Hollywood de Gore Vidal

Hollywood de Gore Vidal
(Hollywood)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Tistou, le 18 février 2013 (Inscrit le 10 mai 2004, 67 ans)
La note : 10 étoiles
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Pire qu’Hollywood !

535 pages quand même. Un pavé du calibre de « Belle du seigneur », d’Albert Cohen, plein d’intelligence et de lucidité sur ce qu’allait devenir l’Amérique au sortir de la Guerre 14 – 18 (en même temps, il l’a écrit en 1989 !) mais surtout – ainsi que le suggère le titre, « Hollywood » - l’influence qu’allait représenter la montée en puissance du cinéma (Gore Vidal ne parle pas encore de télévision qui, à l’instar d’une bombe à fragmentations, démultiplie encore le problème) sur la manipulation et la fabrication de l’opinion publique – au moins américaine.
Pas didactique pour un sou, « Hollywood » (le roman) commence en 1916, au moment où l’Amérique – ses gouvernants, puisque Gore Vidal montre bien la mascarade de démocratie du système américain – danse d’un pied sur l’autre pour savoir s’il faut, ou non, intervenir en Europe, alors que l’Allemagne, la France, la Grande Bretagne ont déjà des millions de morts, pour pacifier l’Europe – rafler la mise, notamment économique via l’effort de guerre.
Nous suivons tout ceci à travers Caroline Sanford, propriétaire avec son demi-frère et rédactrice en chef du « Washington Tribune », qui se laisse convaincre que tout va dorénavant se jouer non plus à Washington, dans les sphères réduites du pouvoir entre Maison Blanche et Sénat, mais via Hollywood et ses productions. C’est ainsi qu’un « ordre de mission » est lancé ; faire passer les Allemands, qui comptent alors nombre de partisans parmi les immigrés originaires d’Allemagne et les Irlandais prêts à tout dès lors que c’est au détriment des Anglais, pour des « Boches ». C'est-à-dire préparer l’opinion publique à une intervention en Europe, pas vraiment populaire.
Caroline Sanford, d’abord pour jouer son rôle de rédactrice en chef, part observer ce qui se déroule concrètement à Hollywood, côte Ouest, à l’opposé du vieux Washington. Dans la suite du roman, elle délaisse complètement son rôle de journaliste, passant de l’autre côté de la barrière : actrice, puis productrice.
Et Gore Vidal fait progresser sur ce mode son pavé et développe ses thèses, très intelligentes – surtout pour un Américain censément aveuglé par le cinéma et tout ce qui est cocardier.
C’est passionnant et change du tout au tout des deux autres romans de Gore Vidal lus antérieurement : « Un garçon près de la rivière » et « Myra Breckinridge et Myron », quasiment uniquement centrés sur l’homosexualité (même si « Myra … » était aussi centré sur le cinéma. Déjà.).
Un tout petit épisode sur ce goût pour les amours homosexuelles :

« Au cours des dernières années, Blaise avait eu si peu d’aventures masculines qu’il avait presque oublié le plaisir qu’on peut goûter avec un partenaire de même sexe, surtout s’il est plus jeune. La jeunesse de ce garçon agissait sur lui à la fois comme un aide-mémoire et comme une incitation au plaisir, et l’espace d’un moment Blaise s’identifia avec son moi originel. L’absence de complications concourait également à sa félicité. Avec les femmes, il entre toujours un élément sentimental, même avec les prostituées. On ne peut jamais tout à fait oublier que quelque part elles sont destinées à devenir mères. Rien de tel avec un garçon. Là le plaisir est sans mélange, la liberté complète. Ieux encore, on ne s’embrasse pas. Le baiser, c’est bon pour jouer au papa et à la maman après que le serpent et la pomme eurent fait du jardin de délices un jardin de supplices. »

Un petit passage amusant concernant la France :

« Tim n’était pas un tartuffe, mais il était tout près de le devenir chaque fois qu’il se gargarisait de mots comme liberté, égalité, fraternité, droits de l’homme … A l’inverse des Français qui agitent ces notions comme de simples épouvantails destinés à les préserver de choses aussi désagréables que les révolutions, Tim y croyait ou faisait semblant d’y croire. »

Et un passage qui décrit bien la question qu’on peut se poser vis-à-vis de l’Amérique. C’est une question, dans le roman, que se pose le Président Wilson au moment de prendre la décision d’entrer en guerre contre l’Allemagne :

« J’ai essayé – je crois, avec une entière sincérité, mais qui peut sonder le cœur humain, à plus forte raison le sien ? – de rester en dehors de cette guerre – la plus stupide et la plus incroyable de toutes – qui, grâce à la banqueroute de l’Angleterre, vient de faire de nous la nation la plus riche du monde. Une fois que nous serons armés, aucune puissance ne pourra nous arrêter. Mais une fois armés, pourrons-nous jamais désarmer ?
…/…
Voyez-vous, je suis tout à fait capable d’imaginer ce que cette guerre va faire de nous. J’espère me tromper, mais je crains fort qu’une fois que ce peuple – et je le connais bien – aura goûté à la guerre il oublie à jamais le sens du mot tolérance. Parce que, pour gagner une guerre, il faut être brutal et sans pitié, et cet esprit de brutalité et de férocité va imprégner la fibre même de notre vie nationale. Le Congrès, la police, et jusqu’aux simples citoyens, tout le monde en sera infesté. Nous gagnerons, certes. Mais que gagnerons-nous ? Comment aiderons-nous le Sud … je veux dire les puissances d’Europe centrale, à passer d’une mentalité guerrière à une mentalité pacifique ? Et nous, comment nous aiderons-nous ? Nous serons devenus semblables à ceux que nous aurons combattus … »

Un ouvrage très exigeant dont la lecture me marquera …

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