L'Embarcadère des femmes sans mari de Duong Huong

L'Embarcadère des femmes sans mari de Duong Huong
(Bêń không chông)

Catégorie(s) : Littérature => Asiatique

Critiqué par Myrco, le 8 décembre 2012 (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 74 ans)
La note : 8 étoiles
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Les souffrances de tout un peuple.

DUONG Huong (à ne pas confondre avec DUONG Thu Huong, l'auteure de "Terre des oublis") est né en 1949. Comme elle, comme Bao Ninh, il appartient à cette génération qui a combattu dans les rangs communistes pendant la guerre du Vietnam, une génération qui aura tenté d'exorciser toutes les douleurs, toutes les souffrances accumulées entre deux guerres successives et les dérives du régime.

Ce roman est celui de la mémoire, une mémoire terriblement douloureuse d'une période qui englobe environ une trentaine d'années des années 50 aux années 80.
La guerre dite "française" terminée, Nguyên Van, vainqueur de Dien Bien Phû revient dans son village de Dông, un village à l'image de n'importe quel autre village du Nord-Vietnam. Il rentre après de longues années de guerre, bardé de médailles et de cicatrices, physiques et mentales, drapé dans son ascétisme et son dogmatisme idéologique. Il est porteur d'une mauvaise nouvelle pour Nhân, de la lignée des Vu: son mari ne reviendra pas la laissant veuve avec ses deux garçons et sa petite fille, la douce Hanh.
C'est le temps de la Réforme agraire, des séances de dénonciation, des règlements de comptes, de l'éradication des propriétaires fonciers (même les plus modestes), de la redistribution de leurs biens. Pour un rien, on se retrouve emprisonné, exécuté pour simple suspicion de collusion avec les contre-révolutionnaires. Nguyên Van, devenu chef de la milice, fidèle au Parti, devra fusiller des membres de sa propre famille.
Dans ce climat délétère nait un sentiment qui deviendra un amour passionné entre deux enfants, Hanh et Nghia. Lui, appartient au lignage des Nguyên; il est destiné à en devenir le futur chef mais une malédiction ancestrale interdit l'union des deux familles.
Quelques années plus tard, les deux jeunes gens transgressent cet interdit et se marient. Et c'est à nouveau la guerre, celle dite "américaine". Nghia part au front; tous les jeunes gens en état de se battre partent au front... certains sont si jeunes qu'ils n'ont pas encore connu de femme et n'en connaîtront peut-être jamais. Des mères ont perdu leur mari, elles doivent maintenant voir partir leurs fils; des femmes doivent se séparer de l'homme qu'elles aiment. Au village, ne restent avec elles que les vieux, les enfants et les handicapés. Dès lors commence pour elles, une interminable attente qui va durer des années... dix ans sans nouvelles, dans l'angoisse et l'espoir et pour les jeunes filles qui suivent, sans jeunes hommes à aimer, des années de jeunesse perdues à tout jamais. Pendant ce temps, elles devront faire face, aux travaux des champs, aux typhons. . mais aussi pour beaucoup d'entre elles à leur sexualité frustrée, à la fièvre de leurs sens qui bouillonne dans leurs jeunes corps et qu'elles cherchent à apaiser parfois dans la fraîcheur de l'eau de la rivière, près de l'embarcadère, cette eau chargée de toute une symbolique.
Et quand cette guerre prend fin, d'autres drames surgissent directement issus des précédents.

Et comme si toute cette folie ne suffisait pas à détruire les vies, s'ajoute la très forte pression qu'exercent la collectivité, la famille vietnamienne dans sa définition la plus large, sur les individus, une pression qui entrave le bonheur d'aimer. Duong Huong nous immerge en effet dans un Vietnam rural encore peuplé d'archaïsmes, de légendes, d'esprits, de fantômes et de superstitions, où le culte des ancêtres, le poids des malédictions héréditaires, l'attachement à la terre ancestrale pèsent encore de façon dominante malgré l'avènement du communisme.

Hanh, Nhân et d'autres paieront un lourd tribut à la guerre et aux contraintes sociales. Mais si le roman s'attache à porter l'éclairage sur la situation des femmes à l'arrière, et quoi qu'en dise la préface (à éviter avant lecture, comme souvent), les hommes, jeunes ou vieux ne seront pas en reste.

Duong Huong procède par sauts séquentiels dans le temps, chaque séquence s'avérant suffisamment dense pour que le récit ne souffre d'aucun temps mort contrairement à ce que pourrait laisser penser ce que j'écrivais plus haut. Sa prose est sobre, concentrée, pudique, plus suggestive que descriptive, tout en retenue dans l'émotion. Peut-être est-ce grâce ou à cause de cela que celle-ci ne m'a vraiment submergée qu'après avoir refermé le livre, lorsque les mots de l'auteur se sont tus.

Bref, un beau roman qui laisse un goût d'amertume devant tant de vies gâchées et qui a reçu en 1991 le premier prix de l'Association des écrivains, la plus haute distinction de la littérature vietnamienne.

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