Sur la 132 de Gabriel Anctil

Sur la 132 de Gabriel Anctil

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 26 février 2013 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 8 étoiles
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Y a-tu de la biére icitte ?

Gaston Miron a écrit dans L’Homme rapaillé :

J’ai fait de plus loin que moi un voyage abracadabrant
Il y a longtemps que je ne m’étais pas revu
Me voici en moi comme un homme dans une maison
Qui s’est faite en son absence
Je te salue silence
Je suis plus revenu pour revenir
Je suis arrivé à ce qui commence.

Ces vers résument le voyage intérieur de Théo, le héros trentenaire de Sur la 132 de Gabriel Anctil, un jeune auteur qui a l’âge de son protagoniste, voire celui du Christ à sa mort. Avant de se faire crucifier sur la croix de la publicité, Théo, un créateur renommé de messages publicitaires, décide de quitter son condo luxueux en bordure du Parc Lafontaine de Montréal. Adieu profession payante et blonde (fiancée). Contrairement à Perrette de La Fontaine, il renonce à sa vache à lait avant qu’elle ne le rue. La rue l’attend. Sans yeux marris, il met le cap sur la 132, plus précisément vers Saint-Simon-de-Rimouski, situé à quelques kilomètres de Trois-Pistoles. Au volant de sa Citroën 1975, il enfile les 500 kilomètres qui le séparent de la petite maison abracadabrante qu’il a louée de Clermont, qui deviendra son ami et le voisin d’en face.

Exactement comme Mathyas Lefebure qui a quitté la publicité pour devenir berger en Provence, Théo s’installe dans un village secoué par le passage des vans (camion-remorque). Qu’importe ! Il a son voyage (est écœuré) de la ville. L’auteur renoue ainsi avec la thématique qui veut que la ville soit un lieu de perdition comme le proclame, dans Les Soirs rouges, le poète yamachichois Clément Marchand, qui a fêté son centenaire le 12 novembre.

Théo gagnera-t-il au change ? Dans son trou (bled) perdu, il risque de désenchanter plus vite qu’il ne le croit. Il s’aperçoit que les villageois sont des scèneux (curieux). On scrute ses moindres faits et gestes pour les transformer en rumeurs malveillantes. Serait-il un indésirable à la solde d’un organisme occulte pour que l’on raye leur village de la carte ? Combien de villages québécois ont disparus depuis quelques décennies ? Un grand nombre. L’écrivaine Ariane Gélinas s’est chargée de les ressusciter dans ses romans. Même si l’on placote dans son dos, il se mêle à la population avec candeur. Il fréquente surtout les Pistolets de Trois-Pistoles, qui vont s’accoter sur le zinc d’un assommoir pour regarder le hockey à la télévision. C’est sa chance. Soûls morts, on ne choisit plus ses amis. À grands coups de tapes dans le dos et de vomissure, il devient l’un des leurs. Hockey et bière sont les inconditionnels de l’amitié. La petite ville de 4000 habitants l’apprécie assez pour qu’on le laisse vérifier la qualité des matelas chez certaines villageoises. Pourtant Théo avait sévèrement jugé la population. Il voyait en elle des consanguins sans allure qui ne pensaient qu’à boire à l’ombre de la magnifique église de Trois-Pistoles avec ses nombreux clochers.

C’est le ton du roman qui confère la valeur de l’œuvre, ton qui ne se dément pas au fil des 515 pages. Gabriel Anctil a plongé dans le quotidien des Pistolets (maintenant des Pistolois selon les nouveaux gentilés) afin de faire ressortir leur grandeur d’âme, camouflée derrière les façades revêches. Le peuple apparemment décadent bat au rythme d’un pays qui se cherche un destin. Destin qui se conjuguera avec fraternité et amour pour s’accomplir. On est loin de la naïveté des penseurs de salon, incapables de s’arracher du divan pour vivre leurs rêves.

La gent virile appréciera ce roman jouissif qui leur est destinée. Elle verra ses pairs au volant de pick-up parader avec l’orignal qu’ils ont abattu dans la benne de leur truck. C’a du panache, surtout quand ils s’arrêtent devant l’un des deux bars de la région pour que l’on admire leur trophée. Malgré la pauvreté qui sévit dans les villages, l’âme est festive et l’entraide contagieuse, tel ce souper spaghetti organisé à la veille de Noël pour soulager la misère d’autrui.

Dans ce contexte, Théo nage dans le bonheur. Il se moule comme un caméléon à la population pour ne pas passer pour une tapette (homosexuel) de la ville. On le lui rend bien. Il se retrouve au volant d’un pick-up Toyota que lui prête un cousin qu’il ne connaissait pas. Le sang de la filiation s’ajoute à sa quête de sens. Comme dans la chanson Mille après milles du regretté Willie Lamothe, le héros peut s’arrêter parce qu’il « a trouvé la paix dont il sentait le besoin ».

Cette course au bonheur de Montréal à Carleton en Gaspésie passe par Trois-Pistoles. Parfois à la manière de Fred Pellerin, Gabriel Anctil déterre nos racines pour dégager les légendes qui ont nourri l’âme québécoise. Il le fait de belle façon avec un enthousiasme communicatif et une maîtrise scripturaire surprenante pour une première œuvre. Les descriptions sont bien fignolées et les dialogues savoureux embêteront nos cousins pétrifiés dans l’Hexagone même si Yves Duteil leur a dit que la langue de chez nous : « C'est une langue belle à l'autre bout du monde une bulle de France au nord d'un continent. »

Où se cache le bémol ? Les redondances. Pendant deux cents pages, l’auteur se complaît à décrire les beuveries d’un peuple en attente d’un destin qui ne parvient pas à s’articuler. Il manque juste Charles de Gaule pour les bouster (dynamiser) : « Pistolets, Pistolètes, vive La France, vive Trois-Pistoles. »

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