Bérénice 33-44 de Isabelle Stibbe

Bérénice 33-44 de Isabelle Stibbe

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par TRIEB, le 24 janvier 2013 (BOULOGNE-BILLANCOURT, Inscrit le 18 avril 2012, 72 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 052ème position).
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BERENICE , UNE TRAGEDIE PERSISTANTE

La force d’une vocation artistique peut-elle tout occulter ? Peut-elle faire oublier le monde extérieur, surtout lorsque ce monde s’assombrit dangereusement ?

C’est la question qu’aborde Isabelle Stibbe dans son premier roman Bérénice 33-44.
C’est le récit d’une jeune fille, adolescente dans le Paris des années de l’entre-deux guerres, qui étouffe un peu dans sa famille, d’origine juive russe par son père, Maurice Capel né Moïshé Kapelouchnik, et par sa mère, née Valabrègue, appartenant à une vieille famille juive du Comtat Venaissin. Prénommée Bérénice en raison de la fréquentation par son père , au cours de la première guerre mondiale d’un instituteur , Louis, très Troisième république , amoureux du théâtre classique et de Racine .

Bérénice pressent , très tôt , que son existence va être remplie d’ennuis, de renoncements, si elle ne se consacre pas toutes ses forces à la réalisation d’un rêve qui revêt les caractères d’un impératif pour elle : monter sur les planches . Elle s’en aperçoit , en assistant à une représentation de la Comédie-Française Lorenzaccio . Elle y éprouve l’appel de la vocation, la sensation du sacré dans le statut de comédien : « Sans s’en rendre compte elle venait d’introduire le sacré dans cette enceinte rouge et or . Désormais , le monde se partageait en deux : d’un côté les prêtres du théâtre-assemblée de ministres du culte composée des artistes-de l’autre les païens : ces gens qui s’éventaient avec le programme, discutaient chapeaux et coiffeurs, dîners en ville (….) »

Le monde qu’elle pénètre est alors passionnant, inédit. Elle découvre le Conservatoire de la Rue de Madrid après avoir passé avec succès l’examen d’entrée. Elle s’y fait des camarades, parmi lesquels Robert Manuel, affronte l’autorité de Louis Jouvet, professeur au Conservatoire, qui la fait rapidement progresser. Pour Bérénice, la rupture avec sa famille doit être totale pour s’accomplir, pour réaliser ses rêves les plus chers . Ainsi s’échappe-t-elle du foyer familial, se fait procurer des faux papiers par une amie, richissime, qui l’a recueillie chez elle . Elle prend son pseudonyme, de Lignères, et se démarque définitivement, du moins le croit-elle, de ses origine juives.
Après être entrée à la Comédie-Française en 1937, elle joue au cabaret le Chat Huant .Elle rencontre Alain Baron, avocat et poète, ainsi que Nathan Adelman, réfugié politique ayant fui le nazisme, compositeur, qui rompt avec son engagement communiste après le pacte germano-soviétique de 1939. Tous ces personnages ont en commun avec Bérénice la conviction que la civilisation, les valeurs universelles de la culture peuvent et doivent s’opposer à la barbarie, constituer un rempart face à elle.

Pourtant, l’histoire rattrape Bérénice. Arrive la défaite de 1940, les premières mesures antisémites, le statut des Juifs de l’automne 1940. Cette situation catastrophique a pour conséquence la détention de son amant Nathan Adelman dans l’enceinte du stade Roland Garros, dont on apprend au passage qu’il a servi de lieu d’internement durant la drôle de guerre … Bérénice, probablement dénoncée par une collègue de la Comédie-Française , est contrainte de quitter la vénérable institution en raison de la révélation de sa judéité .

Il y a toute une description de la vie de cette institution, de son organisation, de sa hiérarchie, de son indifférence au monde aussi : « Surtout, elle commençait à se rendre compte qu’au Français, ils avaient été terriblement égoïstes. Mis à part la Brette, alertée bien avant la guerre de la gravité de la situation, qui s’intéressait sérieusement à la politique ? »
Ce qui ébranle vraiment Bérénice, c’est la décision de Jacques Copeau, successeur d’Edouard Bourdet à la tête de la Comédie-Française, de céder aux exigences de l’occupant nazi : purger la troupe de ses éléments d’origine « israélite».
Le rêve de Bérénice est brisé par la déception de voir une institution aussi prestigieuse, à laquelle elle a tant donné, sombrer dans le collaborationnisme, dans l’injustifiable. Pourtant, sa conviction que la culture peut changer la vie, l’embellir, ne la quitte pas vraiment .On apprend qu’elle se met en relation avec des grands du théâtre tels que Jean-Louis Barrault ou Jean Vilar, à qui elle écrit régulièrement. Bérénice s’engage en 1944 dans l’Armée Juive, organisation juive sioniste ; elle est arrêtée lors d’un banal contrôle de police dans un café et démasquée par suite d’un impair d’une de ses interlocutrices qui l’a appelée par son vrai prénom. Elle est déportée et meurt en camp.


Les qualités de ce roman sont multiples : Isabelle Stibbe nous fait partager l’enthousiasme de ses personnages, de Bérénice, de Nathan, d’Alain, qui veulent croire à la pertinence de la culture comme valeur. L’auteure nous rappelle que l’histoire , cruelle et arbitraire , peut emporter les bonnes volontés, et foudroyer des destins prometteurs . La reconstitution du Paris théâtral de l’avant-guerre est très réussie , les personnages attachants . On éprouve de l’empathie pour eux, de la tendresse. Ce roman est un hommage à la nécessité de l’idéal , de la passion , dans une vie humaine . Il rend aussi hommage aux victimes de cette sinistre période de notre histoire . C’est ce qui emportera l’adhésion du lecteur .

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Théâtre et guerre

7 étoiles

Critique de Killing79 (Chamalieres, Inscrit le 28 octobre 2010, 44 ans) - 11 mai 2015

Bérénice est une jeune fille dont la vie est guidée par l’amour de l’art. Poussée par son adulation et sa force de caractère, elle va prendre des décisions décisives pour réaliser ses rêves. Mettant de côté à plusieurs reprises sa vie personnelle, elle va tout mettre en œuvre pour être sur les planches. Chaque sacrifice lui permet de se rapprocher un peu plus de ses objectifs. Mais tout ça est sans compter avec la guerre 39.45 et les ravages qui vont déferler sur la communauté juive. Les origines de Bérénice vont devenir dès lors son plus gros fardeau.
Isabelle Stibbe nous plonge dans l’atmosphère assez anxiogène de cette période de l’Histoire. La tension mise sur les personnages s’intensifie à l’approche et au début du conflit mondial. Malgré son obstination, Bérénice ne peut que subir son destin, écrit par d’autres. Vivre de sa passion devient alors une impasse. Chaque juif n’est plus le maître de sa destinée.
Le contexte guerrier de ce roman est bien retranscrit, même si je n’ai rien appris de nouveau. Ce que je garderai en mémoire, ce sont les coulisses de la Comédie Française, dont les rouages m’étaient parfaitement étrangers. Je n’ai pas été envoûté par le récit, mais j’ai passé un moment agréable en compagnie du théâtre et de la guerre, qui ne font définitivement pas bon ménage.

Passion pour le théâtre et Histoire

6 étoiles

Critique de Isad (, Inscrite le 3 avril 2011, - ans) - 19 février 2014

L’auteure relate une période historique par l’intermédiaire de l’histoire d’une actrice de théâtre d’origine juive. Dans la grande majorité du livre, l’auteure nous montre la volonté féroce d’une enfant puis d’une adolescente qui se sent une vocation pour ce métier décrié par ses parents. Avec la complicité, car elle est encore mineure d’une cliente de son père, fourreur, elle parvient à réaliser son rêve de suivre des cours et à entrer à la Comédie française.

Nous sommes alors plongés avec une avalanche un peu fastidieuse de noms d’artistes de tous genres qui évoluent dans une société fermée. Les personnages sont la plupart du temps égocentriques et jaloux d’autrui, centrés sur leur Art. La guerre et son cortège de restrictions, brimades, solidarités et engagements viendra heurter cet univers clos et plongera tout le monde dans une réalité stigmatisante.

Ne m’intéressant ni au monde du théâtre ni à l’Histoire, j’ai pris le livre comme un documentaire sur cette période troublée stigmatisant des êtres pour leur appartenance à une religion ou une idéologie.
IF-0214-4161

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  Sujets Messages Utilisateur Dernier message
  émouvant et beau à la fois 1 CHALOT 16 octobre 2013 @ 09:53

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