Descente aux enfers de Doris Lessing

Descente aux enfers de Doris Lessing
(Briefing for a descent into hell)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Stavroguine, le 18 janvier 2013 (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans)
La note : 8 étoiles
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Eloge de la folie pure

Un homme a été retrouvé au bord des docks de Londres. Sans le sou et marmonnant des histoires incohérentes, il est emmené au commissariat, puis transporté à l’hôpital. L’homme se présente tour à tour comme Jason, puis Jonas, puis Ulysse ou Sinbad, puis comme tous les marins du monde, et devant un personnel médusé, devant le gentil Docteur Y. qui tente doucement de le ramener à la raison et devant le méchant Docteur X. qui ne jure que par les thérapies de chocs électriques, l’homme raconte comment il a embarqué et vogue depuis des siècles à travers les océans, around and around and around and around and around and around dans l’espoir d’un jour Les rencontrer. Et il raconte comment un jour, enfin, Ils sont apparus sur Leur cercle de cristal et ont enlevé ses compagnons, le laissant seul sur un navire qu’il ne pouvait plus diriger, et comment il s’est alors construit un radeau, désespérant de Leur retour et dérivant jusqu’à ce qu’un marsouin le prenne sur son dos et le conduise sur une île où il assistera, témoin impuissant, à la naissance de la civilisation et du mal qu’il avait lui-même introduit, comme l’homme ridicule que fait rêver Dostoïevski.

Puis, l’homme sera identifié par une sorte de Deus ex machina : il s’appelle Charles Watkins et est professeur de littérature classique à Cambridge. Alors, les échanges épistolaires succèdent aux récits fantastiques. Femme, maîtresse, amis et collègues défilent pour aider la médecine à ramener à lui Charles Watkins, qui se dessine comme un personnage imbu de lui-même et méprisant, arrogant et même méchant, aux antipodes de Jason ou Jonas ou quel que soit son nom, qui avait tant vécu et qu’on avait aimé.

En somme, tout apparaît plus beau dans l’esprit de l’homme que dans le monde réel et sa folie s’apparente peu à peu à un combat, une résistance contre la réalité, contre un passé qui nous définit une fois pour toutes, quand bien même on déciderait un jour qu’on préfèrerait être Jonas ou Jason, plutôt que Charles Watkins. La supériorité de la folie apparaît à tous les points de vue : alors que le «rêve» de l’homme était raconté dans une langue splendide, proche de la poésie et se confondant parfois avec elle, les incursions de la réalité se font par le biais de phrases nominales et de noms de médicaments griffonnés sur des notes de médecins ou de lettres tour à tour larmoyantes et colériques, rédigées dans un style anonyme. Même la guerre, l’homme la rêve belle dans un des meilleurs passages du livre ; cruelle et dangereuse, mais belle.

Lessing livre ici un roman merveilleux, écrit dans une langue subtile, et qui sonne comme un éloge à l’imagination, voire même à la folie. C’est un roman de romancier, un livre où le possible - et peut-être même l’impossible - est placé au-dessus d’une réalité qui ne peut être que terne et décevante. Mêlant réalisme et fantastique dans un style brillant, Lessing parle de la supériorité de l’esprit et de sa lutte acharnée contre une société qui nous condamne à être à jamais ce que l’on est sur la base de ce que l’on fut. Malgré un premier tiers difficile où l’on se sent parfois perdu, Briefing for a descent into hell est incontestablement un très grand roman.

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