phrase que tu cites
"les punitions enfantines, c'est un sujet très sérieux chez elle. Hostile à la méthode russe, elle voit venir le problème de l'enfant d’aujourd’hui, l'enfant gâté". Personnellement, si je compare ma jeunesse à celle de mes enfants, j'estime avoir été plus gâtée qu'eux, et pourtant !!! Nous n'avions pas de télé, ma mère devait s'absenter trop souvent, week-end compris, pour ramener de l'argent, nous n'avions ni jouets, ni superflu, ni vêtements de prix, mais nous avions ce qui aujourd'hui est formellement interdit et qui pour moi reste le plus important dans la vie d'un enfant : le droit, l'autorisation, la permission de jouer avec nos copains dans les rues, dans les champs, dans les bois, cueillir des fleurs, pousser les portes des maisons, se rouler dans le foin, traire les vaches et j'en passe. Qu'ont-ils encore le droit de faire aujourd'hui, nos enfants ? Rien du tout, sauf regarder la télé, passer des heures à manipuler les manettes des playstations comme des malades. Et pourquoi ? parce que les adultes sont gâtés, paresseux et égoïstes et qu'ils préfèrent leur sacro-saint bien-être (la bagnole à tout crin) à celui de leurs enfants. Des autoroutes meurtrières, des routes qui détruisent l'espace public, des parkings qui remplacent les jardins, des trottoirs pris d'assaut, et pour couronner le tout, la vitesse pour tuer tout ce qui bouge. Et après on viendra nous dire que les enfants sont gâtés et deviennent violents. 1) Ils sont loin d'être gâtés, ils sont frustrés, oui, et 2) la violence, c'est nous qui la créons..

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