Du mercure sous la langue de Sylvain Trudel
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Un adolescent en attente de la mort
Frédéric Langlois est un adolescent hospitalisé pour un cancer des os. Confiné à un fauteuil roulant, ce jeune jette un regard cynique sur sa mort imminente, sur ses parents, sur la société et sur un Dieu auquel il ne croit pas.
Le héros se forge un humanisme athée pour affronter la grande faucheuse qui s'apprête à le couper d'une vie à laquelle il n'a pas encore goûté. C'est ce scandale de l'aventure humaine qu'il essaie de contourner pour ne pas se sentir une victime du destin. Il espère y arriver par une foi en l'athéisme comme l'Idiot de Dostoïevski. Il devient ainsi son propre Dieu, qui peut se passer des petits bonheurs terrestres, de la psychologue et de l'aumônier dont il vole les hosties pour les profaner. Comme Montherlant dans Les Jeunes Filles, il pourrait s'écrier : «Si je cherchais Dieu, je me trouverais.»
Pour apaiser son appréhension de la mort, le héros fuit dans la sphère de la métaphysique. Le lecteur peut se montrer sceptique à l'égard de cette fuite trop bien structurée. L'auteur corrige cette maladresse en le présentant aussi entouré de sa famille et d'une patiente dont il est devenu l'ami de coeur. Et c'est dans l'écriture qu'il trouvera un exutoire à sa révolte, comparable à celle d'un Job qui aurait troqué son tas de fumier pour un fauteuil roulant.
Ca reste un beau roman sur un sujet qu'on préfère ignorer. L'écriture très lyrique surprend pour un auteur de 40 ans alors que la mode est au minimalisme. Toutefois ses envolées ne viennent pas atténuer la gravité du propos.
Les éditions
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Du mercure sous la langue [Texte imprimé], roman Sylvain Trudel
de Trudel, Sylvain
les Allusifs / Les Allusifs
ISBN : 9782922868043 ; 1,77 € ; 15/02/2002 ; 132 p. ; Broché
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la vie et la mort sans illusion
Critique de Cyclo (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 78 ans) - 7 avril 2011
Ce roman déroule, non sans humour, les dernières semaines de Frédéric Langlois, un jeune garçon de presque dix-sept ans atteint d'un cancer des os ("Ça me déprime de penser qu'une tumeur d'un gramme contient un milliard de cellules malignes. Ça fait du monde à la messe et pas mal de bouches à nourrir ; ça fait surtout se demander si on fait le poids devant l'Éternel"), qui tient le journal de son existence de malade incurable à l'hôpital ("ma garçonnière", comme il appelle ironiquement sa chambre, qu'il partage avec d'autres jeunes malades).
Frédéric refuse toute complaisance sur son destin et sur la vie : "tu ne peux même pas t'imaginer ce que c'est que d'ouvrir l'œil, le matin, en ayant encore en soi ce vieux réflexe de bonheur, puis de se rappeler soudainement qu'on est condamné". Il mène la vie dure aux adultes, sa mère, la psychothérapeute, l'aumônier, car il ne veut pas se laisser nourrir d'espoir ou d'illusions. Dans sa lucidité, il peut même être cruel, se sachant aux portes de la mort, il n'a plus rien à perdre, ni rien à prouver. Seule peut-être sa grand-mère lui paraît acceptable (malgré sa religiosité), et surtout les autres malades, comme Benoît, Erik, Marilou qui lui dit : "L'idée qu'il n'y a peut-être rien après la mort est la seule qui pour moi ressemble à un espoir."
Son récit est émaillé de réflexions sur la vie, l'avenir qui n'existe pas, la maladie, la religion et ses consolations ("Malgré tous mes efforts de bonne volonté, j'ai jamais ressenti la bonté des anges, ni l'amour du Christ, ni la miséricorde de Dieu, […] j'éprouve douloureusement la solitude de la nuit et le désespoir des âmes perdues"), Dieu contre qui il se révolte ("Et pourquoi pas la vie éternelle sur la terre plutôt qu'au ciel ? Je l'aime énormément, moi, cet astre qui est le berceau des mes jours et le lit de mes nuits"), la mort, et sur l'amour qu'il aurait bien voulu connaître (mais il sait qu'il faut aimer et le plus largement possible : "il faut aimer tout le monde, les meurtriers, les lépreux, les violeurs, les athées, les héroïnomanes, les nazis, les prostituées... Ou alors il faut n'aimer personne, sinon c'est une humanité ni chair ni poisson qu'on a dans le ventre..."), sur les visites de politesse qu'on lui fait ("faut avoir le courage d'être brutal, sinon, sinon un homme peut tomber bien bas, jusque dans l'apitoiement qui est au bas de l'échelle des sentiments"). Sur la famille aussi, son père qui n'aura pas eu la vie qu'il voulait ("il a peur d'être un homme vu ayant cru. C'est qu'il manque tragiquement de foi en cet homme qu'il pourrait devenir s'il le voulait vraiment...", ce père qui était "un mari gêné d'embrasser sa femme devant ses enfants"), son frère et sa sœur qui lui manquent et qu'il ne verra pas grandir, sur la poésie aussi, car il écrit (comme Marilou) des poèmes qui l'aident à survivre (oh ! il ne se fait pas d'illusions là non plus : "la poésie ne sauve les poètes d'aucun mal, mais elle les emmure vifs dans ce qu'ils ont toujours su").
Et surtout il cherche à se préparer à la mort inéluctable ("Je suis rassuré, je vais me voir partir. Ça m'aurait déprimé de me manquer, de disparaître subitement sans m'apercevoir moi-même une dernière fois, pas pour me dire merci ni des niaiseries comme ça, mais juste pour me prendre par la main une dernière fois, pour m'aider à franchir le seuil de la nuit sans fin"), et qui viendra sans lui laisser le temps de vieillir : "c'est dans l'épreuve qu'on vient vraiment au monde. Je comprends enfin, à la lumière de ce ciel qui s'est effondré sur moi, que je n'ai rien d'exceptionnel et que j'étais vaincu d'avance. La seule chance qui me reste serait de coiffer la maladie au fil d'arrivée pour lui mourir de vieillesse sous le nez, mais il faut que je me grouille si je veux devenir vieux à temps". Il s'est même trouvé un pseudonyme de poète : Métastase, comme les cellules qui le rongent, car il a découvert dans le dictionnaire qu'il y eut un poète italien de ce nom ! Et voilà qu'il finit par se dire : "On meurt comme on s'exile, rêvant de paix et de richesses, mais le cœur gros de son pays natal".
Parfois, il a des relents de violence : "Personne comprend que des fois j'ai le goût d'assassiner tout le monde, que j'ai souvent besoin de cracher sur tout ce qui bouge, d'être plus cruel que jamais, je veux dire quand je sens que je suis fait comme un rat, que la gueule du loup se referme sur une nuit fatale et que je ne peux plus supporter la vie des autres, ces inconscients tout boursouflés par l'espérance de vie qui est la mesure du possible – mais c'est rien, c'est rien, c'est juste mes aigreurs de moribond qui me remontent du fond des tripes avec ma mauvaise foi". Car c'est tout de même dur de devoir, si jeune, renoncer à la vie et à tout ce qu'on n'a pas connu. Mais il ne veut pas se plaindre : "Je n'aurais vraiment pas aimé ça, vivre ma vie en braillant sur ma jeunesse enfuie, surtout que la jeunesse, quand on y pense, c'est rien et n'importe quoi, une chose et son contraire, une légende à dormir debout..." Et tout ça sans se bercer d'illusions : "Pour mon plus grand malheur, j'ai jamais cru aux choses simples comme le bonheur sans nuage, parce que je crois les choses bonnes et mauvaises à la fois, vraies ou fausses selon le jour, parfois même selon les lumières mêlées d'un même jour..."
Et il ne regrette rien, même pas la possibilité d'un miracle, sa grand-mère lui a bien fait comprendre la signification de ceux contenus dans les évangiles : "Il faut tâcher de voir l'ensemble, comme pour un paysage ou une peinture, sans ça, l'essentiel nous échappe. C'est comme quand Jésus guérit l'aveugle dans l'évangile de Mathieu : il faut pas aller s'imaginer que l'aveugle retrouve vraiment la vue ! L'aveugle se met pas magiquement à voir le vrai soleil du vrai ciel, eh ! ce serait trop enfantin ! Il reste aveugle au monde des objets, mais Jésus le remplit d'une lumière nouvelle qui l'empêchera à jamais de se perdre dans la nuit de son cœur. L'aveugle qui voit, ça ne veut pas dire bêtement « l'aveugle qui voit », ça veut dire « l'aveugle qui croit ». c'est comme quand Jésus guérit le paralytique à Capharnaüm : le paralytique se lève pas vraiment de son grabat, ce serait trop stupide, trop cruel pour les handicapés qui lisent la Bible, mais Jésus lui rend la dignité. La foi fait grandir la paralytique à la hauteur des autres hommes et c'est ça le vrai miracle. […] la foi, la vraie, c'est pas une question de jambes". Oui, la foi, c'est croire ce qu'on dit, croire ce qu'on fait, croire ce qu'on est...
Et pour cela, il faut peut-être "renoncer à soi-même et au monde des objets pour embrasser la laideur, la solitude, la vieillesse, la maladie et la mort", et penser que de tels malheurs, comme son calvaire à lui, Frédéric, "rendent les gens meilleurs, humbles et généreux, humains et miséricordieux, attachés à leurs pareils et amoureux de leurs derniers jours sur terre". Et voilà, dans sa garçonnière,il ne broie pas toujours du noir : "Des fois, ce sont les visages que j'ai aimés qui viennent repeupler ma solitude. On dirait qu'ils jaillissent d'une lampe des mille et une nuits, souriants et gracieux comme des bons génies, mais lorsque je veux les serrer contre moi, je referme les bras sur le néant".
Longtemps que je n'avais pas lu un livre aussi dense, aussi fort, aussi raide !
Ça brûle
Critique de DomPerro (, Inscrit le 4 juillet 2006, - ans) - 4 juin 2007
L’écriture même semble s’effondrer, couler, en une longue série de ponctuation. Ce style pourra irriter certains lecteurs plus conventiels, si j’ose dire. Et, dans Du mercure sous la langue, le narrateur est un adolescent mourant, mais d’une lucidité brutale, violente, qui nous parle en crachant des vérités monstres sur le monde, la religion, l’amour, le sexe et autre considérations.
Être attentif à ce que raconte Frédéric, ce jeune malade grave, peut relever de grandes vérités telles que : L’essence de la vie, c’est la vanille.
J’ai lu ce petit roman de feu en 2002, lors de sa sortie, et ça été mon coup de cœur de l’année. D'autres, qui ont adoré le Souffle de l'Harmattan, ont moins aimé Du mercure sous la langue.
À petites doses, ça annonce la chute de l'Occident...
L’essence de la vie, c’est la vanille.
Critique de Aaro-Benjamin G. (Montréal, Inscrit le 11 décembre 2003, 55 ans) - 18 novembre 2004
Dès lors, j’ai trouvé le ton complaisant. L’amertume du personnage d’adolescent mourant m’a plutôt exaspéré, au lieu de m’interpeller. Enfin, j’ai toujours eu de la misère lorsque l’on place des mots d’adultes dans la bouche des enfants. Si tous les adolescents de 17 ans avaient des réflexions aussi métaphysiques, notre monde serait meilleur. Mais ce n’est pas le cas, et j’aime mieux affronter la dure réalité, même si il s’agit de fiction.
Ceux que les Dieux aiment (ou haïssent) meurent jeunes
Critique de Vigno (, Inscrit le 30 mai 2001, - ans) - 16 février 2003
Il me semble que Trudel raconte bien les "derniers jours du condamné", avec ses différentes phases, de la dérision jusqu'à l'abdication et la révolte. On ressent tout le côté inachevé d'une vie de 17 ans, on éprouve le malaise ressenti devant toutes les bonnes intentions de ceux et celles, trop vivants, qui veulent nier la mort, comme s'il suffisait... On comprend la cruauté d'un tel destin et ce, encore davantage, quand on constate avec notre jeune héros que quelqu'uns de ses amis d'infortune quittent le mourroir en jetant un regard coupable derrière eux. Comme Libris le dit, c'est vrai que la crise spirituelle du héros est très vive, surtout en ces temps où les croyances et la religion sont si peu présentes dans nos vies. L'auteur a quand pris la peine de lui donner une famille très religieuse ce qui peut expliquer le développement du discours religieux.
Et il y a l'écriture de Sylvain Trudel, celle qu'il nous avait servie dans Le Souffle de l'Harmattan, une écriture pleine de belles trouvailles, une écriture qui enveloppe de poésie cette histoire douleureuse.
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