Discours sur la lecture 1880-2000 de Anne-Marie Chartier, Jean Hébrard

Discours sur la lecture 1880-2000 de Anne-Marie Chartier, Jean Hébrard

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Critiques et histoire littéraire , Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par Elya, le 1 décembre 2012 (Savoie, Inscrite le 22 février 2009, 34 ans)
La note : 9 étoiles
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L’archétype des débats sur la lecture

   Ce livre naît pour sa première édition d’une demande dans les années 80 du Ministère de la Culture auprès de la Bibliothèque Publique d’Information du centre Georges Pompidou. Ce premier s’inquiétait des commentaires inquiets et itératifs au sujet de la lecture, de l’illettrisme et de la diminution de la fréquentation des livres. L’inquiétude sociale vis-à-vis de la lecture, qui sévit encore aujourd’hui (les forums de CL en sont témoins) a-t-elle toujours existé ? Quel est l’écart entre les pratiques et les discours concernant la lecture tout au long du XXème siècle ?
Des questions exaltantes auxquelles cette étude d’une richesse colossale tente de répondre de la manière la moins subjective possible ; une neutralité exemplaire pour un ouvrage sur ce sujet. Ce n’est pas la première fois qu’on questionne la lecture en tant que pratique et la littérature en tant qu’objet culturel et de loisir ( voir Xing jian Gao - La raison d'être de la littérature , Daniel Pennac – Comme un roman ou encore Alberto Manguel – Une histoire de la lecture, pour mes « préférés »). Mais à ma connaissance, on n’avait jamais étudié ses représentations de manière aussi approfondie et accessible.
L’objet de ce livre est donc à mon goût, on l’aura compris, galvanisant. Sa forme comble tout autant. N’allez pas croire que les auteurs, experts du monde littéraire, exposent leurs avis. Ils ont étudié de manière rigoureuse différents corpus de textes du XIX ème et XX ème siècle : presse générale et spécialisée, rapports de congrès, lettres, romans, essais, textes officiels, manuels scolaires… On compte autant de paragraphes de citations et d’extraits que de paragraphes des auteurs à proprement parler, et la mise en page concorde. Les auteurs, conscients de la faillibilité de la mémoire des témoins, « infidèle, jugeant du passé à la lumière du présent », accordent une importance toute particulière aux critères de sélection des documents étudiés.

   Trois grandes parties se succèdent, abordant les discours proférés par l’Eglise, par les bibliothécaires, et par l’école.
Jusqu’au début du XXème siècle, le clergé censurait plus qu’il ne promouvait. Les « mauvais livres », sélectionnés sur des critères moralistes devaient tout simplement ne pas être lus. Aujourd’hui, le discours est bien moins explicite.
A l’inverse, de tout temps les bibliothécaires ont cherché à encourager tout type de lecture. Allant jusqu’à considérer la lecture comme une « cause nationale » en 1985, au côté de la pauvreté, et accusant l’école de ne pas faire assez pour « ceux qui ne lisent pas ».
Car l’alphabétisation, pour l’école, n’était plus un objectif social mais une étape, un outil à partir de 1920. Le milieu enseignant a eu un discours très fluctuant concernant l’intérêt de lire : moraliser, fin en soi, moyen d’information, plaisir, fonction interne à l’école… dont l’évolution nous est retracée, jusqu’à la « crise » des années 60, où l’on s’inquiète du niveau de lecture au primaire. Inquiétude renforcée par l’essor des parcours scientifiques au détriment des parcours littéraires et surtout l’apparition des premières statistiques sur la culture, mettant en évidence les inégalités sociales. La « baisse de niveau » est alors attribuée tantôt à la démocratisation de l’école, tantôt à des raisons médico-psychologiques, à l’environnement familial, à la TV ou encore au « déterminisme social ».
Si les auteurs n’étudient pas précisément les « discours des libraires », ils les interrogent tout de même en abordant les critiques que suscitent la loi Lang et l’arrêté Monory, établissant le livre comme un produit, mais créés pour « sauver les classiques et les bons livres ».
Une dernière partie, figurant uniquement dans cette édition – la deuxième – retrace les discours des décennies 80 et 90 sur la lecture, ayant bien évolué avec l’apparition d’Internet. L’Observatoire National de Lecture créé en 1995 nous apporte une foule d’informations. Le Web serait une « grande révolution », bien plus importante que celle de Gutemberg ou celle qui plus antérieurement nous a permis de passer du volumen au codex. Car avec Internet, tout change : technique de (re)production, support et pratiques. Peut-on lui attribuer le fait qu’il y ait de moins en mois de « gros lecteurs » ou que seulement 53% des étudiants en lettre disent lire des livres en entier ?

   Finalement, la lecture est-elle menacée de nos jours ? Les auteurs concluent sur une note optimiste. Pourquoi d’ailleurs devrait-on s’inquiéter de la diminution de la consommation d’écrits ? Malheureusement, aucune étude répertoriée ici ne permet de répondre. Bien que les auteurs s’intéressent énormément aux buts et vertus de la lecture (délassement, procuration de savoir, expérience esthétique, révélatrice d’idées et de sentiments…), ils ne traitent pas concrètement de ce qui me turlupine depuis quelques années : qu’apporte concrètement l’action de lire ? La lecture n’est-elle pas presque aussi passive et néfaste que la télévision (voir Michel Desmurget, TV Lobotomie) lorsqu’elle concerne un roman ? Une question non élucidée et qui me permettra je l’espère de faire d’autres lectures-trouvailles de ce type.

   Incontournable pour tous ceux qui se sont interrogés au moins une fois sur la place que prennent la littérature et les livres dans leur vie ; sans doute pour tous ceux qui fréquentent et apprécient Critiques Libres.

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