Silex, la tombe du chasseur de Daniel De Bruycker

Silex, la tombe du chasseur de Daniel De Bruycker

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Pendragon, le 19 janvier 2003 (Liernu, Inscrit le 26 janvier 2001, 53 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (3 718ème position).
Visites : 4 662  (depuis Novembre 2007)

Vers la tombe, il s'en retourne !

Voilà une œuvre tout à fait exceptionnelle, dans plusieurs sens du terme. Vous en trouverez vous même les différents sens si d’aventure les mots que j’ose à peine écrire sur cet ouvrage vous menaient à l'achat du sus-dit.
Trois jeunes archéologues soviétiques meurent dans un accident d'avion. Quelques mois plus tard un incendie détruit une grande quantité d’archives au sein de la bibliothèque de l'Académie des sciences. De leurs recherches, il ne reste rien. Rien, si ce n'est un journal, le journal intime que gardait l'un d’entre eux. En mémoire de ces trois jeunes gens, l’Académie fait aujourd’hui publier ce journal dans son entièreté.
Daniel Andreïevitch Izdolchtchikov, Vera Petrovna Khabarova et Oleg Pavlovitch Zmietline sont au Tadjikistan, ils sont là pour effectuer des fouilles et des études sur une tombe qui a été découverte, une sépulture de 48 000 ans.
Daniel rédige son journal, réflexions de paléontologue, poèmes, interrogations et philosophies marquent les pages. C'est ainsi que l'on se retrouve dans la peau d'un chercheur-philosophe qui ne se contente pas de dater les ossements qu’il trouve, mais propose plutôt une étude philosophique, une question profonde sur ce que pensaient ces anciens hommes, nos ancêtres.
Mêlant religion, sociologie et ethnologie, sa réflexion sur ce passé si lointain le ramène (et nous ramène) sans cesse vers notre propre devenir. Passé lointain et futur proche se croisant et se décroisant sans cesse pour tourner dans la spirale du temps qui se veut infini et qui est nôtre. Mais l'est-il vraiment ?
Formidable bouquin, recueil de pensées dont la profondeur est directement dictée par la profondeur de la fosse qu’ils creusent, chaque centimètre de terre les ramenant des milliers d'années en arrière, il nous offre bien plus que l’on ne pourrait s'y attendre.
Et, comme de juste, je ne résiste pas à l’envie de vous faire partager certaines réflexions :
« Trois tombes et déjà, entre ces chasseurs plein de mâle assurance, ces parents prévoyants et ces fossoyeurs poètes, un riche tableau moral de l'humanité : la foi conquérante, la prudence et le rêve, ces trois formes d'un même souci de l’avenir, ces trois portails de l’imaginaire vers l’au-delà… Que nous restait-il à inventer, hors la nostalgie et le pessimisme & le culte des passés révolus et celui des avenirs avortés ? Ou bien enterrer ses morts (et, davantage encore, enterrer un enfant, était-ce déjà cela aussi ? »
« Nous creusons, conscients d'une ignorance à laquelle nos fouilles espèrent remédier et tendus vers le savoir nouveau que nous en escomptons. Creusant vers le passé, c’est encore l'idée d’un progrès qui nous mène, d’un avenir plus riche de son propre passé, d’une vieillesse nourrie de plus de souvenirs, d'une mort ennoblie par sa haute naissance. »
« […] malgré eux et à travers nous, en un instant les siècles écoulés ont repris leur dû et ce mort, resté figé dans l'attitude de jadis, a fini de reprendre sa place inévitable de non-vivant dans le cours du vivant & nous renvoyant en même temps à notre propre rôle d'errants ballottés par les cahots du chemin. »
« Creuser la question, s'imaginant qu’une fois évidée, elle aura pris la forme d'une réponse. »

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Humble origine humaine

10 étoiles

Critique de Silex (dole, Inscrit le 13 mars 2011, - ans) - 13 mars 2011

SILEX, La Tombe du chasseur, est un roman, ou plutôt un journal fictif, rédigé par un jeune chercheur
russe à l'occasion de fouilles archéologiques, et publié à titre posthume par l'académie des Sciences de Leningrad.
Son auteur, Daniel De Bruycker, est un critique, poète et écrivain belge né en 1953. SILEX est son premier roman, publié en 1998 et paru en poche chez Actes Sud en 2001.

D’avril à juillet 1985, trois jeunes chercheurs de l'université de Leningrad partent au Tadjikistan tenter de mettre à jour la sépulture d'un homme de Neandertal, vieille de 48000 ans. Daniel, le paléoanthropologue de l'équipe, écrit, soir après soir, son journal, mêlant découvertes du jour, réflexions scientifiques et métaphysiques et il conclu souvent par un court poème.
Sur le plan scientifique, la découverte de cette sépulture est exceptionnelle, car jamais jusque là une tombe néandertalienne n'avait été découverte en dehors d'un abri sous roche ou d'une caverne. Or celle-ci est située au bord d'une rivière, et manifestement construite de toute pièce par les contemporains du défunt, probablement un chasseur moustérien, d’après la datation des traces de foyer découvertes lors d’une expédition préparatoire. Jour après jour, un lent travail d'exhumation permet aux chercheurs de découvrir une multitude d'objets, de restes d’animaux, de plantes séchées : toutes ces découvertes les plongent dans des abîmes de perplexité et leurs longues conversations, le soir, leur permettent d'avancer des hypothèses sur l'identité de l'inconnu, et sur la raison du choix d'un tel site pour l'inhumation. Ils reçoivent régulièrement la visite de leurs voisins, une tribu de bergers nomades semblant venir tout droit du fond des temps, avec lesquels ils parviennent à communiquer, et à découvrir de probables similitudes culturelles avec les néandertaliens les ayant précédés de plusieurs dizaines de milliers d'années. Des circonstances tragiques feront que le seul témoignage de ces longs mois de fouilles sera le journal de Daniel.

Ce livre est une pure merveille et je le relis régulièrement depuis une dizaine d'années, tant par goût pour la préhistoire que pour la beauté du texte et la profondeur de la réflexion. Exhumer un être enseveli depuis près de 50 000 ans plonge nos chercheurs dans des réflexions sur la mort qui voit là l’une des premières traces de sa conscience, donc également de la conscience, pour ces hommes très anciens, de leur propre existence. Le sentiment constant de violer une intimité ancestrale coexiste avec l'exaltation scientifique des trois chercheurs, et les écrits et poèmes de Daniel traduisent ce constant va et vient entre science et conscience. L'émotion suscitée par ce roman est difficilement traduisible, et j'ai choisi deux passages, dont le second est un poème.

"Quand meurt un homme ? Est-ce quand son bras retombe, lorsque son cœur cesse de battre, quand la chaleur enfin délaisse son corps ? Ou est-ce plutôt quand celui-ci disparaît sous la terre ? - mais notre dépouille vient au contraire d'en resurgir ! Est-ce enfin lorsque ses restes ont fini de se dissoudre, que sa sépulture s'est effacée, que son souvenir s'est retranché de la mémoire des vivants ? Mais voici les restes de "notre" défunt pourtant -voici sa tombe retrouvée- et nous voici, comme venus apporter la preuve du contraire !"

« Le temps passe comme trois voleurs :
le passé comme un receleur
le présent comme un faussaire
le futur comme un escroc. »

Quand ce roman a été publié, en 1998, l'homme de Neandertal n'était certes plus considéré comme la brute épaisse et sans cervelle qu'a été son image pendant les dizaines d'années suivant sa découverte au XIXème siècle, mais il restait néanmoins un cousin éloigné de notre ancêtre direct qu'est Cro-Magnon. Sa capacité à parler, à se concevoir en tant qu'être vivant, sa conception de l'art, étaient sujets à discussion, et sa place dans le panthéon de l'homme très discutée. Pourtant il fut le premier à enterrer ses morts, à prendre soin des infirmes et des vieillards et, depuis quelques mois, le séquençage de son ADN a montré que nous avions en nous, Européens, entre 3 et 5% de son patrimoine génétique grâce aux croisements qui se sont produits entre lui et nos ancêtres sapiens : nous ne sommes pas de la même race, mais de la même espèce. Sa disparition, brutale à l'échelle du temps, reste mystérieuse. Mais finalement, la science ne vient-elle pas de démontrer qu'il n'a pas disparu, mais plutôt qu'il s'est fondu en nous, discrètement, après avoir régné en maître sur l'Europe pendant des centaines de milliers d'années, quand nous, nous ne sommes là que depuis des dizaines de milliers d'années ?

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