Journal de Jean-René Huguenin

Journal de Jean-René Huguenin

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Jlc, le 19 janvier 2013 (Inscrit le 6 décembre 2004, 80 ans)
La note : 8 étoiles
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A la crête de la vague

Le 9 janvier 1956, Jean-René Huguenin, écrivain de 20 ans, ouvre son journal. Un accident de voiture le refermera le 20 septembre 1962. Malraux disait que la mort est ce qui transforme une vie en destin. Mauriac le rejoint lorsqu’il écrit dans sa préface, reprise dans son bloc-notes, que la mort a changé d’un seul coup la densité de chaque mot. Ce journal a été écrit pour être lu et à ce titre c’est une œuvre littéraire. Il ne raconte pas une vie dans sa banalité et son menu détail, il ne rapporte pas les péripéties du monde, ni les contingences d’une actualité qui ne l’intéresse pas, sauf le service militaire qu’il doit faire pendant 27 mois. Ce journal est le fil rouge d’une passion, la littérature, et plus spécifiquement « son » roman. Cette passion est d’une telle fièvre qu’elle révèle l’homme et donne à ce journal la dimension d’un grand texte.

Un ami lui dit un jour que JRH voulait dire « Je Rends Heureux ». Je ne crois pas que ce soit exact car le bonheur n’est pas sa recherche. Il est trop absolu, trop impatient, trop « impérialiste », trop tourmenté pour donner du bonheur aux autres. Il a l’amitié exigeante et on sent que celle qu’il a portée au critique Renaud Matignon laisse une blessure indélébile mais il ne dira jamais ce qui s’est passé. L’amitié ne peut aller sans pudeur. Ses amis s’appelaient aussi Jean-Edern Hallier « qui a cette impatience, cette instabilité fébrile des obsédés » ou Philippe Sollers à qui manquent « le sens du tragique, le goût du va-tout, des grandes folies ». De ses amours nous saurons peu et là encore les fragments esquissent le personnage. Il note au 15 mai 1961 un délicieux séjour avec M sur la côte normande avant de se trouver le 17 « infâme, besoin de tout gâcher » sans en dire plus. Trop exalté il sait que « l’amour prend du temps » mais lui n’en a pas ou si peu.

Son seul amour fut probablement la littérature. « Ecrire est au fond la seule chose qui ne m’ait jamais déçu ». Il joue avec les mots, ceux qui le cachent comme ceux qui le livrent. Cet amour est total et absolu et seul un journal, parce que c’est un confident, pouvait dire le bonheur d’écrire mais aussi sa souffrance. Quand il proclame « J’ai mon roman en mains » ou bien « mon roman démarre, ce sera le délire ou rien » on imagine sa joie profonde. Mais les nombreux plans de travail montrent un velléitaire, pour qui « la volonté suppose un certain amour de soi », amour qu’il n’a pas. L’anecdote romanesque l’intéresse moins que le mouvement et cet épris d’absolu, jamais satisfait, aimerait devenir le héros de ses romans.

Ce réactionnaire de vingt ans qui voulait « vivre sans vieillir », ambigu et tendre ou ambigu « parce que trop tendre », qui rêve de devenir pur et simple, « avide d’émotions fortes, toujours impatient de s’éprouver », qui « préfère n’importe quelle douleur à la banalité», qui raille « les petits épargnants de la littérature », choisissant, lui, « la générosité du danger à l’avarice de la prudence », qui « veut tout se permettre mais ne rien se passer », qui se dit « prêt à souffrir mais ne veut pas faire souffrir les autres », ce jeune homme de vingt ans voyait dans « l’abondance de désirs contenus la clé du bonheur » et déjà, le 4 septembre 1962, se disait las de son journal.

Eclatant de superbes formules qui claquent comme autant d’aveux, -telle cette confession d’enfant gâté : « pourquoi vous a-t-on déçu ? Parce qu’on m’a cédé. » - ce texte admirablement écrit est déchirant d’authenticité. Ce jeune homme, toujours prêt à souffrir, qui aimait « la paix de la nostalgie », « l’illusion profonde de liberté qui ne surgit que de la solitude » disait ne pas avoir peur de la mort car « toutes les morts sont belles », ce qui est pour le moins discutable. Celle croisée sur la route de Chartres lui aura au moins laissé de « vivre sans vieillir ». Et pour reprendre l’expression de Mauriac, « s’il roule à l’oubli comme les autres », ce journal« le retiendra à la crête de la vague ».

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